Ce dimanche 3 juin aura lieu la 400e émission de Dimanche Culture de Finlay Salesse sur Radio One. Neuf ans à parler de culture aux côtés d’invités venant de tous horizons. Pour Scope, ce rédacteur en chef et animateur aux multiples facettes revient sur ce riche parcours, qu’il est bien décidé à poursuivre tant que sa voix ne s’éteint pas.
Que souhaite-on à un animateur quand une de ses émissions atteint sa 400e édition ?
Une 500e édition, bien sûr. Cela m’assure, d’une certaine façon, un sursis de la vie, car dans deux ans, j’aurai 74 ans. Et je pourrais alors peut-être songer à la 1,000e édition. Je suis heureux quand je repense au début de l’émission. Il faut savoir que les avis et opinions recherchés auprès des auditeurs n’étaient pas franchement favorables. Ils disaient que ça n’allait pas marcher parce que peu de Mauriciens s’intéressent à la culture et que notre production littéraire et artistique ne constitue pas une masse critique pour tenir au-delà de dix à quinze émissions. On avait même prédit que j’allais me casser la gueule et que je n’aurais pas de souffle pour tenir longtemps.
J’ai eu raison d’avoir foncé. La tâche n’était guère facile pour trouver un format afin de parler d’un livre, d’une exposition, et surtout de toucher à la culture dans son sens le plus large. Après ma 399e émission, je suis satisfait de voir le progrès accompli en termes d’annonces et d’invités. Surtout que l’émission a rapidement pris. À la 50e émission déjà, Dimanche Culture est devenu une référence, même si, honnêtement, les gens ne se bousculaient pas à notre porte comme pour Apostrophes ou Bouillon de culture de Bernard Pivot ou 21 centimètres d’Augustin Trapenard.
Comment se passeront les célébrations de cette 400e émission ?
Jusqu’à présent, je n’ai jamais célébré en grande pompe. La 400e se passera normalement, entre de gros événements de la journée. Exceptionnellement, la durée sera rallongée, de 10h à 12h, en live du Hennessy Park Hotel, avec un plateau d’invités composé de gens qui sont passés dans l’émission, pour témoigner et pour parler de culture. Avec aussi quelques surprises.
Préparons-nous déjà pour la prochaine fois. Elle sera comment la 800e édition de Dimanche Culture ?
Ce sera plus ou moins dans le même format. Avec quelques petites modifications. Mais il n’y a aucune raison pour que cette émission change, car on ne change pas une équipe qui gagne, un format ou des indicatifs qui sont entrés dans l’inconscient collectif culturel des habitués. J’avoue que je suis de la vieille école. Il faut que je touche le livre, que je le sente, que la poussière d’un livre me fasse éternuer. Il faut que je salisse un livre; il faut que je viole le livre.
Néanmoins, le profil des auditeurs change. Il faudra aussi peut-être intégrer les livres en version électronique et suivre l’évolution. Car contrairement à ce que l’on peut penser, les jeunes s’intéressent à ce genre de lecture.
Comment passe-t-on du ton parfois coléreux d’Enquête en direct, de l’attitude provocatrice de Polémique à une émission consacrée à la culture, le dimanche à la mi-journée ?
Je dois avoir une triple personnalité (rires). Chacune de ses émissions a une spécificité. Enquête en direct est une émission militante. Il n’y a pas de concessions. On se bat à l’antenne contre les injustices. Tu ne peux pas défendre quelqu’un sans fougue et conviction. Si c’est pour raboter, pour rendre plus lisse, très peu pour moi !
Polémique, c’est conviction contre conviction. Je respecte tous ceux qui téléphonent parce que je crois qu’ils ont des choses à dire. C’est un accès à la démocratisation de la parole, pour laquelle on ne peut pas faire d’exception. Disons que cela permet de tâter le pouls de la population. Avec Polémique, je me bats plutôt contre la bêtise. Je prends le pari de l’impopularité avec cette émission, comme je prends le pari du risque avec Enquête en direct.
Concernant Dimanche Culture, c’est une émission plus consensuelle et plus sereine. C’est une fenêtre ouverte sur le monde. C’est une émission qui me procure tellement de plaisir que j’ai dit à la direction que si jamais je pars, je payerai pour faire cette émission-là. Elle me procure tellement de bonheur et une jouissance inqualifiable. Sortir d’Enquête en direct pendant toute la journée ou de la rédaction de Radio One, Dimanche Culture me permet de respirer. C’est vraiment une bouffée d’oxygène tous les dimanches. Je me demande qui prend plus de plaisir : mes auditeurs ou moi ?
Pourquoi avez-vous ajouté cette émission à votre escarcelle, qui semblait pourtant déjà garnie ?
Cette émission venait combler une lacune de Radio One, et je pense que c’est une émission culturelle qui avait sa pertinence. Il faut savoir que je trouve toujours du temps pour faire des choses qui m’intéressent, m’interpellent et me passionnent.
Comment faites-vous pour ne pas vous départir de la philosophie initiale de cette émission ?
C’est en gardant une seule et intime conviction. Celle d’obéir à une mission, comme pour confirmer une des définitions de la culture. L’émission abrite plusieurs composantes, modes de vie, traditions et croyances. Elle se différencie en contribuant à faire connaître et à partager sa culture. L’ignorance de la culture de l’autre engendre la suspicion, encourage l’intolérance et l’antagonisme. Dimanche Culture contribue à ce partage, crée des ponts et des passerelles, encourage la tolérance pour permettre un mieux-vivre ensemble. À Maurice, on a cru que la multiplication des centres culturels était la solution alors que dans leurs fonctionnements, ils encouragent la ghettoïsation des communautés. Dimanche Culture favorise l’interculturalité, en tentant autant que possible de favoriser non seulement l’expression des différentes cultures ou leur cohabitation, mais leur métissage.
En 400 émissions, vous avez rencontré des invités de tous bords et de différents horizons. Que vous a rapporté cette variété de rencontres ?
Cela a été un enrichissement. Quel que soit le niveau intellectuel de l’interlocuteur, on apprend toujours quelque chose. J’ai la modestie de penser que j’ai appris du réalisateur Claude Lelouch, de l’académicien Marc Lambron, de l’écrivain et journaliste Patrick Poivre d’Arvor autant que d’un Richard Beaugendre, d’un pâtissier, d’un ouvrier artisan, entre autres. Je peux dire que je suis un homme riche en rencontres.
De bons moments. Mais parlez-vous de vos regrets…
J’ai en deux gros. Quelqu’un s’était débrouillé, grâce à son réseau, pour que je puisse avoir l’écrivain Jean d’Ormesson. D’une voix tremblante, j’arrive à lui parler quelques minutes au téléphone. Il me dit que je vais devoir attendre encore peu, le temps que sa santé se rétablisse. Cela n’a pu se faire car il est décédé.
Puis, il y a Jacques Chancel, le journaliste de référence dans les années 1970-80. Il avait cette faculté de rendre l’invité intelligent. Quelqu’un parvient à me mettre en contact avec lui. Le jour de mon appel, il se trouve dans un aéroport. Il me dit avoir entendu parler de l’émission et de Maurice, et que si j’accepte de lui donner du temps, on se reparlera après son voyage. Il a finalement été emporté par un cancer.
Comment faites-vous pour dénicher vos invités, qui sont souvent de grosses pointures du monde culturel ?
C’est simplement grâce à un réseau. Un copain qui connaît un copain, et ainsi de suite. Sachez surtout que les plus grands écrivains sont les plus accessibles.
Quels sont les souvenirs qui restent indélébiles pour vous quand vous vous remémorez cette émission ?
Difficile de dire qui sont les personnes qui m’ont le plus marqué, car chaque rencontre a été un enrichissement pour moi. Les plus notoires comme les plus modestes m’ont procuré le même bonheur. Mais je tiens à profiter de cette 400e émission pour rendre hommage à ceux qui sont partis. Ces voix maintenant éteintes qui ont résonné sur le plateau de Dimanche Culture : Rivaltz Quenette, ex-Clerk de l’Assemblée nationale, écrivain passionné d’histoire, surtout celle de Port-Louis. J’ai une pensée aussi pour Benjamin Moutou, un autre passionné d’histoire, et pour le Professeur Lim Fat, dont la biographie raconte son itinéraire et son engagement au service de la zone franche mauricienne.
Que vous apporte Dimanche Culture ?
C’est plus un sentiment. Un bonheur infini que chacun a contribué à construire cette émission, comme la possibilité de téléphoner pendant une vingtaine de minutes à Robert Badinter, qui a été le garde des Sceaux de Mitterrand et qui a présenté la loi pour l’abolition de la peine capitale. Cela ne peut que m’apporter des moments exceptionnels et gratifiants.
Après les sensations de la presse écrite, celles de la politique, au bout de 15 ans, qu’est-ce que vous apporte la radio ?
J’ai découvert que j’étais un homme de parole. À 5-Plus Dimanche, j’avais fait mon cycle : quinze ans à faire les faits divers. J’y étais bien, mais quand la radio est arrivée, j’ai préféré cette immédiateté, ne pas attendre une semaine pour se faire griller une nouvelle. La radio a réussi à flatter un peu mon ego. Je n’étais plus une personne mais une voix.
La radio, c’est un prolongement de la presse écrite. Je suis dans un spectacle permanent. J’ai commencé à écrire à 19 ans. Si je n’avais pas fait une longue carrière dans la presse écrite et si je n’avais pas fait quinze ans de politique, jamais je ne me serais permis de dire ce que je dis à la radio. Parce que je suis de la même génération que la majorité et de l’opposition. À la limite, je pense qu’on me tolère.