ALEXANDRE LARIDON
L’Union africaine a jeté, mercredi 21 mars, les bases de la zone de libre-échange continentale (ZLEC). 44 pays africains, dont la République de Maurice – parmi les 55 pays membres de l’Union africaine – ont signé, lors d’une session extraordinaire à Kigali, au Rwanda, l’accord instituant ce qui, à terme, pourrait devenir la plus grande zone de libre-échange du monde. Un accord qui cependant doit être ratifié par au moins 22 pays membres de l’Union africaine pour entrer en vigueur !
La zone de libre-échange continentale est la première étape d’un processus qui mènera à la création d’un marché commun d’ici 2028 ainsi que d’une union économique et monétaire en Afrique. Le rêve en fait consiste à voir abolir les barrières douanières entre les pays africains, de dynamiser les économies et de faire de sorte à avoir l’inverse de l’actuelle fragmentation économique au sein des grandes régions africaines. Un constat déjà soulevé par l’ancien dirigeant de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, Carlos Lopes.
Le ZLEC est donc ce projet phare de l’Union africaine, en réflexion depuis 2012 qui pourrait réunir 1,2 milliard de personnes avec un PIB cumulé de 2500 milliards de dollars. Les négociations de cet accord se fondent sur l’importance d’une plus grande intégration commerciale et des avantages qui en découleraient, mais accordent également une importance tout aussi grande à l’égalité, la justice et l’équité. Il est important de souligner qu’en termes de commerce intra-africain, celui-ci représente actuellement 15% du commerce total du continent, contre 19% en Amérique latine, 51% en Asie, 54% en Amérique du Nord et 70% en Europe. C’est une des raisons pour lesquelles l’Union africaine a entrepris de négocier un tel accord de libre-échange continental impliquant de profonds engagements en matière de libéralisation des échanges commerciaux, accompagnés de robustes mécanismes d’ajustement en vue de compenser les pertes éventuelles.
Mais il faut dire qu’un tel projet a de quoi faire rêver les plus grands groupes industriels avec un marché de plus de 1 200 000 000 de consommateurs sans frontières ni barrières douanières. Il s’agit d’un objectif ambitieux et d’un chantier immense certes qui s’annonce mais les pays africains auront de sérieux ajustements à faire. Eh oui, une zone de libre-échange c’est bien, mais encore faut-il avoir des produits à échanger puisque les économies africaines sont plus ou moins similaires que complémentaires avec la plupart qui exportent des matières premières et importent des biens manufacturiers. D’autre part, certaines économies ont d’importantes différences de compétitivité, ce qui pourrait augmenter le risque de dumping. L’Afrique du Sud, par exemple, pays le plus industrialisé du continent, peut vendre à ses voisins des produits transformés à des tarifs battant toute concurrence. Selon le prix Nobel d’économie Paul Krugman, l’un des théoriciens modernes du commerce international, « beaucoup de gens pensent que le commerce international est bon pour tout le monde. Hélas, ce n’est pas le cas. L’analyse économique la plus conventionnelle suggère qu’au moins une section à l’intérieur d’un pays – parfois même une large section – sorte perdante du libre-échange ». Et qui dit libre-échange, dit également concurrence accrue entre des pays au niveau de développement très divers. Ce qui incite aux questions suivantes : les puissances africaines ne vont-elles pas avaler les pays les plus faibles comme avec certains pays qui sont plus développés sur le plan agricole alors que d’autres en pâtiront ? Comment est-ce que les petits pays protègeront-ils leur marché intérieur face aux grandes entreprises transnationales, africaines ou étrangères ? Y a-t-il un risque de polarisation entre les pays africains?
Pour l’Union africaine, la Banque africaine de développement et la commission économique pour l’Afrique de l’ONU, ils ne partagent pas le même avis puisqu’ils ont dit dans un long plaidoyer co-publié en octobre 2017 que : « Les monopoles et les oligopoles sont peu incités à devenir plus efficaces, à réduire les coûts ou à innover. Cependant, comme les marchés monopolistiques sont omniprésents en Afrique, permettre aux entreprises africaines d’aller se faire concurrence dans leurs marchés respectifs peut libérer les pressions concurrentielles nécessaires à la croissance de la productivité à long terme ».
Ce qui est clair, c’est que les craintes d’importantes pertes de recettes douanières et une répartition inégale des coûts et des bénéfices figurent aussi parmi les principaux obstacles à l’intégration du continent avec certains pays qui sont dotés d’importantes capacités productives dans le secteur manufacturier. Ils pourront ainsi connaître encore plus de croissance économique et des gains de bien-être importants, tandis que les petites économies et les pays les moins avancés risquent d’être confrontés à d’importantes pertes de recettes fiscales et de menaces pour les industries locales. Il y a encore beaucoup de questions qui restent posées et sans réponse, comme la compensation pour les pays qui ont besoin de recettes douanières pour équilibrer leurs comptes, les réformes législatives, l’harmonisation douanière, le développement des infrastructures.
Pour autant, l’Union africaine reste ambitieuse. NOUS, en tant que pays africain, restons confiants et tablons sur 2028 pour la naissance du marché commun et de « L’UNION AFRICAINE ». La prise de conscience est forte en ce qui concerne l’intégration qui peut être un moteur essentiel de la croissance économique, de l’industrialisation et du développement durable en Afrique. Il ne fait aucun doute, si tout se fait comme il le faut, que la création d’un marché continental unique pour les biens et services, avec la libre circulation des hommes d’affaires et des investissements, aidera à rapprocher l’union douanière continentale et le marché commun africain. « Au-delà des débats sur ce que certains pays pourraient gagner ou perdre dans le court terme, la vérité, statistiquement établie, est que chacun de nos états membres et le continent dans son ensemble tireront un bénéfice immense de la mise en place de la zone de libre-échange », avait avancé le président de la commission de l’Union africaine dans une déclaration à la presse le mercredi 21 mars 2018.
Les arguments en faveur de la libéralisation du commerce intra-africain insistent en général sur les gains globaux et à long terme, rarement sur les dommages à court terme pour les industries ou groupes qui sont les plus exposés. Cette zone devrait permettre par exemple d’augmenter de 60% d’ici quatre ans le niveau de commerce sur le continent. Selon M. Sindiso Ngwenya, secrétaire général du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), et le Dr Richard Sezibera, sénateur rwandais et ancien secrétaire général de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), « le faible niveau actuel du commerce intra-africain peut changer si l’Afrique aborde efficacement les contraintes de l’offre et les faibles capacités productives, les goulets d’étranglement infrastructurels, les réseaux d’information commerciale, l’accès au financement pour les commerçants et autres opérateurs économiques, la facilitation des échanges et le commerce dans les services, ainsi que la libre circulation des personnes pour le commerce transfrontalier ».
Et cet accord de libre-échange permettra à Maurice, petite économie qui compte parmi les plus performants du continent, d’accéder également à un marché de près de 700 millions de consommateurs. Reste à savoir maintenant si la République de Maurice va ratifier l’accord de libre-échange… Attendons-voir !