Danielle Selvon fait partie des parlementaires siégeant pour la première fois à l’Assemblée nationale. Elle souhaite que le budget, qui sera présenté demain, tienne en ligne de compte l’inégalité des revenus des familles, les nouvelles technologies et les connaissances émergentes pour une main-d’œuvre intelligemment réorientée avec de nouveaux savoir-faire, et ce sans oublier les PME et le secteur de la pêche artisanale.
À quelques jours de la présentation du budget, quelles sont vos attentes ?
Durant ces dernières décennies, les budgets ont reflété un contexte qui reste tourmenté pour le pays. Pour moi, la persistance de l’inégalité dans les revenus des familles à Maurice constitue une source d’inquiétude. J’espère que la nécessité de trouver une solution à ce problème figure parmi les priorités du Premier ministre et ministre des Finances. Ce problème a été signalé par un rapport de la Banque mondiale consacré à Maurice et intitulé « Mauritius : Addressing Inequality through More Equitable Labor Markets ».
Le rapport fait, dans un premier temps, les éloges de Maurice, un petit pays insulaire, qui a su faire face à ses difficultés économiques, et ce en diversifiant son économie et en réalisant une transition structurelle sans précédent des secteurs agricole et textile vers ceux des services, notamment la finance, l’immobilier et les services professionnels. Toutefois, il constate : « Bien que ces dix dernières années aient été caractérisées par une remarquable croissance économique, elles ont également été marquées par une faible redistribution des revenus de la croissance.
Dès que le modèle économique du pays a commencé à rencontrer des difficultés, les inégalités se sont accentuées. De 2001 à 2005, l’écart entre les revenus des 10% des ménages les plus pauvres et les 10% des plus riches s’est creusé de 37 %. » Je m’attends donc à ce que de fortes mesures contre cette croissance de l’inégalité des revenus, affectant les familles mauriciennes, soient annoncées.
Quelles sont les mesures auxquelles vous vous attendez ?
Avant de parler de mesures, il faudrait comprendre la cause de cette inégalité persistante. Comme le souligne la Banque mondiale, le facteur le plus important est « l’augmentation des inégalités de revenus individuels, notamment chez les hommes ». Le gouvernement a fait des efforts pour redistribuer les bénéfices de la croissance par le biais d’un système de protection sociale qui a réussi à compenser la forte hausse des inégalités de revenus du travail des ménages. Il faut toutefois que le gouvernement s’attaque au « mismatch between skills and jobs ».
Dans ce contexte, j’aurais souhaité que la classe syndicale se concentre davantage sur les moyens de résoudre cette cause fondamentale d’inégalités et moins sur des gains à court terme. Les syndicats devraient réclamer un droit au recyclage de leurs membres pour pouvoir se former et se préparer aux réorientations de l’économie nationale. Une autre de mes attentes concerne les nouvelles technologies, les orientations futures de notre économie et les nouveaux emplois auxquels il faut préparer les travailleurs mauriciens du futur.
Avez-vous d’autres préoccupations ?
On a voulu créer une révolution verte. Rien ne s’est passé. Même la bio culture n’a pas vraiment démarré à l’échelle souhaitée au niveau national. On ose maintenant parler de révolution bleue alors que nos lagons regorgent de plastique qui détruit et tue la biodiversité aquatique. Nous n’avons même pas une flotte de pêche industrielle d’une taille comparable à celles des pays ayant moins de zones océaniques que nous. Le secteur financier offshore mauricien a reçu un coup de massue en favorisant la venue de capitaux illicites, volés dans des pays étrangers… Un scandale qui aurait persisté s’il n’y avait pas eu la presse et l’opposition parlementaire, et si cela n’avait pas entraîné la chute du premier personnage de l’État mauricien.
Notre secteur offshore est depuis longtemps sous la haute surveillance de tous les organismes anti-corruption, y compris l’Ocde et l’Onu. C’est un secteur qui fait entrer des sommes phénoménales dans l’économie domestique, comme le souligne l’économiste Philippe Koch, qui en parle dans la revue de Pluriconseil « Conjoncture » en date de mai-juin dernier. Je le cite : « It can be argued that the financial sector has almost accidentally found a solution to the fact that Mauritius is living above its means : cheap financing of consumption through financial inflows from abroad. In 2018, the Mauritian economy still resembles structurally the economy of the 1990s, but superimposed by a financial sector that channels unprecedented amounts of foreign currency into the country. » Le Premier ministre mauricien a terminé son “meeting” du 1er mai en faisant appel au sens de la rigueur. Or comme le constatent les économistes, le gouvernement actuel n’a fait preuve ni de sacrifices ni d’efforts budgétaires et ni même de responsabilités fiscales.
Que voulez-vous dire ?
Premièrement, les dépenses publiques n’ont cessé de croître allègrement. Après avoir stagné à Rs 92 milliards en 2014 (même niveau qu’en 2013), elles ont augmenté à Rs 103 milliards en 2015-2016 et à Rs 111 milliards en 2016-2017, et elles sont estimées à Rs 128 milliards pour 2017-2018, selon les Statements of Government Operations publiés par le ministère des Finances. Par rapport au Produit intérieur brut (PIB), les dépenses passeraient de 23,9% en 2014 à 26,7% en 2017-2018.
Deuxièmement, le gouvernement a laissé filer le déficit budgétaire. De 3,2% du PIB en 2014, ce dernier a grimpé à 3,5% en 2015-2016 et y est resté en 2016-2017. Nul doute qu’il demeurera au-dessus de 3,0%, seuil fixé par les institutions internationales pour une bonne gestion des finances publiques.
Troisièmement, la dette du secteur public a grossi en poids absolu et relatif. Elle était de Rs 238 milliards en 2014, de Rs 261 milliards en 2015, de Rs 280 milliards en 2016 et de Rs 291 milliards en 2017. En pourcentage du PIB, elle est demeurée supérieure à 60%, un seuil internationalement acceptable, passant de 61,6% en décembre 2014 à 64,4% en décembre 2016, avant de reculer légèrement à 63,4% en décembre 2017. La situation ne s’est guère améliorée sous la présente législature, et encore que des milliards de roupies empruntées du gouvernement indien ne soient techniquement pas comptabilisées dans la dette publique. Et puis, contrairement à ce que prétend le chef de gouvernement, la dette nationale par tête d’habitant a continué d’augmenter : Rs 188 000 en 2014, Rs 206 000 en 2015, Rs 222 000 en 2016 et Rs 230 000 en 2017, soit une hausse de 22% en trois ans !
Nos petits-enfants paieront très cher les folles dépenses et la folie des grandeurs de nos gouvernants. Comme à l’accoutumée, le grand argentier nous dira qu’il a « une marge de manœuvre limitée », pour ensuite présenter une politique budgétaire laxiste. Il est temps d’arrêter cette comédie. Personne n’est dupe : nul ne peut dépenser plus avec moins de revenus. Tout le monde dit être contre l’endettement public, mais toutes les propositions budgétaires tournent autour de plus de subventions et d’abattements fiscaux, et de moins d’impôts.
Nous n’aurons pas d’avenir si ceux qui font nos budgets ne présentent pas, ce faisant, un projet intégré de société. J’en ai présenté un dans mes discours sur le budget durant ces deux dernières années, mon projet de nouvelle société étant basé autour de la réhabilitation verte, technologique et sociale de plus de 20 000 arpents de terres sucrières abandonnées autour d’une organisation coopérative innovante et moderne utilisant un modèle espagnol de village vert autour d’une puissante centrale solaire.
Parlant de l’industrie sucrière, vous avez pris connaissance des débats autour des recommandations du Joint Technical Committee gouvernement/secteur privé ? Qu’en pensez-vous ?
Je suis cette question avec intérêt d’autant plus que mes parents étaient des artisans de l’industrie sucrière. Je suis convaincue qu’à travers le dialogue avec toutes les parties prenantes – gouvernement, secteur privé, planteurs et employés – on arrivera à une solution à la satisfaction de tous.
Dans ce contexte, on parle beaucoup de la baisse des prix du sucre et de la nécessité d’avoir un meilleur revenu pour la bagasse ?
Le prix du sucre à l’international n’est pas sous notre contrôle. Toutefois, comme le faisait ressortir le leader du MMM, Paul Bérenger, à sa conférence de presse, « sans la bagasse toute la stratégie concernant l’énergie renouvelable tombe à l’eau ». La bagasse représente une part non négligeable de la biomasse utilisée par les IPP pour la production de l’électricité. S’il n’y avait pas la bagasse, les IPP auraient à importer l’équivalent en charbon ou en énergie fossile avec le coût que cela représente.
Puisqu’on parle d’énergies propres, je profite pour dénoncer les chefs et sous-chefs qui s’amusent à défier la politique gouvernementale, entre autres, la politique pour « make Mauritius greener ». Pour illustrer cela, je vous cite le cas du service des douanes qui s’est autorisé, dans le dos du Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, pourtant un environnementaliste convaincu, à décréter arbitrairement une nouvelle taxe qui bloque déjà l’entrée à Maurice de voitures électriques et en font, à leur grande fierté, exploser les prix de certains modèles ces jours-ci.
D’autre part, j’avais proposé lors de mes interventions sur le budget la création d’une centrale solaire thermique espagnole d’une capacité de 11 MW, qui a été conçue pour produire 23 GWh d’électricité par an. Certaines de ces centrales alimentent jusqu’à 27 000 maisons du village vert ou “smart” que j’ai proposées au Parlement. Est-ce que Maurice est prête pour une telle aventure qui présage le futur ?
Quels sont les secteurs qui, selon vous, méritent le plus d’attention ?
J’ai déjà cité plus haut divers secteurs comme les revenus des familles, les nouvelles technologies et connaissances émergentes pour une main-d’œuvre intelligemment réorientée avec de nouveaux savoir-faire. Il ne faut pas oublier les PME et le secteur de la pêche artisanale.
Vous êtes une des rares femmes à siéger actuellement dans l’opposition. Est-ce une tâche facile ?
Je voudrais remercier tous ceux qui me suivent en direct à la télévision et qui me font part de leurs commentaires et de leurs encouragements. Ils savent que je suis aux côtés des plus pauvres. Malgré le petit nombre de femmes parlementaires, nous n’avons aucun complexe d’infériorité à l’Assemblée nationale.
Pour ce qui me concerne, il y a beaucoup de “fairness” à mon égard, et même des applaudissements venant des deux côtés de la Chambre suivant mes nombreux discours, interventions et questions.
Parlez-nous de votre action et de votre expérience parlementaire.
J’écoute avec attention les problèmes de mes mandants et j’essaie autant que possible de les résoudre. J’ai la chance d’être aussi avocate et j’ai l’occasion de travailler comme conseillère auprès des opérateurs étrangers qui investissent des milliards et qui souhaitent investir davantage. Je connais des investisseurs qui veulent s’engager par exemple dans l’“offshore wind energy” mais le projet n’a toujours pas abouti. Je souhaite que la facilitation des affaires dont se flatte le Premier ministre devienne une réalité car cela évitera que certains fonctionnaires fassent la pluie et le beau temps face aux investisseurs qui sont parfois décontenancés. Je connais des clients, que je continue à conseiller, et qui ont décidé aujourd’hui de quitter Maurice pour aller investir USD 130 millions dans un autre pays d’Afrique.
Étant une femme, vous sentez-vous plus sensible aux questions concernant la gent féminine ?
Je suis sensible à tous les problèmes de toute la population. Je représente tous les Mauriciens sans exception au Parlement, et pas uniquement les femmes.
Avez-vous pris connaissance des documents publiés par le Parliamentary Gender Caucus ?
Oui, je suis au courant de ces documents qui sont les résultats d’une étude sur le profil sociologique des auteurs de violences domestiques à Maurice. Cette étude, réalisée par le Parliamentary Gender Caucus, a été présidée par la Speaker Maya Hanoomanjee. Des parlementaires, dont Veda Baloomoody du MMM, ont activement participé à la préparation de ces documents. Je déplore la recrudescence de la violence domestique dans la société mauricienne. Les campagnes de sensibilisation doivent se poursuivre.
Pour votre premier mandat, vous avez siégé dans la majorité, puis comme indépendante et aujourd’hui au sein du MMM. Comment expliquez-vous votre parcours ?
Mon parcours s’explique par lui-même. Tout le monde a compris que j’avais quitté la majorité pour mieux défendre mes mandants et surtout les PME en général, et les investisseurs contre certains abus et scandales.
Vous avez également siégé dans des instances parlementaires africaines. Parlez-nous de votre expérience.
Ce fut une riche expérience qui m’a donné beaucoup de contacts sur le continent. Comme je vous l’ai dit, je travaille en Afrique pour mes clients investisseurs comme conseillère légale et politique.
Comment voyez-vous votre avenir politique ?
Ma carrière politique suivra son cours quand auront lieu les prochaines élections.