Un buzz s’est répandu à travers le pays, à l’effet que l’année 2018 sera celle de la relance de l’économie mauricienne. En gros, les raisons évoquées sont le début d’exécution de projets d’infrastructure majeurs et la nouvelle jeunesse du secteur de la construction, dopé par des projets immobiliers. Également tenue en ligne de compte, une reprise qui se manifeste au niveau international, notamment aux États-Unis avec l’introduction des mesures pro business de Trump et en Union européenne où l’euro a retrouvé ses couleurs. Mais avant de nous projeter ainsi dans l’avenir, il est nécessaire d’établir un état des lieux afin de voir où nous en sommes en ce début d’année. A revisiter les forces et les faiblesses de notre économie, nous serons mieux à même de saisir les opportunités qui se présentent et à éviter les risques susceptibles de nous dévier de notre route.
Le « gâteau national »
Le rappel de quelques indicateurs fondamentaux est de mise. En 2017, les activités économiques du pays ont contribué à façonner un « gâteau national », équivalent à 461 milliards de roupies, dont les composantes principales sont comme suit : 410 milliards proviennent des dépenses de consommation (Rs 340 pour les ménages, Rs 70 pour le gouvernement), et Rs 80 milliards proviennent des investissements (secteur privé : Rs 60 Mds, secteur public : Rs 20 Mds). Il faut, toutefois, déduire de ces Rs 490 milliards (410+80) un montant de Rs 52 milliards qui résulte du déficit des exportations (Rs 201 milliards) par rapport aux importations de biens et de services (Rs 253 milliards).
La balance commerciale
Ce déficit pose question : de 2014 à 2017, il a accusé une moyenne de 10,5% du PIB (Produit intérieur brut). Ce déficit persistant vient du fait que nos importations de biens et de services croissent plus rapidement que nos exportations, d’année en année. Ainsi, on constate qu’en 2017, par exemple, les importations étaient à un niveau de 8,0% plus élevé qu’en 2016, le ratio correspondant pour les exportations étant égal à 4,0%.
Le salut est dans les exportations
Il y a un principe de base à prendre en compte par rapport à l’économie mauricienne. Vu l’étroitesse du marché intérieur, il n’y a qu’un moyen pour doper l’activité économique, c’est l’accroissement des parts mauriciennes sur les marchés étrangers, à travers des exportations compétitives, car nous devons nous mesurer au monde entier. C’est pourquoi une relance de l’économie par les seuls projets d’infrastructure est un leurre. L’exécution de ces projets requiert des importations accrues, surtout en termes de marchandises, mais il n’y a guère de contrepartie en termes d’exportations. Cela contraste avec des projets de production ou de services, lesquels sont en mesure, lorsqu’ils sont en pleine opération, de compenser par des exportations nouvelles et étendues dans le temps, les importations requises durant leur mise en place.
Avis donc à ceux qui se bombent le torse à l’idée d’une croissance accrue en 2018 et 2019 grâce aux projets d’infrastructure. Ce type de croissance n’est pas durable.
L’apport du secteur financier en devises étrangères
Le déficit continu et persistant entre les importations et les exportations requiert davantage de financement en termes de devises étrangères. A la lumière des données contenues dans la balance de paiements compilée par la Banque de Maurice, la principale source de devises étrangères est le secteur financier transfrontalier, communément désigné sous le vocable : global business. De 2012-2013 à 2016-2017, soit une période de cinq ans, cette activité a rapporté, en termes de devises étrangères, quelque 968 milliards de roupies. Parallèlement, les autres activités économiques de Maurice ont enregistré un déficit total de quelque 885 milliards de roupies en termes de devises étrangères.
La conclusion est évidente: sans l’apport du global business, la balance des paiements mauricienne aurait été, durant ces cinq dernières années, largement déficitaire. Elle n’aurait pas enregistré comme elle l’a fait, des surplus totalisant quelque 97 milliards.
Or ce secteur financier transfrontalier est aujourd’hui confronté au défi de modifier son modèle d’opération et de fournir des prestations nouvelles, afin de remplacer celle qui l’avait caractérisée jusqu’ici, c’est-à-dire l’optimisation fiscale. Il y a lieu de penser que le secteur saura s’adapter, mais il convient d’être conscient des risques conséquents auxquels nous serons confrontés en cas d’échec.
Une expression nous vient en tête : « too big to fail », surtout qu’un autre secteur d’activité, autrefois si majestueux, se débat aujourd’hui pour survivre, le sucre mauricien ayant depuis le dernier trimestre 2017, perdu toutes les préférences à l’exportation en Europe dont il avait bénéficié depuis quelque soixante-dix ans.
L’essentiel besoin de productivité
On n’aura jamais fini de le répéter. Pour survivre, Maurice doit exporter. Pour réussir dans cette entreprise, elle doit exporter à des prix compétitifs sur les marchés internationaux. Pour être compétitif, il faut soigner la productivité des facteurs de production dans les entreprises tournées vers l’exportation. Des statistiques officielles nous fournissent des renseignements très révélateurs sur la productivité de ces entreprises. La productivité de la main-d’œuvre a chuté de 1,3% en 2015 et de 5,1% en 2016. Pour le capital, une faible augmentation de 0,3% en 2015 a été suivie d’une baisse de 4,1% en 2016. Finalement, s’agissant des facteurs, ayant trait à l’efficacité de la gestion et à l’utilisation des outils technologiques, la productivité a chuté durant les deux années consécutives, soit 0,7 % en 2015 et 5,0% en 2016.
Talon d’Achille
Ces résultats décevants indiquent clairement que la productivité défaillante est le talon d’Achille de nos exportations de marchandises. Tenter de relancer nos exportations en ayant recours, notamment, à la dépréciation compétitive de la roupie, c’est faire fausse route, c’est alléger la douleur sans enlever le mal qui l’occasionne. De même, le recours à un taux de change préférentiel pour les exportations, comme récemment introduit à Maurice, ne peut être qu’une mesure temporaire, d’autant plus qu’elle est contraire aux principes énoncés dans l’article VIII des Accords avec le FMI (Fonds monétaire international). Leur dernier rapport a d’ailleurs souligné que d’autres mesures doivent être prises pour relancer le secteur des exportations, notamment le recours à une formation adéquate et à des pratiques innovantes, l’usage de la technologie, et une réforme du marché du travail pour le rendre plus efficace. A ce sujet, il y a lieu de rappeler qu’au 31 mars 2017, il y avait 29 153 travailleurs étrangers à Maurice, dont 25 000 dans les entreprises manufacturières. Comment réconcilier ces chiffres avec celui des chômeurs qui étaient au nombre de 42 000 environ, dont près de 1 sur 2 âgé de moins de 25 ans? On touche du doigt l’épineux problème de l’inadéquation entre la formation des jeunes et les caractéristiques des postes à pourvoir.
L’inflation
Comme déjà évoqué ci-dessus, l’activité économique est appelée à s’intensifier à Maurice en 2018, principalement en raison des gros travaux d’infrastructure. L’appel aux ressources du pays augmentera, menant ainsi à un rapetissement de l’écart négatif qui a persisté durant cette dernière décennie entre la capacité disponible et l’utilisation qu’on en faisait. Cette réduction de l’écart peut mener à une hausse des prix, par le jeu de la loi de l’offre et de la demande. Le taux d’inflation affiché devra être surveillé.
Déjà, en 2017, ce taux a atteint 3,7%, un niveau qu’on n’avait pas connu depuis cinq ans. En effet, après avoir été égal à 6,5% en 2011 et à 3,9% en 2012, le taux d’inflation avait baissé graduellement jusqu’à des planchers de 1,3% en 2015 et de 1,0% en 2016. Le taux enregistré en 2017 est un renversement de tendance qui risque de se répéter en 2018 en raison (a) de l’activité intérieure accrue, comme déjà souligné, mais aussi (b) de la reprise économique mondiale, particulièrement dans les pays développés qui sont nos partenaires commerciaux.
Nous ramener à terre
La relance de l’économie en 2018 est certes un souhait légitime. Mais on ne pourra s’en réjouir que lorsqu’on l’aura réalisée. Des défis majeurs attendent d’être confrontés, notamment la mise en place de projets d’exportations, un profil rénové du secteur des services financiers transfrontaliers, la hausse des taux de productivité et un suivi attentif du taux d’inflation durant les mois à venir.