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Lettre d’amour pour les 50 ans d’indépendance de l’île Maurice

Chère île de mes naissances,

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Pour tes cinquante ans d’indépendance, un soupir, un cri, un murmure…

Khal Torabully

Je te souhaite, sans autres fioritures, de poursuivre ton chemin vers une diversité épanouie de tes cultures, composantes, langues… Avec une perception que l’autre est une source de richesse et digne de respect.

Oui, chère île… Permets-moi quelques observations au seuil de ce jour d’importance :

La construction d’une nation mauricienne est encore d’actualité, retardée par le fait politique. Cette réalité doit être méditée et ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de la prospérité économique.

Il en va aussi de la diversité écologique de plus en plus menacée.

Je pense que si une fracture numérique n’existe pas à proprement parler sur ton sol, une fracture écologique est d’actualité.

En effet, on a assisté à des « privatisations » et locations de plages, à la confection de plages artificielles créant une frustration des populations locales et menaçant les fonds marins car le sable y est ponctionné, causant des dégâts importants pour ta diversité marine.

Si le niveau de vie a augmenté en ton sein, et l’infrastructure s’est globalement améliorée, il est à signaler la mauvaise répartition des richesses, signe que tu subis une globalisation hyper libérale.

Des poches de pauvreté s’étendent à côté des complexes immobiliers pour riches, souvent revêtant l’aspect de forteresses où il faut montrer patte blanche pour pouvoir y accéder.

Cela me fait craindre une sorte d’apartheid territorial diffus.

Ajoute à cela l’accès aux plages réduit de plus en plus, et on obtient ici une situation potentiellement explosive. S’il faut du développement, il est important qu’il ne soit pas de nature crânement exclusive.

Et la place de la culture ? Je pense que celle-ci a été le parent pauvre des 50 ans du développement mauricien. D’abord, être ministre de la Culture à Maurice équivaudrait à une « punition » de l’avis même de la classe politique qui préfère des fauteuils plus prestigieux. De plus, la culture souffre de définition dans ce pays fait de migrations successives, dont l’esclavage et l’engagisme. Elle a été accaparée par le socio-culturel mauricien, morcelée à tout va et souvent perçue comme non-productive dans une île utilitariste.

Si la langue créole et le séga coupent à travers les groupes humains, il y a un énorme travail à effectuer dans le champ culturel afin que celui-ci ne soit pas réduit au cultuel ou à la folklorisation hôtelière. Car disons-le sans crainte, cette île regorge de talents, tant au niveau de ses artistes plasticiens, musiciens, chanteurs… Au niveau littéraire, notre île a pris la parole dans le concert des nations, des œuvres sont nées souvent dans des déserts culturels apparents, refusant des visions étriquées ou clivantes, souvent à l’étranger pour ma génération et de plus en plus au pays pour les générations actuelles.

Force est de constater que nos lettres naissent grâce à la jugad mauricienne, à d’inattendues floraisons de voix et de visions qui dépassent les cases ou catégorisations en vigueur, là où se situe le travail littéraire essentiel et non le carriérisme culturel. Je crois en cette littérature fermement établie, en dépit de son inexistence quasi générale dans la perception ou la politique des gouvernements et en dépit des aides symboliques à la publication. L’artiste, le penseur, le poéticien, l’écrivain ou le créateur mauricien est encore trop mal compris ou marginalisé sur ton sol et cela doit changer. Je pense qu’ici se situe un des chantiers majeurs et urgents de la construction d’une nation mauricienne.

Notons qu’un des actes majeurs de cette construction est le classement de l’Aapravasi Ghat et du Morne au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Il nous a fallu nous bagarrer pour que les mémoires et nos histoires de l’esclavage et de l’engagisme ne fussent pas en concurrence et faire émerger un fait : que ces deux paradigmes doivent dialoguer pour que le concept de nation puisse frayer son chemin dans les esprits. L’UNESCO peut témoigner de ce travail de la Coolitude, dont le tout premier festival international aura lieu bientôt…

Ne pouvant être au pays pour les célébrations de ces 50 ans de ton indépendance, née dans des conflits raciaux, je souhaite paix dans la diversité et la prospérité à cette terre où, sous un tamarinier, mon cordon ombilical est enterré. En effet, demain, je pars pour l’Ouzbékistan, étant invité à l’inauguration de la nouvelle bibliothèque d’al-Biruni, un génie mondial. Ce sera à Tashkent.

De là, je continuerai mon périple sur les routes de la Soie, commencé à Pékin l’an dernier, se poursuivant à l’UNESCO le 7 février de cette année et s’approfondissant à Fès il y a deux semaines. Je conjoins ici deux routes majeures de l’humanité, à savoir celles des épices et de la Soie, deux matrices des diversités fondatrices des humanités. Quoi de plus normal pour un Mauricien aspirant à une vision du monde plurielle, fraternelle, que j’ai côtoyée dans cette terre dont le potentiel transculturel et transfrontalier est quasiment illimité ?

Certes, je puise dans cet humanisme de « l’accorité » comme dans d’autres constructions, comme un Mauricien ayant brassé ses altérités à l’aune des pays de l’autre côté des barrières des préjugés et des coraux.

Je dédie donc ce texte et mon voyage vers Samarkand, Khiva et Boukara à mes compatriotes heureux de l’ouverture sur la non-violence et la diversité, de même qu’à mes amis et amies de la Maison de la Sagesse Fès-Grenade, brassant la convivencia ou le désir de vivre avec l’autre et celles et ceux qui m’accompagnent pour ouvrir l’engagisme, par la Coolitude, aux diversités.

Bon anniversaire chère île dont la beauté est mon paysage de poésie authentique !

12 mars 2018

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