Dans une interview accordée au Mauricien, l’ancien Speaker de l’Assemblée nationale, Ajay Daby, affirme qu’en matière de pouvoir public, c’est le Premier ministre « qui doit avoir le dernier mot ». Il estime que la démission de la présidente « ne signifie nullement qu’elle a fauté » et qu’elle peut soumettre sa demission « on a matter of convenance ». Selon lui, la présidente a toutefois outrepassé les pouvoirs que lui confère la Constitution et aurait dû se concentrer sur les affaires intérieures du pays.
Quel regard jetez-vous sur la situation de confrontation qu’on observe au sommet de l’État ?
Pour le pays c’est une catastrophe. Pour les politiciens c’est malsain. Pour les légistes une aubaine et pour les législateurs un défi majeur. L’amendement qui prévoyait l’éclosion de la République est une loi scélérate. Elle a été mal rédigée et prête à équivoque. Je m’intéresse plus au défi car je suis un westminstérien. Je m’étais dit que c’est un des principaux défis qu’on doit affronter si on veut maintenir le système dont nous avons hérité. II faudra à mon humble avis revoir la législation. Est-ce que nous serons à la hauteur de ce défi au-delà des considérations politiques et au-delà de la tyrannie des tyrans ? Pourrons-nous proposer quelque chose au pays qui sera accepté et pour laquelle nous n’irons pas en Cour suprême solliciter des avis, des points de vue avisés pour pouvoir diriger le pays ?
Voulez-vous dire que ce qui se passe actuellement est la conséquence d’une lacune constitutionnelle ?
Oui. Il y a également une mauvaise lecture de ce qui existe dans la formule. Il y a des manquements. La Constitution ne définit pas le profil idéal de celui qui doit occuper les fonctions présidentielles. C’est sous-entendu que le nominé doit avoir les compétences pour gérer le pays. Certaines personnes ont cru que la République était un système nouveau, un nouvel ordre politique où les pouvoirs sont partagés. Les pouvoirs étaient partagés dès le début, même si les pouvoirs réels et le day to day running of the all business sont entre les mains d’un gouvernement démocratique.
Expliquez-vous ?
Ce n’est pas un hasard que la présidence est située à Réduit et qu’à chaque fois elle doit mettre son sceau sur chaque nomination. Ce n’est pas le choix de la présidente, c’est le choix du pouvoir politique qui s’exerce de cette façon. S’il y a quelque chose qui concerne le judiciaire, lorsqu’une décision est prise au niveau du cabinet, ce n’est pas à l’Attorney General d’approcher le Chef juge pour lui en parler, c’est au chef de l’État qui sur la base de matters of State lui annonce qu’on a décidé de faire ceci ou cela, par exemple que la Cour suprême aura à changer de place ou que le budget du judiciaire sera augmenté, que le nombre de juges sera augmenté. S’il y a un problème entre le Bureau de l’Audit – qui est un outil constitutionnel pour le fonctionnement démocratique – et le ministère des Finances, ce n’est pas au bureau du ministre des Finances que ce conflit sera évoqué, c’est à la State House que cela se fera. C’est plus que cérémonial parce que les personnes impliquées ne sont pas censées résoudre les problèmes par elles-mêmes, ce sont des interested parties. S’il y a un problème entre une institution et le gouvernement, ce sont des interested parties. Cette question est traitée au niveau du chef d’État. Ce n’est pas parce que le président est le Commander in Chief qu’il doit commander les armées et surveiller la douane ou l’aéroport, c’est au ministre de l’Intérieur de le faire. Tout cela pour vous dire qu’on a introduit un système dans un autre système sans que la loi ne le stipule. C’est dangereux. Je suis de ceux qui pensent que la Constitution de la République est prévue par la loi et que même cette Constitution est challengeable.
Ce que le Premier ministre a dit jeudi est un problème de mœurs. Il ne sait pas où commence et ou finit sa responsabilité. Il a fait comprendre qu’il n’est pas en position de prendre une décision. Il a même avoué qu’il est en relation téléphonique avec la présidence. Donc l’État ne fonctionne pas.
Donc d’où vient le problème actuel ?
Dès le début, le choix de la présidente constituait un gros risque. Pourquoi avoir pris une personne venant de l’extérieur pour occuper la fonction présidentielle ?
Que voulez vous dire ? En dehors de la classe politique ?
Outside of the political fraternity. C’était dangereux. C’était comme si on mettait un politicien à la retraite à la fonction de Chef juge sous contrat. Le gouvernement a le droit de recruter des juges sous contrat. Toutefois, ce ne serait pas faire justice au service au judiciaire que de nommer un politicien à cette fonction même si c’est quelqu’un d’élégant et charmant. Ce n’est pas prévu par la loi, mais c’est le système qui le veut. Le système est plus grand que les législations, les provisions et les formules. Le système c’est l’ensemble, c’est la façon, la bienséance, l’élégance et le bon sens. Ce n’est pas l’imprudence, le fanatisme, c’est la justesse et la modération. Le système étatique n’est pas bien compris par beaucoup de personnes. Les anciens doivent non pas faire la leçon mais prendre le temps d’en parler aux autres. C’est impensable de voir des gens qui ne savent pas faire ce qu’ils font le faire au grand jour parce qu’il y a un accord électoral dans un coin de bureau ou quelque part. La fonction de présidence n’est pas un vase à fleurs. C’est une fonction importante comme le prévoient les articles 1, 2 et 3, qui concernent les entrenched rights. Lorsqu’il y a une demande pour nommer un juge après consultation, il faut s’assurer que les procédures soient suivies même si vous n’êtes pas un légiste. Si le Premier ministre doit prendre une décision après consultation avec le chef de l’Opposition, vous devez vous assurer que les consultations ont bien eu lieu. Il y a un suivi de dossier à faire et le président doit s’assurer que cela est fait de manière correcte. C’est alors qu’il donne le sceau of due process. Donc pourquoi passer son temps avec des sociétés privées. Ce n’est pas interdit mais il faut savoir mesurer sa responsabilité.
Mais la nomination de la présidente actuelle a été acclamée par la classe politique…
J’ai une autre lecture de cela. C’était un désaveu pour la classe politique qui a tout fait, tout combiné, qui a fait toutes sortes d’alliances. Si cela continue sur cette voie, on dira bientôt qu’il faudra plus de membres élus qui siègent au Parlement.
Pour vous, un président doit-il obligatoirement être issu de la classe politique ou du judiciaire ?
Il doit sortir d’un milieu législatif. Les juges sont perçus comme une fonction austère. Or, Réduit n’est pas une place austère. C’est la convivialité. C’est là que les gouverneurs faisaient venir les gens de tous les courants, de toutes les opinions, des syndicalistes. Il faut qu’il y ait un lieu symbolique grandiose qui soit le symbole de la magnificence de l’État, qui a un profond sens de l’histoire. C’est le lieu où tous les courants ne s’affrontent pas mais se réunissent. Je ne crois pas dans la présence d’un ancien juge mais le principe d’avoir le Chef juge comme président suppléant est excellent. Dans les pays comme l’Inde, même le Chef juge ne se mêle pas des affaires de la présidence. Pourquoi doit-on l’exposer à des courants politiques dans des moments de convivialité alors qu’il doit garder la sobriété de son profil et gérer un espace stable. La politique n’est pas un espace stable. Elle est instable, imprévisible. Il faut vivre avec et faire avec. Le juge n’a pas ce profil.
La présidente actuelle n’a-t-elle pas fait suffisamment pour réunir tous les courants…
She was not there. Elle était ailleurs. Certains disent qu’elle était trop souvent l’étranger. J’ai même lu qu’elle voulait se rendre en Azerbaïdjan, pays avec lequel nous n’avons pas grand-chose en commun.
Pourtant, elle a aidé à projeter l’image de Maurice à l’étranger ?
Ce n’est pas son travail. Si vous voulez le faire, il faut qu’il y ait un concours d’idées, une décision venant du cabinet. Or elle ne fait pas partie du cabinet. Elle ne prend aucun conseil du cabinet et ne connaît pas les priorités du conseil des ministres. S’il y a quelque chose à faire à l’étranger, il y a des ministres, des DPM. Tout est prévu dans la constitution. D’ailleurs, je pense que ce n’est son rôle d’aller présider des comités internationaux. C’est le travail des grands commis de l’État. Nous n’aurions rien vu de mal si elle avait consacré son temps à promouvoir l’économie verte à Maurice, que ce soit au niveau de l’agriculture, du tourisme, etc.
Vous êtes donc en faveur d’une présidente « vase à fleurs » ?
Je ne sais d’où vient cette expression. Pour un légiste, il est péjoratif de dire que la présidence de la République est un « vase à fleurs ». Est-ce que Veerasamy Ringadoo, Raman Osman et SSR étaient des « vases à fleurs ». Dire cela signifierait rapetisser l’utilité de ces gens qui nous ont représentés et qui ont vécu la stabilité du pays. Autant que je sache, SSR n’a jamais voulu faire de l’ombre à sir Anerood Jugnauth. C’était un homme affable et discret et sa présence suffisait à Réduit. Dire qu’il s’agissait de fonctions « vase à fleurs » est exagéré et n’est pas raisonnable. Il ne faut pas décomposer l’image de l’État.
Pensez-vous donc que la présidente a outrepassé ses pouvoirs ?
Non, on se plaint de la façon dont elle a utilisé ses fonctions. Elle n’avait pas de pouvoirs, sauf ceux qui sont inscrits dans la Constitution. The way she handled her powers is going to be a live debate. L’immunité vous couvre for anything done in the discharge of your duties as president. Si un avocat devait être conseiller d’un chef d’État, il lui aurait demandé de prendre des précautions. Il n’y a pas eu jusqu’ici ce cas où les pouvoirs d’un chef d’État ont été remis en cause. La question sera de connaître les dommages en dehors de ses fonctions en sa capacité de présidente de la République. Je pense que la prudence voudrait que les gens interprètent la Constitution de manière conventionnelle et conservatrice. Un petit pays ne peut pas se permettre de prendre des risques. De petits écarts peuvent compromettre votre carrière.
Il y a eu des PNQ du leader de l’opposition l’année dernière. Pensez-vous que le gouvernement aurait dû réagir dès cette époque ?
Je ne sais pas. À chaque fois qu’il y a une question bien motivée, le gouvernement doit réagir. Soit le gouvernement décide d’une attitude ou d’une action ou inaction motivée par des considérations, soit c’est pour des raisons d’Etat ou des raisons bassement politiques. C’est pourquoi le gouvernement doit faire face à son électorat en fin de mandat. L’électorat décidera si vous avez réagi comme il le faut, d’une manière ou d’une autre.
Comment avez-vous accueilli la publication des comptes bancaires de la présidente dans un journal ?
Nous avons un problème de gestion des affaires du pays au niveau bancaire également. La notion de confidentialité a toujours existé à travers le monde. Votre banque est une extension de vous-même. On vote des lois pour que votre argent ne soit pas gardé chez vous et géré par votre famille, etc. Imaginez vous le type de loi qu’il faudrait pour protéger ce genre de transactions. C’est un mauvais signe. Mais du point de vue politique, c’est une autre affaire. La question est de savoir si la violation des lois bancaires est excusable dans l’intérêt public. C’est un débat classique. Je ne crois pas que la banque organise ce genre de choses. L’homme politique prendra la précaution de se taire dans ce genre de débats. Ce qui a pris le public par surprise, c’est qu’il croyait que la présidente n’aimait que les arbres et les feuilles. It was a complete contradiction of the marketted profile.
À partir de là, sa démission était réclamée par toute la classe politique. Est-ce que c’était justifié ?
Chacun a ses motifs. Là où c’est dangereux pour la personne concernée, c’est qu’il y a des références de comportement dans l’exercice de ses fonctions. Pravind Jugnauth a, pour la première fois, défini le rôle de la présidente. Il faut se rappeler que ce n’est pas lui qui avait proposé la nomination d’Ameenah Gurib-Fakim, mais son père. Il faut comprendre qu’il est nouveau comme Premier ministre et qu’il a une autre vision de celui qui doit être à la présidence du pays. J’étais agréablement surpris lorsqu’il a dit : « I want the president to be an example for the country. » Et cela en matière de retenue, d’excentricité, etc. Il aurait fallu qu’il dise ça plus tôt. C’est la première fois qu’on entend ça du chef du pouvoir politique.
À partir du moment où le président refuse de démissionner à la demande du Premier ministre, on entre dans une crise politique, n’est-ce pas ?
À mon avis, celui dont le parti qu’il dirige sort victorieux des urnes doit avoir le dernier mot. Donc, l’encadrement, le système et la Constitution auraient dû être interprétés de cette façon. En matière d’exercice du pouvoir public, c’est le Premier ministre qui a le dernier mot.
Donc, vous pensez qu’elle aurait dû accepter de partir ?
C’est la raison pour laquelle la Constitution fait provision pour la démission du président de la République. Il est évident que quelqu’un doit lui dire que vous avez la liberté de démissionner si c’est pour le pays sans qu’on ait à exposer toutes les raisons sur la place publique. Certaines choses concernant l’État ne doivent pas être exposées en public. Resignation does not mean a plea of guilty. Cela signifie un départ négocié et personne ne donne de conférence de presse à ce sujet. On annonce simplement que la présidence changera de tête. On a fait cela pour Karl Offman, Cassam Uteem, Kailash Purryag… This is how a State is run conveniently. So a president can resign as a matter of convenience. Pourquoi cela n’est-il pas écrit dans notre Constitution ? On a été trop pressé pour voter cette loi.
Mais la présidente refuse de partir…
Oui. Dans ce cas, le chapitre de la démission est fermé. Il faut passer à un autre niveau. Il faut décider si elle est un mal nécessaire ou si on peut rétablir le courant. Il n’y a pas lieu de défier la classe politique. Dans ce cas, il aurait été mieux pour elle de soumettre sa démission. Mais je pense qu’on ne devrait pas associer Sobrinho à son départ. Le citoyen moyen qui se rend en Grande-Bretagne n’aurait pas aimé entendre que sa présidente fait l’objet d’une enquête pour une raison ou une autre. Cela froisserait son honneur personnel. J’aurais souhaité qu’il y ait une “soft exit”. Personnellement, je suis d’avis que tout cela aurait dû être fait avant l’arrivée des personnalités étrangères et la célébration de la fête de l’indépendance.
Paul Bérenger l’avait demandé… En vain.
Bérenger a été le seul à dire quelque chose sur ce qu’il fallait faire. Le résultat a été qu’il y a eu un spectacle pour l’indépendance et un spectacle après. Au Château du Réduit, les visiteurs se sont bousculés pour prendre des photos souvenirs. Je pense que l’opposition aurait dû arriver à un consensus pour aider la présidente à partir. Je pense que le Premier ministre aurait dû avoir utilisé l’unanimité dans l’opposition pour faire partir la présidente, au lieu d’utiliser de multiples conseillers. Il aurait dû avoir parlé aux leaders des partis de l’opposition pour dégager une ligne commune.
Vous pensez que le parlement aurait dû être convoqué depuis hier ?
Tout à fait. Je pense que le Premier ministre a eu un doute au sujet du soutien de l’opposition et qu’il fallait compter ses troupes.