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Raouf Bundhun : « L’élection au N° 18, une bouffée d’air frais sur la scène politique »

Dans le cadre de cette première interview de l’année, l’ex-vice président de la République Raouf Bundhun parle avec beaucoup d’émotion et à sa manière du chemin parcouru par le pays depuis l’accession de Maurice à l’indépendance. Il est, avec Ramnath Jeetah, Yousuf Mohamed et Eliezer François, un des derniers députés élus en août 1967 encore parmi nous. Il a été un des plus jeunes ministres à siéger dans le premier gouvernement post-indépendance. Il a également côtoyé le MMM, qui l’avait proposé comme vice-président de la République. « Au moment de l’accession à l’indépendance, personne n’aurait pu rêver que Maurice aurait connu un tel développement », constate-t-il. Il affirme son admiration pour sir Seewoosagur Ramgoolam mais reconnaît la contribution de sir Anerood Jugnauth dans le développement économique. Aujourd’hui, il considère que l’élection partielle au N° 18 a été une bouffée d’air frais pour la politique locale.

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Raouf Bundhun, vous êtes un des derniers élus des élections générales d’août 1967 encore parmi nous. Nous célébrerons le 12 mars prochain le 50e anniversaire de l’indépendance, comment cet événement vous interpelle-t-il ?

Nous ne pouvons parler du jubilé sans évoquer les événements qui ont précédé l’indépendance de l’île qui a une grande importance. En septembre 1965, il y avait la conférence constitutionnelle à Londres présidée par l’ancien secrétaire d’État aux Colonies Anthony Greenwood qui avait visité l’île auparavant et qui avait invité tous les partis politiques à Lancaster house à cette conférence. Tous les partis politiques étaient invités, à savoir le Parti travailliste, le Parti Mauricien, le Comité d’action musulmane et l’Independent Forward Block, alors que le secteur privé était représenté par Maurice Paturau. Il a finalement été décidé que Maurice pouvait accéder à son indépendance à condition qu’il y ait des élections générales et que le leader du parti victorieux présente une motion réclamant l’indépendance du pays au Parlement. Alors que le Parti de l’indépendance regroupant le PTr, le CAM, et l’IFB réclamait l’indépendance, le PMSD réclamait l’association avec la Grande-Bretagne et exerçait une forte pression dans ce sens. Le 7 août 1967, il y a eu les élections générales qui, comme on le sait, furent remportées par l’Independance Party qui remporta 56 % des suffrages contre 44 % au PMSD, qui était alors au summum de sa popularité. Ce parti avait alors basé sa campagne sur la peur en associant l’indépendance à la famine. Des photos de squelettes avaient été affichées partout à travers l’île pour soutenir leurs slogans. Cette campagne avait effrayé bon nombre de Mauriciens qui ont quitté le pays pour l’Australie, la Grande-Bretagne ou la France. Ce qui explique que nous avons aujourd’hui une diaspora estimée à quelque 500 000 personnes à l’étranger.

J’étais candidat aux élections générales dans une circonscription difficile, à savoir Port-Louis nord/Montagne-Longue, circonscription N° 4. Gaëtan Duval avait présenté sa candidature dans la circonscription N° 1 avec l’espoir de remporter les quatre circonscriptions de Port-Louis. Il a réussi à faire élire ses candidats dans trois circonscriptions, à savoir aux N° 1, 2 et 3, où Razack Mohamed, leader du CAM, a perdu les élections. Gaëtan Duval avait contesté l’élection dans la circonscription N° 4 en Cour, affirmant qu’il y avait du désordre le jour des élections. La Cour suprême, présidée par le Chef juge Rivalland, avait rejeté sa motion.

À quel moment avez-vous commencé à faire de la politique ?

J’ai commencé en 1963. J’étais candidat aux élections municipales de Port-Louis dans le cadre d’une alliance entre le PTr et le CAM. J’étais alors enseignant à l’école St Andrews après avoir été fonctionnaire pendant quelque temps. Il fallait alors voter pour 16 candidats sur une seule liste à la mairie de Port-Louis. J’ai perdu ces élections durant lesquelles le PMSD avait fait élire 14 conseillers et le PTr, deux conseillers.

Dès le départ, aviez-vous milité pour l’accession de Maurice à l’indépendance ?

Tout à fait. J’ai fréquenté le collège St Andrews, où il y avait beaucoup d’enseignants britanniques. Je me souviens avoir pris part à un débat pour soutenir une motion demandant aux Britanniques de quitter la colonie. J’étais à l’époque très influencé par l’indépendance de l’Inde. C’est pour cela que j’avais choisi de soutenir l’indépendance lorsque je me suis engagé dans la politique.

Vous auriez pu adhérer au PTr…

J’ai adhéré au CAM parce qu’il y avait un accord entre Seewoosagur Ramgoolam et Razack Mohamed dans le cadre d’une alliance selon laquelle tous les candidats musulmans devaient être membres du CAM. Je voulais me joindre au PTr et avais rencontré Kher Jagatsingh, qui m’a fait comprendre que ce n’était pas possible. Cassam Uteem avait rencontré le même problème que moi. Il faut reconnaître que Razack Mohamed était un grand leader qui nous a accueillis. Nous avons fait de la politique et j’ai été candidat du Parti de l’Indépendance sur le quota du CAM. Je l’avais beaucoup aidé, sillonnant le pays dans le cadre d’une campagne pour expliquer aux musulmans pourquoi il fallait que Maurice soit indépendante après la conférence de Londres.

À l’époque, j’étais un leader du Mouvement de Jeunesse. J’ai donc participé à une centaine de réunions dans les centres de jeunesse et dans les Madrassas. Bien après l’indépendance, j’avais accompagné Kher Jagatsingh à un déjeuner à Londres avec Seewoosagur Ramgoolam. Ce dernier m’avait confié que tout le monde pensait que j’étais voué à une défaite certaine dans la circonscription N° 4. La victoire du Parti de l’indépendance dans la circonscription N° 4 et dans la circonscription N° 15, où se présentait Jules Kœnig, lui a permis de remporter les élections générales et d’obtenir ainsi l’indépendance du pays. Quinze jours après les élections, le parlement s’est réuni pour débattre de la motion présentée par Seewoosagur Ramgoolam. Ce dernier prononça devant le parlement un discours historique que j’ai repris dans ma biographie intitulée Tagdir.

À cette époque, le pays passait des moments difficiles tant sur le plan social que politique…

Pendant toute cette période, le pays passait par ce qu’on appelle, en hindi, “halchal”. Le pays était dans un tourbillon politique. Il y avait des réunions dans tous les coins et recoins de Maurice autour de l’accession du pays à l’indépendance. Je dois dire que le PMSD menait une campagne malsaine en faisant circuler les rumeurs les plus folles, comme celle disant que les femmes seraient obligées de porter des sarees. Mais heureusement qu’il n’y avait pas eu de désordre et de bagarres.

Il y a pourtant eu les bagarres raciales…

Les bagarres raciales sont survenues après les élections. Les gens étaient tellement frustrés de voir qu’on s’acheminait vers l’indépendance. J’avais alors 30 ans. Ma circonscription a connu des moments parmi les plus difficiles.

Quelles étaient les raisons de ces bagarres ?

On ne sait pas ce qui a déclenché ce conflit meurtrier qui a été maîtrisé à la suite de l’intervention des troupes britanniques. Selon les rumeurs, elles ont été déclenchées par des voyous, des vagabonds et des proxénètes. Fanfan avait composé un séga à cette époque dans lequel il parlait de « 400 canons 300 revolvers, etc. ». Il parlait à mon avis de ces voyous qui opéraient auprès du cinéma Vénus. Le fait brutal est que beaucoup d’innocents ont perdu la vie des deux côtés. Récemment Maurice Labour, vicaire général et curé de la paroisse St François Xavier, m’a invité à une réunion durant laquelle une stèle a été dévoilée dans le jardin de l’église sur laquelle est écrit : « Plus jamais ça ». Plus jamais de bagarres raciales. J’ai fait un témoignage pour raconter comment j’ai essayé d’apporter la paix entre les musulmans et les créoles. J’ai raconté comment je m’étais mis sur les parvis de l’église à cette époque afin de permettre aux chrétiens de se rendre à la messe dominicale. La cérémonie du drapeau le 12 mars 1968, qui normalement a lieu à minuit, s’est déroulée à midi au Champ de Mars en raison de la tension qui prévalait dans le pays. À la fin de la cérémonie, qui a été un moment fort en joie et en émotion, j’ai vu Seewoosagur Ramgoolam et Razack Mohamed s’embrasser en larmes tant ils étaient émus.

Comment se présentait le pays à cette époque ?

Il faut reconnaître que le pays était très pauvre. Il y avait beaucoup de chômeurs. L’industrie sucrière était le secteur économique qui rapportait plus de 90 % des revenus du pays. C’est grâce à l’indépendance que nous avons diversifié son économie. Il faut pour cela saluer Seewoosagur Ramgoolam, qui dans sa sagesse avait fait appel à Gaëtan Duval pour se joindre au gouvernement. Il lui a fait comprendre que le pays était divisé en deux, qu’il y a eu des bagarres raciales et qu’il fallait développer le pays. Cette coalition a été facilitée par l’intervention de Michel Debré, alors député de La Réunion. Mais j’ai été témoin d’autres rencontres entre SSR et SGD notamment à Paris en septembre 1969. Sur l’intervention de Raymond Chasles qui était premier secrétaire de l’ambassade de Maurice, Seewoosagur Ramgoolam m’avait invité à un dîner à l’hôtel Lutecia, sur le boulevard Raspailles. À mon grand étonnement, en plus de Veerassamy Ringadoo, sir Leckraz Teelock, Hazareesing, Raymond Chasles, Gaëtan Duval étaient également présents. À la fin du dîner, Gaëtan Duval, après avoir demandé au directeur de l’hôtel d’avancer les tables, a invité la troupe de séga qui se rendait à Confolens à donner un spectacle de danse.

Ramgoolam et Duval se sont joints aux danseurs. Veerassamy, qui était assis à mes côtés, m’a dit : « To konpran piti ? » J’ai compris que la coalition était en bonne voie. Après la danse, Gaëtan Duval a invité tout le monde à son hôtel, qui, à l’étonnement de tous, était l’hôtel George V, où il résidait à l’invitation du gouvernement français. Ce qui amena SSR à dire sur le ton de la plaisanterie : « Si mwa mo lerwa Maurice, twa to enn anperer. »
À son retour au pays, Gaëtan Duval organisa un grand meeting à la place du quai pour demander à la foule si elle était d’accord avec la coalition avec le PTr. « Non nou pale », répondit la foule. « Je vous ai compris », a répondu Gaëtan Duval. Une semaine plus tard, il a conclu une coalition et faisait son entrée au gouvernement. Sookdeo Bissoondoyal et les membres du l’IFB ont quitté le gouvernement pour se joindre à l’opposition. Plusieurs députés se sont dissociés du PMSD pour créer alors l’UDM. Gaëtan Duval entra au gouvernement comme ministre des Affaires étrangères, de l’Immigration et du Tourisme. Son bras droit était Guy Marchand qui occupa les fonctions de ministre du Commerce. Alex Rima devint ministre d’État. Da Patten fi également son entrée au cabinet.

Et les élections ont été renvoyées…

Aussitôt la conclusion de la coalition en 1969, le nombre de ministres et de secrétaires parlementaires a été augmenté et le Parlement s’est réuni pour renvoyer les élections initialement prévues pour 1972 à 1976. Ce qui fait neuf ans sans élections générales. Ramgoolam avait soutenu que puisque le même parti de l’opposition qui avait combattu l’indépendance était entré dans le gouvernement, il n’était pas nécessaire d’organiser de nouvelles élections générales afin de donner au gouvernement le temps de souffler et de mettre le pays sur les rails. C’est alors que Gaëtan Duval, avec l’aide du Professeur Lim Fat, d’Aldo Poncini, de Benoît Arouff, crée la zone franche manufacturière qui a attiré les investisseurs étrangers qui ont bénéficié d’une exemption fiscale de dix ans. Ce qui a permis de créer de l’emploi et de réduire sensiblement le chômage. Le pays a commencé à se développer et Gaëtan Duval, grâce à sa personnalité flamboyante, a donné un coup de pouce considérable au développement touristique notamment en France.

De leur côté, des personnalités comme Amédée Maingard, proche de Seewoosagur Ramgoolam, ont également apporté leur contribution au développement économique avec la construction des établissements hôteliers dont le Trou aux Biches et le Morne Brabant et la création d’Air Mauritius, entre autres. Jusqu’aujourd’hui, la France est restée le principal marché touristique mauricien. La zone franche manufacturière et le tourisme ont été les chefs-d’œuvre de Gaëtan Duval après la grande coalition qui a apporté la paix dans le pays, et a créé la solidarité mauricienne. Personne n’avait rêvé que Maurice deviendrait un pays aussi développé. Aujourd’hui l’économie s’est diversifiée et le sucre représente seulement 3 % de l’économie. 50 ans de cela, l’infrastructure routière n’était pas aussi développée. Il n’y avait pas autant de voitures, il n’y avait pas d’électricité ni le téléphone dans les villages. Dans mon premier discours au parlement en août 1967, j’ai demandé qu’il y ait de l’électricité à Montagne Longue, Crève Cœur. J’avais demandé un poste de police à Montagne Longue et une école du gouvernement à Vallée des Prêtres. Il y avait beaucoup de chômeurs. Par la suite, on a créé l’université à Maurice. SSR a toujours voulu donner l’éducation à tout le monde indistinctement. C’est pourquoi il avait introduit l’éducation gratuite au secondaire.

À partir de 1976 le gouvernement travailliste a commencé à péricliter. Qu’est-ce qui s’est passé ?

La vérité est que le MMM avait connu une remontée spectaculaire. L’entrée du PMSD dans le gouvernement a créé un vide dans l’opposition. Ce qui a permis à des jeunes révolutionnaires rentrant de l’étranger de commencer à s’organiser pour se faire une place sur la scène politique locale. Des manifestations ont été organisées contre la visite de la princesse Alexandra à Maurice. Des grèves ont été organisées dans le port et d’autres secteurs. Le pays était paralysé en 1971.

Les conditions de travail des travailleurs n’étaient-elles pas déplorables à cette époque ?

Le pays était pauvre et n’avait pas suffisamment de revenus.

Quelles sont les grandes figures qui vous reviennent en mémoire aujourd’hui ?

Lorsqu’on parle de 50 ans d’indépendance, je pense toujours à ceux qui ont milité et lutté pour l’indépendance du pays. Je pense aux fondateurs du PTr, les Curé, Anquetil, Rozemont, Seeneevassen, des grands patriotes qui avaient à cœur le bien être des travailleurs et de la population dans son ensemble. SSR a repris le flambeau avec à ses côtés des personnalités comme Ringadoo, Boolell, Walter, Jagatsingh, Mohamed et Bissoondoyal. Ce sont des gens qui ont lutté non pas pour s’enrichir mais pour le bien-être de la population dans son ensemble. Je n’oublie pas la contribution de Jules Kœnig et Gaëtan Duval qui ont aidé à la création de l’île Maurice moderne.

Par la suite, Anerood Jugnauth a été leader de l’opposition avant de devenir le Premier ministre du pays. Durant les années 1980-1990, le pays a connu un développement spectaculaire. SSR parlait de développement fulgurant.

Comment voyez-vous le pays aujourd’hui ?

Le pays s’est modernisé sur tous les plans. Aujourd’hui nous avons des collèges d’État aussi bons que le collège Royal à travers le pays. Il y a le développement économique dans tous les domaines. Il nous faudra continuer sur cette lancée. Aujourd’hui nous avons Pravind Jugnauth comme Premier ministre, c’est quelqu’un qui veut du bien pour le pays mais malheureusement, il est très mal entouré. Nous avons vu le nombre de scandales qui a secoué le gouvernement. Heureusement qu’avec l’élection partielle dans la circonscription N° 18, le pays a connu une bouffée d’air frais sur le plan politique avec l’élection d’Arvin Boolell à Quatre-Bornes, qui représente l’image de Maurice. Je pense qu’Arvin Boolell a un grand avenir devant lui. De plus le PTr s’est positionné comme une alternative. Je vois que Maurice sera un grand chantier durant les prochaines années avec la construction du Metro Express, des Smart Cities et d’autres routes. Valeur du jour Pravind Jugnauth a laissé beaucoup de plumes, mais j’espère qu’il remontera la pente. Quant à Paul Bérenger, je suis convaincu qu’un homme de son envergure a encore un rôle très important à jouer au Parlement.

Êtes-vous de ceux qui pensent qu’on devrait revoir la Constitution ?

La Constitution a fait ses preuves et a assuré la stabilité dans le pays. Nous sommes un des rares pays en Afrique qui a démontré qu’il est possible de changer de gouvernement dans la discipline et la paix sans effusion de sang. Il y a une tendance qui veut que le système de best loser soit aboli. Ce système a fait ses preuves mais si on arrive à créer un système du genre proportionnel, je suis pour. Je suis en faveur du nation building.

Quel est votre vœu pour ce 50e anniversaire ?

Que tous les Mauriciens se donnent la main, regardent l’avenir ensemble, que les jeunes gradués puissent trouver du travail dans le pays. Que les partis politiques se renouvellent afin de faire plus de places aux jeunes et que la méritocratie puisse primer.

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