Pour le Premier ministre, comme pour l’ensemble du Conseil des ministres, le suspense politique de la contestation du groupe Boodhoo n’a pris fin, mardi dernier, qu’à l’annonce, par le secrétaire de l’Assemblée législative, des résultats du scrutin secret autour de l’élection du Speaker adjoint et du président des comités : 38 voix pour les candidats de la majorité (Ramesh Jeewoolall du PTr et Robert Rey du PMSD), 31 pour ceux de l’opposition (Madan Dulloo et Shireen AumeeruddyCziffra du MMM).
Ce vote, qui venait confirmer que le groupe Boodhoo, arrivé à l’Assemblée législative dix minutes plus tôt, avait rallié le camp PTrPMSD provoquait le soulagement général, très visible, sur les bancs de la majorité et marquait la fin d’une période de vive tension à l’intérieur de celle-ci. Sir Seewoosagur marqua d’un large sourire sa satisfaction et peu après, recevait, dans son bureau, le groupe Boodhoo. 48 heures plus tard, le Premier ministre réunissait la presse pour un appel à l’unité, pour « dissiper certains malentendus » et pour « saluer l’esprit de conciliation » du groupe Boodhoo et pour rassurer ses partisans. « OUF ! « dit notre photo. C’était vrai, mardi, pour SSR. Le Premier ministre pouvait affirmer, jeudi : « Je n’ai jamais été mis en minorité ! » Mais il n’avait peut-être pas été loin de l’être, pour la première fois au cours de sa très longue carrière parlementaire. L’épisode de cette semaine a, en effet, été la plus dure épreuve subie par le régime depuis les dernières élections générales. Il marquait aussi la culmination d’une longue période de tensions accumulées au sein du Parti travailliste en particulier, du gouvernement de coalition en général.
La confrontation entre le groupe Boodhoo et la direction du PTr dure, en effet, depuis trois mois. Un ultimatum avait été lancé par le groupe contestataire pour que satisfaction soit donnée à ses demandes. 15 des 18 problèmes avaient été réglés à l’amiable, mais subsistaient trois autres fondamentaux : la réduction, de 21 à 11, du nombre des ministres, la révocation des membres du gouvernement non-élus le 20 décembre 1976 (sir Harold Walter, Yousouf Mohamed et Kher Jagatsingh), la résiliation du contrat avec Raynald Olivier, Haroon Aubdool et Tangavel Narainen, nommés ministres conseillers à Bruxelles, Islamabad et Londres.
La situation était à ce point tendue, que SSR a eu, pour la première fois depuis de nombreuses années, à renvoyer la rentrée parlementaire d’une semaine, n’étant pas assuré du soutien du groupe Boodhoo. Dans le même temps, le PMSD montrait, à travers une interview de Gaëtan Duval, paru dans Le Mauricien, des signes évidents de grande nervosité. Soumis à une rude épreuve, sir Seewoosagur Ramgoolam a tenté une dernière réunion lundi dernier pour régler le litige. Mardi matin, le pays apprenait que le groupe Boodhoo ne s’y était pas fait représenter et que le suspense continuait. Toutefois, à 12h30, à deux heures seulement du vote crucial, Le Mauricien du mardi 28 mars 1978 publait, à peu près in extenso, les détails de la réunion avortée du lundi après-midi.
Du coup, le décor changeait. Non seulement, apprenait-on, que le groupe Boodhoo n’était pas présent, mais encore l’article révélait une singulière tension au plus haut échelon de la direction du PTr et précisait : (a) que, pour la première fois, SSR avait proposé sa démission de la direction du parti et du gouvernement; (b) que sir Harold Walter avait lui aussi offert sa démission; (c) que sir Satcam Boolell pris à partie avait menacé de se retirer du gouvernement; (d) que le chef du gouvernement était prêt à convoquer de nouvelles élections générales en cas d’échec le lendemain au Parlement; (e) que tous les liens étaient désormais coupés entre le leader du parti et les contestataires.
Un haut-le-corps
L’article du quotidien de l’aprèsmidi envoyait une onde de choc à l’Hôtel du gouvernement et à travers le pays. Dans la salle à manger du Parlement, prenant connaissance des informations publiées, plusieurs ministres ont un haut-le-corps. On entend parler de « fuites embarrassantes » de la nécessité de « tout nier » afin de ne pas antagoniser le groupe Boodhoo, qui devait voter deux heures plus tard (et qui n’était pas encore arrivé au Parlement, ayant boycotté le discours du Trône). Comme les autres, les six contestataires du PTr ont appris la nouvelle en lisant Le Mauricien. Mais dès 9 h mardi matin, ils s’étaient réunis aux Plaines Wilhems et avaient décidé de voter en faveur des candidats offi ciels de la majorité à 14h30 « pour l’unité du parti », sans informer, toutefois, leurs collègues, qu’ils laissaient dans une pesante incertitude pour encore plus d’effet.
Arrivés à 14h20, ils ont pris place, comme tous les autres, et 15 minutes après, à l’issue d’un scrutin secret, leurs collègues ont appris leurs décisions de voter avec la majorité. Le vote a décrispé immédiatement l’atmosphère. SSR qui, la veille encore, avait repoussé l’idée d’un nouveau face à face avec les contestataires, les a invités à son bureau. Des explications ont été exigées par le groupe Boodhoo sur la véracité des informations du Mauricien. Sir Sewoosagur Ramgoolam s’est exécuté. Il a été convenu, toutefois, qu’il rencontrerait la presse pour faire le point et lancer un appel à l’unité du parti. Ce qui sera fait 48 heures après! Ton conciliant : « Mes amis sont des gentlemen, soucieux de l’effi – cacité du gouvernement ». Petite réprimande : « Je n’aime pas que nos différends s’étalent à la une des journaux. Lavons notre linge sale en famille. » Appel à l’harmonie: « Malgré nos divergences de vues, nous servons le même idéal. »
C’était la première conférence de presse de SSR en tant que leader du parti (et non en tant que chef du gouvernement, devant parler affaires du gouvernement) depuis plusieurs années, ce qui indiquait clairement de la gravité de la crise que le Parti travailliste venait de traverser.
Ayant sauvé la face, le PTr n’en est pas pour autant, au bout de ses difficultés: car, d’une part, le groupe Boodhoo a déclaré que son vote ne signifiait pas l’abandon de ses trois dernières revendications. Loin de là ! Ensuite, le PMSD continue à être exigeant. Durant cette semaine, Gaëtan Duval, après avoir dit son opposition à toute augmentation de l’Income Tax ou à toute augmentation du tarif d’autobus (rejoint en cela par le groupe Boodhoo), critiquait vertement la nomination de MM. Raynald Olivier, Haroon Aubdool et Tangavel Narainen, disant son indignation devant cette pratique. Sur la question du nombre de ministres, sir Seewoosagur Ramgoolam demeure intransigeant : Pas question ! Le nombre actuel permet d’assurer la représentation de toutes les minorités. Mais il est déjà en présence de plusieurs formules possibles, dont la plus intéressante semble être la constitution d’un gouvernement avec onze ministres et dix secrétaires d’État ou juniors ministers.
Sur celle de la révocation des ministres non élus le 20 décembre 1976, même intransigeance: le Premier ministre refuse et invoque la Constitution. Celle-ci ne prévoit absolument aucune forme de discrimination entre membres élus et nommés. Il a devant le PLP, il y a quelques semaines, loué les efforts de sir Harold Walter à ses côtés au cours des vingt dernières années et en ferait une question de principe, Enfin, sur la question des ministres conseillers (ou d’ailleurs SSR est désavoué en privé par nombre de ses lieutenants), il aurait fait valoir le point de vue que toute résiliation du contrat entraînerait des compensations de Rs 2 millions aux trois personnes nommées.
Le groupe Boodhoo ne semble être guère satisfait de ces explications. La discussion se poursuit cette semaine. « Dans une atmosphère différente », déclarent des officiels travaillistes. En effet, le groupe Boodhoo a, en votant avec le parti, marqué des points.