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Satish Faugoo : « Une réforme électorale ne se fait pas dans la précipitation »

« Une réforme électorale ne se fait pas dans la précipitation », soutient Satish Faugoo, dans une interview accordée au Mauricien cette semaine, et dans laquelle il revient longuement sur la réforme du système électoral. Il affirme ne pas être d’accord avec la proposition gouvernementale telle qu’elle a été présentée jusqu’ici et qui, selon lui, a été formulée « en raison de l’affaire présentement devant la Cour suprême, qui est comme une épée de Damoclès sur la tête ». Autre raison qu’il invoque : l’affaire qui a été présentée devant le comité des droits de l’homme par Rezistans ek Alternativ. Il s’est par ailleurs dit « sceptique » quant à ce projet. « Les partis politiques et la société civile auraient pu faire des propositions d’amendements », souligne-t-il.

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La réforme électorale est revenue sur le tapis ces dernières semaines. Avez-vous pris connaissance des nouvelles propositions ?
Il faudra d’abord connaître les dessous du mouvement en faveur d’une réforme du système électoral actuel, que nous avons hérité des autorités coloniales britanniques. Nous avons hérité du système “first past the post” et du “best loser system”. L’idée, à l’époque, était d’assurer une balance ethnique et représentative au Parlement de manière à éviter les conflits entre les différentes composantes de la société mauricienne. Le découpage électoral et la création de 20 circonscriptions ont été effectués sur la base d’études effectuées à l’époque et qui prenaient en ligne de compte la notion de l’unité nationale sans négliger la représentativité. Toutefois, aucun expert n’avait prévu qu’un jour le système de first past the post produirait des résultats qui ne soient pas représentatifs. Personne n’avait prévu un résultat de 60-0 en 1982 et 1995. On a alors pris conscience qu’il n’y a pas de système électoral parfait et taillé sur mesure pour un pays spécifique. Tout système a ses avantages et ses désavantages.

Voulez-vous dire que personne, à l’époque, n’avait pensé que l’électorat voterait en faveur des partis plutôt que des candidats ?
À l’époque, les électeurs votaient par instinct communal. Par la suite, et à force de débats politiques, la mentalité a évolué pour s’aligner plus sur la “party line”. Ainsi, avec disons 60% de suffrages, un parti pouvait obtenir les 60 sièges à pourvoir à Maurice. Un autre parti ayant obtenu 30 à 40% des suffrages peut se retrouver sans aucun député élu. Le best loser system a bien marché et peut encore exister en respectant certaines exigences légales et constitutionnelles, qui doivent être revues. Un autre problème a surgi lorsque des membres de Rezistans ek Alternativ, en 2010, refusé de mettre l’appartenance éthique dans leur “nomination paper”. Ils avaient au préalable protesté auprès de l’Human Rights Committee des Nations Unies contre le fait qu’ils étaient obligés d’inscrire leur communauté sur le “nomination paper” pour les besoins du système de best losers. Ce qu’ils considéraient comme anticonstitutionnel. Dans son “ruling”, le comité des droits de l’homme observe qu’il n’est normal que la représentativité sur la base des quatre communautés prévues dans la Constitution soit basée sur le recensement de 1972. En 2010, la Cour suprême a considéré qu’aux termes de la loi électorale, ils étaient tenus d’inscrire leur communauté, conformément à la loi. Ils se sont donc tournés vers le Privy Council, qui a alors envoyé un signal fort en soutenant qu’il paraît qu’il ne soit équitable de se baser sur le recensement de 1972 et qu’il revient au judiciaire de Maurice de se prononcer sur la question. C’est alors qu’ils ont logé une affaire en Cour suprême, qui sera entendue le 24 mai prochain.
C’est une deuxième raison pour apporter une réforme électorale. Il y a un consensus à l’effet qu’il n’est pas nécessaire de faire un recensement tenant en compte les communautés. Cela risque d’entraîner un morcellement des communautés, ce qui ne favoriserait pas une société arc-en-ciel et la création d’une communauté mauricienne. Le recensement n’est pas dans l’intérêt national. Il s’agit maintenant, à notre avis, d’introduire un système qui corrige les inégalités créées par le système first past the post. D’où l’idée d’un système proportionnel qui, d’ailleurs, a fait l’objet d’une série de propositions de plusieurs experts étrangers. Il y a eu également un comité présidé par Ivan Collendavelloo. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faudra une dose de proportionnelle tout en maintenant le système de first past the post.

La question est de savoir quelle dose de proportionnelle…
Au Ptr, nous préconisons le maintien du first past the post dans les 20 circonscriptions et l’élimination du best loser system. Nous sommes également en faveur de l’élection de trois députés à Rodrigues. Il revient aux partis d’établir une liste prioritaire de 20 candidats susceptibles d’entrer au Parlement dans le cadre de la représentation proportionnelle, qui est remise à la commission électorale le jour du Nomination Day. Il est entendu que les candidats figurant sur cette liste peuvent également se présenter aux élections pour le first past the post.

Comment choisir les candidats qui entreront au Parlement sur une base proportionnelle ?
En premier lieu, pour qu’un parti soit éligible, il doit obtenir un seuil minimum de 10% des suffrages. S’agissant du choix des candidats, nous sommes en faveur de la méthode proposée par Rama Sithanen et connu comme le “wasted vote”. Si on se contente de donner 60% des candidats au parti ayant remporté 60% des suffrages et 40% à ceux ayant obtenu la différence de 40, cela aurait l’effet contraire à l’équité recherchée et accentuerait le déséquilibre.
Quand au nombre de 20 députés choisis sur une base proportionnelle, cela permet d’apporter tous les éléments importants pour une élection. Le premier élément est la représentativité. C’est-à-dire que le nombre de députés doit refléter le nombre de votes. Deuxièmement, après avoir aboli le best loser system, il est important que toutes les composantes de la société mauricienne soient présentes. Troisièmement, il permet d’assurer la représentation féminine au Parlement.

Quid donc des dernières propositions gouvernementales ?
Nous n’avons pas encore vu le document officiel. Nous sommes en présence des propositions faites à travers la presse. Il paraît que le gouvernement suggère l’élection de 62 candidats par le biais de first past the post. Douze députés seraient choisis sur la base de la liste de la représentation proportionnelle. Le best loser system sera remplacé par une liste “up to seven”. Nous ne sommes pas d’accord avec le nombre de 12 députés sur la liste de représentation proportionnelle. Ce n’est pas suffisant pour apporter l’équilibre souhaité. Le système proposé ne semble pas être suffisant pour corriger le problème existant. Il va dans le sens contraire. De plus, il est inacceptable et rétrograde qu’un leader puisse choisir les députés après les élections sur une base de représentation proportionnelle sans une liste préalable. Cela représente un danger. Nous ne sommes pas d’accord avec la proposition gouvernementale. Il faut savoir que le MSM n’est pas d’accord avec la réforme électorale. Il est obligé de faire une proposition en raison de l’affaire présentement devant la Cour suprême, qui est comme une épée de Damoclès sur la tête. Ensuite, il y a également l’affaire qui a été présentée devant le comité des droits de l’homme.

Vous aviez participé aux discussions avec le MMM en 2014. Est-ce que ces discussions avaient débouché sur un texte qui avait été débattu au gouvernement ?
Oui. Nous étions d’accord avec le MMM et il était facile de faire adopter un texte de loi. Nous avions pensé toutefois qu’on ne pouvait adopter une telle législation sans qu’il y ait un débat national. C’est une loi importante qui nécessite l’amendement de la Constitution. Elle doit être accompagnée d’une campagne d’information avant de présenter un texte de loi. C’est la raison pour laquelle nous avions présenté un mini-amendement dans lequel nous acceptons le “ruling” à l’effet qu’on n’est pas obligé de déclarer notre communauté sur le “nomination paper”. Nous avions dit que cette réforme serait évoquée lors de la campagne électorale et serait présentée au Parlement à notre retour éventuel au pouvoir.

Avez-vous l’impression que le gouvernement actuel a peur de la réforme ?
Oui. À l’évidence, le MSM se sent rassuré avec le système actuel de first past the post parce que ce système peut permettre d’obtenir une majorité confortable qui permettrait d’apporter des changements constitutionnels sans passer par la population. C’est ce qu’ils font d’ailleurs. Ils chercheront une béquille pour obtenir une majorité.

Qu’est-ce qui doit être fait à votre avis ?
Je suis confus. Nous sommes aujourd’hui le 3 mai. L’affaire sera appelée devant la Cour suprême dans 15 jours. Il aurait fallu faire un exercice de “brainstorming”, un débat public. Les partis politiques et la société civile auraient pu faire des propositions d’amendements et faire de nouvelles propositions. Je suis sceptique et pense qu’ils n’ont pas la volonté voulue. D’ailleurs, depuis quand un comité ministériel a été institué ? Autant que je sache, ils ont débattu davantage sur le financement des partis politiques.

Le leader de l’opposition a indiqué qu’il est contre l’abolition du best loser system ?
On ne peut avoir en même temps un système de représentation proportionnelle et un système de best losers. Ce dernier doit être absorbé par la représentation proportionnelle avec toutes les précautions nécessaires.

N’est-il pas temps qu’il y ait une législation sur le financement des partis ?
Il y a beaucoup d’hypocrisie sur ce sujet. En 2018, le pays est suffisamment “mature” pour qu’il y ait une telle législation. Ce serait très important pour le renforcement de la démocratie. Actuellement, pour utiliser un terme vulgaire, nous sommes dans une situation où il faut “mete for gagn for”. Je suis d’accord avec Paul Bérenger, qui estime qu’à chaque fois que le MSM est au pouvoir, c’est l’argent qui est important. C’est le capital qui fait la différence. L’idéologie et la conviction importent peu. On n’a qu’à voir ce qui s’est passé le 1er mai. Il y a eu un gros investissement pour un déploiement de force à Vacoas qui, à l’évidence, n’a pas été à la hauteur des investissements. La vérité sur le terrain ne correspond pas à ce que la MBC a montré et les membres du MSM le savent. D’ailleurs, c’est la première fois qu’un meeting se tient sous une tente, qui a une capacité limitée.

Dans le cadre du 50e anniversaire de l’indépendance, il y a eu beaucoup de débats sur les améliorations qui peuvent être apportées à la Constitution. Qu’en pensez-vous ?
La Constitution que nous avons héritée des forces coloniales a été écrite par des experts après une étude de la société locale et des discussions avec les représentants politiques d’alors. Elle nous a servis pendant 50 ans et il y a eu beaucoup de tests constitutionnels. Aujourd’hui, nous faisons face à beaucoup de défis, dont la crise constitutionnelle sans précédent que nous avons vécu avec l’ancienne présidente de la République. De plus, nous avons un gouvernement qui, au lieu d’apporter des législations conformes à la Constitution, tente d’amender la Constitution avant de présenter certaines législations. Cela a été le cas pour le Prosecution Commission Bill. À ce propos, nous disons un grand merci au PMSD et à Xavier-Luc Duval, qui n’a pas fait le jeu du pouvoir. Ils ont compris qu’il y avait un abus de pouvoirs. L’adoption du Good Governance and Integrity Reporting Bill a été accompagnée d’un amendement de la section 8 de la Constitution. On aurait dû plutôt apporter une loi qui soit conforme à la section 8. Je comprends qu’après 50 ans, la situation a évolué. Le système électoral actuel permet d’avoir une majorité nécessaire pour changer la Constitution. Mais peut-on amender une Constitution avec une telle facilité pour un oui ou pour un non, voire pour servir le gouvernement du jour ? Nous changeons une Constitution lorsque cela est dans l’intérêt national.

Quelle leçon tirer de la crise constitutionnelle provoquée par Ameenah Gurib-Fakim ?
En premier lieu, son choix était une erreur. She was the wrong person at the wrong place. En premier lieu, elle a été choisie après sa mésaventure à l’Université de Maurice. Elle aurait été excellente à la tête d’un comité consultatif sur la flore et la faune, ou le jardin de Pamplemousses, mais pas à la tête de l’État. La preuve de son inexpérience est que sa première déclaration a été qu’elle ne sera pas une présidente vase à fleurs. Elle n’a pas compris l’institution de la présidence, qui est de fait un vase à fleurs. C’est un poste cérémonial avec très peu de pouvoirs exécutifs. Elle a démontré sa méconnaissance lorsqu’elle a accepté d’occuper la fonction de vice-présidente du PEI. Elle a finalement refusé de démissionner malgré une entorse à la Constitution. Les gens démissionnent pour moins que cela. Pas plus tard que la semaine dernière, le Home Secretary britannique a soumis la sienne pour avoir trompé le Parlement sur le dossier de l’immigration. En plus de cela, elle a commis la bourde de nommer une commission d’enquête en violation de la section 64 de la Constitution, et ce sur la base des mauvais conseils qu’elle aurait obtenus.

Pensez-vous que le gouvernement doive aller de l’avant avec la commission d’enquête annoncée par le Premier ministre ?
Je dois dire que je suis assez perplexe à ce sujet. Jamais, dans le passé, je n’ai vu autant de temps s’écouler entre l’annonce d’une commission d’enquête et son institution. Si cette commission avait sa raison d’être, elle aurait dû avoir été instituée immédiatement après son annonce. Elle a perdu sa raison d’être. Ce que la population attendait, c’était une commission d’enquête sur Alvaro Sobrinho. À bien y réfléchir, malgré son erreur constitutionnelle, la présidente avait envoyé un message fort à la population. Sa démarche sous-entendait qu’elle n’était pas seule dans cette affaire. Je conclus qu’elle voulait dire au gouvernement : “Si ou pa tramp ladan, met komision denket !”.

Quid de l’enquête menée par l’ICAC sur l’affaire Sobrinho ?
C’est un trompe-l’œil. Il y a beaucoup de tam-tam. Depuis deux semaines, de grands officiers ont affirmé que ce sont des seniors minister qui ont donné des instructions. Pourquoi est-ce qu’on ne les appelle pas ? Combien de senior ministers y a-t-il dans le gouvernement ? Je n’attends pas grand-chose de cette enquête.

Finalement, en quelle institution la population a-t-elle le plus confiance ?
La population a perdu confiance dans toutes nos institutions, et ce pour plusieurs raisons, comme le népotisme, la corruption, l’incompétence et le manque de transparence. On n’a qu’à voir l’ICTA, la MBC, la FSC, la Banque de Maurice, la police, la CWA… Il y a une hypocrisie généralisée et les gens ont perdu confiance dans le gouvernement, qui est une institution, sur l’assemblée générale où on a nommé Maya Hanoomanjee, contre qui je n’ai rien de personnel. On a l’impression qu’elle a été nommée à cette fonction parce qu’elle n’a pas été élue lors des dernières élections. Peut-elle être indépendante ? Je crains que non. She must have been seen to be independant. On aurait dû avoir annoncé le nom du candidat au speakership avant les élections.
J’ai été un membre du judiciaire et suis un membre du barreau et je pense les gens ont fait une erreur lorsqu’ils ont dit qu’ils n’ont pas confiance dans le judiciaire. Le problème est que la population ne fait pas trop de distinction entre les juges et l’Attorney General et le bureau du DPP. Ils ont peut-être été trompés par le problème qu’avait rencontré l’Attorney General. Je maintiens que le judiciaire, le bureau du DPP et celui du Sollicitor General sont des institutions indépendantes et qui méritent notre confiance.

Est-ce que le 1er mai nous a donné une idée de la situation politique dans le pays en ce moment ?
Je suis convaincu que le MSM ne pourra aller aux élections seul. Il risque de connaître le même sort que le PMSD dans la circonscription No 18. Il a créé une bulle parce qu’il est au pouvoir. La bulle explosera et la réalité politique apparaîtra. Il est condamné à conclure une alliance avec le MMM. Il attaque ce parti en ce moment pour l’affaiblir et l’obliger à être demandeur. Le MMM s’est affaibli avec ses démissions et ses effritements. Paul Bérenger reste passif et donne l’impression d’attendre la conclusion d’une alliance. Le Ptr peut projeter l’image d’un parti en désordre, mais c’est comme cela que ce parti fonctionne. Le Ptr a une culture de désordre mais s’il y a un parti capable de rebondir et de reprendre le pouvoir, c’est bien le Ptr.

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