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Le combat de Sarah Grimké

REYNOLDS MICHEL

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« Je ne réclame aucune faveur pour les personnes de mon sexe. Tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils veuillent bien retirer leurs pieds de notre nuque et nous permettre de nous tenir debout sur cette terre que Dieu nous a destinée à occuper. »
Beaucoup de femmes d’aujourd’hui, ici comme ailleurs, peuvent reprendre à leur compte ce propos de Sarah Grimké, une militante pour le droit des femmes dans les années 1830 aux États-Unis. Certes, la cause des femmes, de par le monde, n’a cessé de progresser depuis, mais force est de constater que les choses ne vont pas assez vite, que trop de femmes vivent encore sous la domination de leur conjoint respectif. On a même du mal à imaginer l’ampleur de ces violences.

Pour parler au plus juste de cette domination masculine, souvent à base d’oppression sexuelle, Sarak Grimké utilise le langage de la servitude : « Elle est votre esclave, la victime de vos passions, et partant de là, volontairement et involontairement, de votre licence. » Il convient de souligner que Sarah Grimé (1792-1873) est la fille d’un planteur et propriétaire d’esclaves de Charleston en Caroline du Sud. En 1821, alors âgée de 29 ans, pour ne pas continuer à subir le triste spectacle des horreurs inhérentes au système esclavagiste, elle quitte le giron familial pour s’installer en Pennsylvanie, dans le Nord, où l’esclavage n’était plus de saison.

Elle rejoint, dans la foulée, la « Société des Amis », plus connue sous le nom de Quakers, alors favorable à la promotion des droits de la femme, tout en refusant l’esclavage. Jeune sœur, Angelina (1805-1879), en révolte contre l’“institution particulière”, contre sa famille et les ministres de son Église pour non-dénonciation du système, la rejoindra en 1829. Profondément religieuse, comme sa grande sœur, elle s’engage également chez les Quakers de Philadelphie.

Se sentant à la longue à l’étroit chez les Quakers de Philadelphie, elles s’engagent à fond pour l’abolition immédiate de l’esclavage par le biais de l’enseignement, de la prise de parole en public et de l’écriture. Mais, c’est lors de leur tournée de conférences en Nouvelle Angleterre (région du nord-est des États-Unis) que les deux sœurs lient la cause des femmes à celle des esclaves, et ce, en prenant davantage conscience des multiples interdits qui pèsent sur les femmes, ‒notamment la prise de parole devant un public mixte. Cependant, sans confondre la condition des femmes blanches et celle des esclaves : « Des femmes sont achetées et vendues dans nos marchés d’esclaves pour satisfaire l’appétit bestial de ceux qui portent le nom de chrétiens. » 

C’est également lors de cette tournée de conférences, en 1837, que Sarah Grimké entreprend d’écrire et de publier une quinzaine de lettres sur l’égalité des sexes, qui prendront l’année suivante la forme d’un petit ouvrage, intitulé Letters on the Equality of the Sexes, and the condition of Woman (1838). Dans ses lettres, considérées aujourd’hui comme le premier essai d’envergure sur les droits de la femme, Sarah ne manque pas de dénoncer les violences conjugales et plus généralement les abus de pouvoirs masculins. La femme-objet, source de plaisir domestique, est même au cœur de son message de dénonciation : « La femme est considérée comme une simple machine propre à répondre aux exigences du combat domestique ou de l’assouvissement sensuel, ou alors à satisfaire le goût de son oppresseur en exhibant les attraits de sa personne. »

Tout comme sa sœur Angelina, elle revendique le droit pour les femmes de parler en public contre la position dominante de l’époque : aux femmes la sphère domestique, aux hommes la sphère publique ; position défendue par les pasteurs congrégationalistes du Massachusetts dans une Lettre pastorale (fin juin ou début de juillet 1937) et de la réformatrice Catherine Beecher (1800-1878) dans un essai dirigé contre les Sœurs Grimké.

En réponse, notamment aux pasteurs du Massachusetts, Sarah se livre à un plaidoyer biblique solidement argumenté en faveur de l’égalité des sexes, tout en établissant une distinction entre le sexe (biologique) et le genre (social), plus d’un siècle avant Simone de Beauvoir (1908-1986). Je découvre, dit-elle, que le Seigneur, dans tous ses préceptes, « donne les mêmes directives aux femmes et aux hommes, que jamais il ne se réfère à la distinction sur laquelle on insiste tant à présent, entre vertus masculines et vertus féminines ; c’est là une de ces traditions forgées par les hommes, antichrétiennes, que l’on enseigne à la place des commandements de Dieu. Hommes et femmes ont été CRÉÉS ÉGAUX ; les uns et les autres sont des êtres moraux et responsables de leurs actes, et ce qui est juste pour l’homme est juste pour la femme ».

Outre l’égalité des sexes, Sarah Grimké prône une émancipation de la femme qui implique pour chaque femme la maîtrise de son corps dans sa sexualité et la maternité, tout en invitant ses lectrices à sortir du silence et à revendiquer, dans toutes les instances de la société, la place qui leur revient de droit. À ses yeux, seuls l’égalité des droits reconnue par la loi et un accès égal à l’éducation feront avancer les choses dans la bonne direction. Les combats de Sarah et des féministes n’ont pas tout changé. Le sexisme à la vie dure, il se recompose sans cesse. « Il va falloir continuer encore longtemps à se bagarrer », déclare Ariane Mnouchkine (Le Monde, 23/02/2018).

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