TEXTE ET PHOTOS : UMAR TIMOL
Je vais bientôt mourir. Ils vont me briser, me saccager avec leurs machines. Rien ne les arrêtera. Au nom de quoi ? Je ne sais trop. Je préfère ne pas savoir. La mort finit toujours par nous emporter, n’est-ce pas ? Est-il utile de savoir pourquoi on meurt ? Certaines questions n’ont guère de sens. On parle de développement, d’un train, de l’avenir et de l’économie. De bien grands mots qui ne me disent rien. Je préfère ne pas savoir. Il est un temps pour vivre et un temps pour mourir. Et je n’ai pas de regrets. J’ai eu une belle vie. Et des souvenirs par milliers, qui peupleront l’absence. Il n’empêche que je souffre. Car ils violentent mon corps, car ils me déchirent, petit à petit, chaque jour, cela leur prendra des semaines, des mois, je ne sais plus, ils lacèrent mon corps, bientôt il ne restera rien de moi. Rien. Sinon des souvenirs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
Des souvenirs par milliers.
Des souvenirs pour ne pas mourir.
Souvenirs des amoureux, qui se tiennent la main, qui se regardent, se découvrent, à l’ombre d’un arbre, souvenirs de ceux qui viennent se détendre l’après-midi après une dure journée au travail, souvenirs de vieux qui parlotent sur un banc, souvenirs de l’obscurité qui parfois m’enserre, ces nuits sans fin, paisibles et tourmentées, souvenirs de la solitude, qu’elle est belle cette solitude quand on la sait éphémère, souvenirs des paysages du temps, cyclones, soleil brûlant, tous ses manifestes qui ont creusé mon corps, souvenirs de ces arbres, enracinés dans la terre, qui me nourrissent et que je nourris, souvenirs des flamboyants qui égaient de leurs couleurs les cieux, souvenirs de l’histoire d’une ville, de ses métamorphoses, de ses habitants, de ceux qui ne sont plus, souvenirs de la beauté des enfants, enfants qui jouent, qui s’amusent, souvenirs de visages, de tant de visages, visages tristes, souriants, visages qui disent le désir, visages qui disent le deuil, visages joyeux, visages dévastés, visages de tant d’humains, cernés par leur précarité qui est aussi la mienne.
Je ne sais si le bonheur est de ce monde mais je sais qu’il est parfois possible dans certains lieux et je suis un de ces lieux. Les visages de ceux qui arpentent mon corps sont plus proches de la lumière que de l’obscurité. Par la force sans doute de ma lumière. Je m’en vais maintenant. Et je souffre. Cela n’a pas d’im- portance puisqu’il me reste les souvenirs. Mes souvenirs mêlés à la matière des arbres, au souffle des êtres, aux rêves des êtres. Souvenirs qui me rendent impérissable.