Raj Rughoonath a été révoqué comme président de la Mauritius Telecom Employees Association (MTEA) suite à ses critiques à l’égard du CEO, Sherry Singh. Son exécutif lui reproche d’avoir pris sur lui le fait d’émettre ses propos sans en avoir discuté au préalable. Mais Raj Raghoonath laisse entendre que le syndicat est désormais « à la solde du management » et qu’il ne veut aucunement « être complice de la situation ». Il promet des révélations dans les jours à venir et prévient qu’il « ne compte pas rester tranquille » parce qu’il a perdu son statut de président.
Après 18 ans passés à la tête de la MTEA, vous avez été révoqué par votre exécutif la semaine dernière. Quels sont vos sentiments ?
C’est un sentiment de dégoût qui m’habite. La façon dont cela a été fait m’amène à me poser des questions sur le rôle même du syndicat. On me reproche d’avoir pris sur moi d’émettre des critiques à l’égard du CEO, Sherry Singh, sans passer par l’exécutif. Mais il faut savoir que la tentative de m’évincer du syndicat remonte à plus loin. Tout a commencé l’année dernière, quand Ivan Collendavelloo a fait irruption dans les locaux du call centre CSL et s’en est pris aux télé-agents sur le plateau. J’ai voulu faire une conférence de presse pour dénoncer cela, mais on me l’a interdit. J’ai alors donné ma démission sur le champ. Mais le CEO, Sherry Singh, m’a demandé de rester, car on avait encore des choses à discuter. Depuis, beaucoup de choses ont basculé. Car il y a deux personnes autour de Sherry Singh, en l’occurrence Raj Cawoolessur et Nirmala Ramjhuria, qui sont à la base de beaucoup de choses.
Qu’aviez-vous à dire exactement sur cette irruption d’Ivan Collendavelloo dans les locaux de CSL ?
J’ai un enregistrement où des officiers de la CWA affirment qu’il y a des coupures d’eau parce qu’ils ont eu l’instruction de fermer les “regar” à certaines heures de la journée. Donc, on ne peut tenir les télé-agents pour responsables si les gens sont en colère dans certaines régions parce qu’ils n’ont pas d’eau. Je ne pense pas qu’Ivan Collendavelloo ne soit pas au courant de cette coupure programmée. Mais il a voulu jeter le blâme sur les travailleurs du centre d’appel et cela, je ne l’accepterai pas. Savez-vous combien d’entre eux ont perdu leur emploi depuis, puisque la CWA a résilié le contrat de CSL ? Voilà tout ce que je voulais dénoncer, en sus de réclamer le départ d’Ivan Collendavelloo. Mais des élus au syndicat se trouvant dans la circonscription No 8 ont fait pression sur moi. Tout a commencé à partir de là. Et je maintiens encore aujourd’hui qu’Ivan Collendavelloo doit partir.
Ces membres de l’exécutif ne faisaient-ils pas partie de votre équipe ?
Une bonne partie. J’ai même lutté pour qu’ils obtiennent leur promotion. Mais aujourd’hui, ils ont préféré se retrouver dans l’autre camp. Je ne sais pas s’ils l’ont fait sous la pression ou contre promesses. Pour ma part, une chose est sûre : jamais je ne me tairai quand on attaque les travailleurs de MT. Je ne veux pas être complice d’une situation. Qui plus est, le gouvernement est actionnaire à hauteur de 60% dans cette compagnie. Il est question d’argent public. Donc, la population a le droit de savoir ce qui se passe.
Maintenant que vous n’êtes plus président, vous ne pourrez plus prendre position…
Cette révocation ne va pas me réduire au silence. Je parlerai tant que j’ai des choses à dire. D’ailleurs, j’ai déjà annoncé que j’ai une série de dénonciations pour les jours à venir. Laissez-les venir avec leurs sanctions et on verra…
Déjà, je peux vous dire qu’on m’a bloqué l’accès à certains endroits. En tant que responsable de la “warehouse”, j’avais accès aux stores de Plaine-Lauzun, Mesnil et Rose-Belle. J’étais récemment en Inde. À mon retour, j’ai constaté qu’on avait changé le cadenas du store de Mesnil. Quelqu’un d’autre faisait le travail que je faisais habituellement. Là, on garde les câbles qu’on a enlevés pour remplacer par de la fibre. On les revend à des contracteurs. La procédure est telle qu’il faut aller peser les câbles à la balance de Médine et revenir par la suite avec un papier pour faire la facturation. Dans ce contexte, on prend l’offre la plus élevée. Mais je me demande si toutes ces procédures ont été respectées…
Ce sont de telles choses que vous voulez dénoncer ?
Il y en a plusieurs. Je peux dire en gros que le “procurement”, entre autres, aura à répondre sur la manière dont on a attribué des contrats. Qui en a bénéficié ? Je peux donner un avant-goût en faisant référence à l’appel d’offres RFP/145/07/2017…
Je me demande également pourquoi on loue des espaces dans deux bâtiments à Ébène alors qu’il y a des espaces vides à Cassis, à la Telecom Tower et à l’Orange Tower ? Je laisse le public tirer ses propres conclusions. De même, que s’est-il passé dans l’affaire de fraude à la succursale de Moka ? Pourquoi une seule personne a été suspendue et pourquoi une autre personne de cette même succursale a été transférée ailleurs, avec une promotion à la clé ?
Ce sont autant de dossiers que j’ai en main. Je compte me tourner vers l’ICAC, le CCID et l’EOC. Je dois aussi vous dire que depuis que j’ai annoncé qu’il y aura des dénonciations, beaucoup de travailleurs de MT ont pris contact avec moi pour me donner des informations. Je leur demande, en passant, de faire très attention car mon téléphone est sur écoute.
Vous dites que le CEO vous a convaincu de ne pas démissionner comme président de la MTEA. Cela veut-il dire que vous aviez quand même de bonnes relations ?
Quand Sherry Singh est arrivé à MT, nous avons démarré sur de bonnes bases. Nous avons notamment eu des négociations, qui se sont bien passées, et 750 personnes ont été promues. Il est dommage qu’il y en a d’autres qui méritaient aussi une promotion mais ne l’ont pas obtenue. Puis les choses ont changé. En plusieurs occasions, quand il y a eu un problème, je lui en ai parlé. Il m’a dit qu’il s’en occuperait, puis rien. J’ai même demandé à plusieurs reprises de faire venir le HR dans une réunion pour discuter de certaines choses, mais là aussi il ne l’a pas fait.
C’est pour cela que, dans mon message de fin d’année à nos membres, j’ai dit certaines choses qui ont été mal accueillies. Par la suite, le CEO m’a écrit pour me demander de changer de langage. Je lui ai répondu que je n’ai fait que dire la vérité.
Vous avez été révoqué suite à votre prise de position concernant la circulaire « Service culture ». Qu’en est-il exactement ?
Je considère cette circulaire comme une insulte aux employés de MT. Le CEO y parle de certains problèmes à la compagnie et les attribue à de “gross negligence” et de “gross incompetence”. Comment quelqu’un qui est là depuis deux ans peut-il se permettre d’insulter des personnes qui sont là depuis de nombreuses années et qui ont travaillé dur pour faire avancer la compagnie ? Pensez-vous que je puisse accepter cela ? Ce qui me désole le plus, c’est que nous avons aujourd’hui deux syndicats à MT et que personne ne trouve rien à y redire.
Y a-t-il d’autres dossiers que vous vouliez aborder en tant que président de la MTEA ?
L’harmonisation des conditions entre les travailleurs de MTS, CSL et MT a toujours été une priorité. On ne peut avoir de personnes faisant le même boulot avec des conditions et salaires différents. Tassarajen Pillay Chedumbrum, en tant que ministre des TIC, avait fait un geste en transférant ces travailleurs sous contrat à un poste permanent à MTS. Toutefois, les conditions ne sont pas les mêmes que chez MT.
À CSL, récemment, une cinquantaine de personnes ont dû démissionner en raison des conditions difficiles. Il faut se battre pour améliorer leurs conditions. Ils contribuent aussi pour apporter des revenus à MT. L’autre point demeure les relations industrielles au sein de MT même. Il y a beaucoup de frustrations. On ne sait comment se font les promotions. Récemment, il y a même quelqu’un qui devait recevoir le “long-service award” et qui l’a refusé car cela fait des années qu’il attend sa promotion en vain. Il y en a beaucoup comme lui.
Quel sera votre dernier recours maintenant que vous n’êtes plus président de la MTEA ?
J’ai demandé une rencontre avec le Premier ministre. Je sais que le CEO de MT est aussi son adviser, mais je garde quand même espoir qu’il sera attentif aux problèmes des travailleurs. En 2008, quand j’avais été démis de mes fonctions, il était le seul parlementaire à me recevoir pour en discuter. Nous avons eu un face-à-face pendant 45 minutes au Sun Trust. Aujourd’hui, je lui demande, en tant que Premier ministre, de faire la part des choses. J’en profite également pour dire à Sherry Singh qu’il peut toujours rectifier le tir et qu’il ne se laisse pas influencer par les personnes que j’ai nommées.