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The day I met Angela Davis

Please don’t laugh at me if I cry”. Dans le gymnase bondé du Bunker Hill Community College, à Boston, jeudi dernier, Will s’excuserait presque à l’avance. Ce jeune homme de 25 ans, look à la Black Panther (le mouvement pas le film), étudiant en sciences sociales et politiques, sait qu’il risque d’être pris d’une forte émotion quand il verra, dans quelques minutes, s’avancer son idole, cette Angela Davis dont il a tant étudié la lutte et la vie.

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Et quand elle s’avance enfin, élégamment vêtue de noir, le visage auréolé de cet afro qu’elle a popularisé dans les années 60, Will a effectivement des larmes sur les joues. Elle s’appelle Angela Davis, elle a 74 ans, et dans sa démarche, il y a l’assurance de tous les combats qu’elle a menés, et sur son visage, il y a ce sourire généreux d’une femme que ces combats, loin d’endurcir, ont au contraire pétrie d’humilité et d’un humanisme vivant.

La vie n’est pourtant pas tendre pour Angela Davis. Née en janvier 1944 dans la ville de Birmingham dans l’état d’Alabama, elle grandit dans un quartier de classe moyenne affublé du sobriquet “Dynamite Hill”: là, de nombreux foyers afro-américains ont été bombardés par le Ku Klux Klan. Sa mère, institutrice, est également membre du NAACP (organisation américaine de défense des droits des gens de couleur). Adolescente déjà, Angela Davis va mettre en place des interracial study groups, qui vont être cassés par la police. En 1963, quatre de ses amies meurent dans le bombardement de l’église de Birmingham.

Alors qu’elle étudie à l’université de San Diego en Californie elle va, dans les années 1960, s’associer aux Black Panthers qui mènent un combat radical en faveur des droits des Noirs. Mais, raconte-t-elle, «j’ai préféré le Parti communiste, parce que les luttes qu’il menait étaient plus globales, plus inclusives, notamment concernant les femmes». Elle sera de fait très active au sein du Che-Lumumba Club, branche noire du Parti Communiste, considéré comme le «Satan» des États-Unis. De fait, l’Université de Californie, où elle enseigne, la limoge en raison de ses accointances communistes. Mais Angela Davis porte l’affaire en Cour, et retrouve son poste.

Puis survient l’affaire Soledad. Dans la prison du même nom, trois détenus sont accusés d’avoir tué un gardien de prison après qu’un autre gardien ait tué plusieurs détenus Afro-américains dans une bagarre. Beaucoup pensent que ces trois détenus sont victimisés en raison de la conscientisation politique qu’ils effectuaient en prison. Angela Davis se porte à leur défense. Durant le procès de l’un d’eux, George Lester Jackson, en août 1970, une tentative d’évasion a lieu, et plusieurs personnes sont tuées dans la salle où a lieu le procès. Angela Davis, à qui on prête une relation amoureuse avec Jackson, est alors arrêtée pour complicité de meurtre. Une vaste campagne internationale, «Free Angela», va alors prendre naissance et être relayée à travers le monde entier. Quand elle est finalement acquittée en juin 1972, après avoir passé environ 18 mois en prison, Angela Davis est devenue une icône de la lutte contre le racisme, pour les droits humains, pour la liberté.

Aujourd’hui, elle continue, comme à Harvard également jeudi dernier, à donner des conférences et animer des discussions autour de la question raciale, des droits des femmes, de l’égalité des genres, de la réforme du système pénitentiaire américain. En 2017, elle fut co-présidente de la Women’s March à Washington suite à l’élection de Donald Trump.

“The person occupying the highest seat in this country”, ironise-t-elle encore à son égard jeudi dernier. «Je ne veux pas dire qu’il a été élu, il n’a pas obtenu le vote populaire, il est en poste à cause d’une organisation obsolète qui régit le vote, une institution qui remonte à l’époque de l’esclavage, visant à garantir que les Etats à forte majorité noire ne puissent pas faire pencher la balance. Mais nous voyons cette vibrante résistance” se réjouit Angela Davis. Qui fait l’éloge des jeunes lycéens de Floride qui se battent en ce moment pour le contrôle des armes aux Etats Unis. «Je suis heureuse d’être en vie, et de pouvoir être témoin de cela. J’ai énormément de respect pour eux et pour leur action, ils se lèvent pour faire ce que les générations avant eux n’ont pas su faire. Ils ont compris l’intersectionalité, l’inter-relationalité d’un large éventail de questions. Ils comprennent qu’il y a un problème parce qu’aux Etats-Unis, il y a plus d’armes que de gens!» scande-t-elle.

Pour Angela Davis, nous sommes là témoins d’un “new surge of activism”. Qui est lui-même le résultat de décennies de lutte, en faveur des droits des femmes, des droits LGBTQ, des droits environnementaux, contre l’impérialisme, contre l’apartheid, pour les droits des Palestiniens etc.

De fait, Angela Davis insiste sans cesse sur la nécessité de la mise en perspective dans un contexte global, et de l’exercice d’une pensée critique. “Nous pensons que nos idées sont les nôtres. Mais nous pensons les pensées de l’Etat. Il faut toujours se demander d’où viennent ces idées, à qui appartiennent-elles? Je ne veux pas vous dire ce qu’il faut penser. Mais il faut se donner les outils pour pouvoir sans cesse se questionner, questionner le monde autour de nous, connaître l’histoire, être conscient des connections entre les choses», dit-elle aux jeunes réunis jeudi dernier au Bunker Hill Community College.

Ainsi, dit-elle, le capitalisme est responsable de tant de ce qui amène problèmes et souffrance dans notre monde. Et pourtant nous n’en parlons pas suffisamment. «Nous ne disons pas par exemple que le capitalisme est aussi une réalité raciale. Au départ, il y a l’esclavage qui est présent à l’origine de cette philosophie d’accumulation de richesses qu’est le capitalisme. La pratique de l’esclavage est ce qui va permettre à ce système de démarrer. Puis, les années 80 ont marqué l’émergence de la plus récente forme de capitalisme. De sa globalisation. Les usines, les grandes industries ont commencé à migrer. Puis les gens, qui ne trouvaient plus à travailler, à se nourrir et à vivre correctement là où ils se trouvaient ont commencé à suivre le mouvement.  Ils ont voulu partir pour trouver une vie meilleure. Et le président Trump les décrit et les traite comme des criminels. Mais ce pays est un pays d’immigrants!”, insiste-t-elle

«Dans les années 80, beaucoup d’institutions ont commencé à être attaquées, sapéees. L’éducation, la santé…», poursuit Angela Davis. «Dans le Nord, on a commencé à tout transformer en biens, à tout privatiser, à se débarrasser de tout ce qui n’était pas profitable. Dans le Sud, la Banque Mondiale et le FMI ont imposé le structural adjustement, refusant d’octroyer des prêts si les pays demandeurs n’ajustaient pas leurs économies aux diktats de la profitabilité. Cela a aussi eu pour effet de développer des économies souterraines, économie de la drogue etc. Et que font alors les Etats? Ils font de la répression, construisent des prisons. Et ils remplissent ces prisons. Mais cela ne résoud rien» dit celle qui a co-fondé l’organisation Critical Resistance qui combat le système pénitentiaire actuel.

Pour elle, le féminisme reste aussi un mouvement capital. «Sans les femmes, le mouvement pour les droits civiques n’aurait jamais existé. Aujourd’hui, nous  sommes finalement conscients que gender violence needs to be addressed and educated. Feminism is about making connections, about understanding the inter-relationships, the rationalities of different phenomenons. Par exemple, il y a une connection entre la violence misogyne et les armes” souligne-t-elle.

Selon la définition d’Angela Davis, «le féminisme du 21ème siècle, c’est une approche, une méthodologie, une façon de penser. It doesn’t ask for a specific kind of body. Progressive women need to stand up against toxic masculinity. And progressive men must too”, insiste-t-elle.

On le sent bien: à 74 ans, Angela Davis est toujours une combattante convaincue. «D’un côté, j’ai l’impression que très peu de choses ont changé. J’ai l’impression de retrouver les mêmes combats que quand j’étais ado», confie-t-elle. “Mais en même temps, tout a changé. Dans la compréhension que nous avons des situations, dans le vocabulaire. There is a new way of grasping these realities. Ce n’est pas parce que je suis âgée que je possède toutes les connaissances, toute la sagesse. Les connaissances dont nous avons besoin, celles qui vont nous faire aller de l’avant, elles viennent des jeunes. I learn from these young people” se réjouit-elle.

En regardant s’éloigner Will jeudi dernier, son enthousiasme qui rejoint celui des nombreux autres jeunes présents, on se rend compte à quel point cette génération a aussi besoin d’icônes. De personnes qui incarnent ces valeurs et combats. Et c’est bien ce que représente, et partage généreusement, Angela Davis. L’incarnation du sens d’un combat humaniste.

Il y aurait encore tellement de choses à dire. Sur l’importance de l’art notamment, qu’elle porte haut (nous y reviendrons). Mais le temps passe si vite. Maurice? Oui, elle viendrait bien. Alors on en reparlera. Nous avons tant besoin d’icônes, de vraies…

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