Shanghai continue à porter chance à Gilbert Kuppusamy, qui a été le dernier batteur de
Kaya. Le chanteur, batteur et percussionniste accumule les faits d’armes et parle de
sa collaboration avec Andy Summers, ex-guitariste de Police, d’un gig avec Didi
Bridgewater, des nombreuses scènes où il tourne encore et de son nouveau rôle d’enseignant. À Maurice pour quelques jours de vacances, la star de Shanghai fait le point sous la véranda de ses parents à Résidence Vallijee.
Pour la photo, nous n’irons pas chercher loin. Pas de décor bling ni de cadre chic. Un mur peint de couleur vive, un bout de tôle rouillée. Pourquoi pas après tout, puisque Gilbert Kuppusamy a toujours été fier de ses origines. Refermant le petit portail en métal blanc et rouge de la cour de ses parents, il fait quelques pas avant de s’asseoir sur la boîte d’un compteur de la CWA au coin de la rue. “Anou fer foto-la isi mem. Puisque c’est ici que j’ai appris la musique. Au coin de la rue et de l’autre côté, tout près de l’église”, dit celui qui
est originaire de Cité Vallijee, en désignant la direction de l’église de Cassis.
Seggae Experience
Gilbert Kuppusamy raconte souvent à ses élèves à Shanghai ses débuts dans la rue à apprendre les principes des instruments et le chant à la chorale. Depuis trois ans, il enseigne la batterie et le chant dans une institution de cette grande ville chinoise, où il s’est exilé il y a 17 ans, après le décès de Kaya. Ce dernier l’avait fait rejoindre sa nouvelle équipe, avec laquelle ils avaient, entre autres, réalisé Seggae Experience, sorti en 1999.
Plusieurs concerts à leur actif, de grands projets en chantier pour faire évoluer le seggae: le rêve s’était brisé le 21 février dans la cellule No 6 d’Alcatraz, où Kaya avait été retrouvé mort. Marchant dans les rues de sa cité, Gilbert Kuppusamy le concède : “Si j’étais resté, je n’aurais pas été très loin”, dit-il, en parlant de sa carrière. La mort de son ami l’avait profondément marqué. Même s’il s’était fait une réputation sur la scène et dans le milieu de l’hôtellerie, il avait quand même préféré partir. La conversation est interrompue par
l’arrivée d’un voisin musicien, dont les propos confi rment ses appréhensions.
Tout va de mal en pis pour les musiciens locaux, qui se retrouvent contraints de se débrouiller pour survivre dans un milieu peu clément à leur épanouissement. “Je ne comprends pas pourquoi les artistes ne sont pas respectés. En Chine, nous sommes traités et respectés comme des professionnels”, ajoute-t-il. À Shanghai, Gilbert Kuppusamy a un statut de star.
Le monde est un cactus
En 17 ans, celui qui s’est fait remarquer en 1995 par sa reprise des Cactus de Jacques Dutronc lors du Jump Around Youth Concert n’a jamais manqué de projets. Nous en avons parlé quand Noukila, groupe composé de musiciens mauriciens, a fait une percée à Shanghai ou encore quand il a accompagné la vedette chinoise Tan Wei Wei. Il a fait notre
couverture aux côtés de l’acteur David Carradine pour qui il avait pris le rôle du principal méchant dans Kung Fu Killer (2008). Daryl Hannah, qui joue également dans Kill Bill, était à l’affi che du film.
En sus de différentes collaborations en studio et sur scène, le Mauricien a aussi mis sa carrure au service du cinéma à quelques reprises. Il a fait ses premières armes devant la caméra à Maurice dans une scène du film Mother, où il joue du saxophone pour la méga-star indienne Rekha. En Chine, il a été très régulièrement présent à la télé pour
des spectacles et des émissions, tandis qu’il a été en tournée à travers la Chine avec plusieurs groupes.
Message in a bottle.
À l’époque à Maurice, membre de plusieurs formations, entre le rock, le reggae, les musiques nouvelles, Gilbert Kuppusamy était aussi connu pour ses reprises de Bob
Marley ou encore pour ses versions de Roxane, Message in the bottle de Police, l’un de ses groupes préférés.
Lorsqu’Andy Summers, guitariste de cette ancienne formation du groupe de Sting, est à Shanghai, c’est Gilbert Kuppusamy qui l’accompagne à la batterie. La basse est tenue par un autre Mauricien, Damien Banzigou. Le batteur et chanteur n’en revient toujours pas et ne cache pas sa joie. “C’est plus qu’un rêve qui prend forme pour moi. Andy Summers est une personne de grande expérience et il nous raconte souvent sa riche carrière.” Il
précise, non sans une pointe de fierté dans la voix: “J’ai son numéro personnel.
Nous sommes régulièrement en communication puisque c’est un ami avec qui j’échange beaucoup.” Des vidéos sur YouTube montrent les deux musiciens accompagnant le guitariste dans des reprises des standards de Police. La rencontre entre les musiciens mauriciens et cette légende de la musique s’est faite à travers Michael Luevano, une
personnalité du monde du tennis. Ce dernier est aussi le responsable du groupe Studio 188, une formation d’une dizaine de musiciens appelée à se produire lors de grands événements.
L’Open de Melbourne, des concerts en Amérique, en Thaïlande, à Amsterdam et ailleurs : Gilbert Kuppusamy a connu autant de scènes en tant que lead singer, puis batteur. Luevano a fini par l’inviter sur un projet avec Andy Summers, chez qui il est allé répéter en Californie avant de monter sur la scène.
Le séga à Shanghai
Dans la night life de Shanghai, Gilbert Kuppusamy et d’autres artistes mauriciens ont acquis une réputation qui les rend incontournables. “Dans presque tous les groupes qui y
jouent, il doit y avoir un Mauricien”, raconte- t-il, assis sur un tabouret sous la véranda familiale à Vallijee. Gilbert Kuppusamy a débarqué à Shanghai en espérant se laisser mener par des vents qu’il rêvait favorables. Ils l’ont poussé bien plus loin. “D’où je viens, il aurait été impensable que je fréquente le conservatoire de musique par exemple. Cela coûtait de l’argent et mon père n’aurait jamais compris pourquoi je devais faire de la musique. Quand tu habites Cité Vallijee, tu ne vas jamais très loin avec la musique.”
En Chine, c’est cet apprentissage informel qui fait la force de Gilbert Kuppusamy et des autres. “Nous n’avons peut-être pas la même formation théorique que les autres, mais
nous avons l’oreille.” Une manière de faire instinctive qui leur permet de s’accorder à tous les styles avec aisance. S’ajoute un rythme que beaucoup leur envient. “Pour nous, jouer en 6/8 est naturel, puisque c’est celui du séga. Nous l’avons en nous et les autres tentent en vain de nous imiter. Ce sont toutes ces choses qui font notre force.”
Noukila, qui compte séga et seggae dans son répertoire, a connu un certain succès dans les différents festivals où il a été programmé. À Hong Kong, il a été sur la même scène que Kool & The Gang. En Chine, cela a aussi été le cas pour Incognito, Earth Wind and Fire, etc.
Ces connexions ont aidé Gilbert Kuppusamy à vivre de grandes expériences. Comme ce gig avec Didi Bridgewater à Shanghai.
Music is everything
Les scènes ne manquent pas, Gilbert Kuppusamy continuant à s’engager dans différentes formations, comme il le faisait déjà à l’époque. Depuis quelques années, il préfère passer moins de nuits dehors pour mieux se consacrer à ses deux enfants. D’où sa nouvelle identité d’enseignant. “L’école m’avait approché dans le passé. J’ai fi nalement voulu essayer et je suis resté quand j’ai vu la détermination et le talent des enfants.”
Ces derniers apprennent la musique, le théâtre, les arts, le sport, entre autres. “Dans un tel système, les enfants ont un autre épanouissement et sont plus éveillés à la vie. Ils n’ont
pas le temps pour aller faire n’importe quoi, comme nous le voyons dans certains cas ici.” Un temps de réflexion, avant de reprendre avec une dose d’exaspération dans la voix : “Je me demande pourquoi le système éducatif mauricien ne fait pas de la place à ce type d’activités à l’intention des enfants. À travers le monde, l’art et le sport font partie du programme. Ici, nous ne le faisons pas, pour ensuite venir se plaindre des enfants.” Tout comme il est d’avis que cela contribuerait à valoriser les artistes : “Ces derniers ont besoin de travail et d’être respectés. Il y a tout ça qu’il faut encore faire.” “Music is everything.” C’est sous ce titre que nous l’avions présenté à nos lecteurs lorsqu’il a fait la couverture
de Scope pour la première fois en janvier 1997. La phrase empruntée d’un de ses tatouages résume toujours la vie de cet enfant de Port-Louis au parcours exceptionnel.
“Je le pense : nous ne devenons pas artistes, nous le sommes déjà à la naissance. Tout comme je suis certain que nous ne choisissons pas nos instruments. Ce sont eux qui nous choisissent.”
Gilbert Kuppusamy parle encore de concerts donnés dans le désert de Mongolie, de spectacles devant 30,000 à 40,000 spectateurs et d’autres choses vécues ailleurs. Rentré à Shanghai après quelques jours de vacances à Maurice, il nous reviendra certainement dans
quelque temps, avec d’autres histoires à raconter