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Une citoyenneté se mérite!

LUCIEN FINETTE

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A-t-on le droit de vendre (au rabais !) la nationalité mauricienne, le passeport mauricien, le droit de vote aux élections générales, municipales ou villageoises, les terres et les plages du pays, les terres des petits planteurs qui ne parviennent plus à faire fructifier leur patrimoine et qui sont condamnés, à plus ou moins brève échéance, à les brader faute d’un appui significatif de l’État ? C’est la principale mesure économique qu’impose le gouvernement à travers son budget! Une levée de boucliers s’organise! Est-ce que la nationalité mauricienne qui s’est renforcée au fil des années et des décennies grâce aux efforts de nos pères fondateurs et leurs successeurs (selon le Passport Index 2017 d’Arton Capital, le passeport mauricien occupe la deuxième place parmi les passeports africains les plus puissants, derrière celui des Seychelles et devant celui de l’Afrique du Sud) ne serait plus un droit et un privilège précieux que nous sommes fiers de transmettre à nos descendants ou que notre pays remet à un étranger qui n’en est plus un ? Il semblerait que le gouvernement en a décidé autrement au risque de se faire enlever par d’autres autorités les avantages liés à la possession d’un passeport mauricien qui permet à son détenteur de voyager librement sans autre formalité dans plus de 120 pays dont ceux de l’espace Schengen!

La raison économique semble prévaloir ! Il faut à tout prix faire entrer de l’argent pour subventionner les Smart Cities et autres projets pharaoniques initiés par le gouvernement. On a voulu nous faire comprendre que cette solution n’est pas inédite et que de nombreux pays l’ont déjà adoptée. C’est vrai ! Mais quels sont ces pays ? Ce sont de petits territoires, situés, pour la plupart, dans les Caraïbes, tels Saint-Christophe-et-Niévès (55 000 habitants) ou Antigua et Barbuda (92 500 habitants), dont l’économie dépend du tourisme, du secteur bancaire et financier alors que l’agriculture périclite. D’autres pays proposent des « visas dorés ». La vente de leurs passeports et de leurs citoyennetés est un moyen commode de faire rentrer de précieuses devises étrangères en s’appuyant sur les possibilités de circuler dans de nombreux pays de l’Europe et du Commonwealth. L’argent est le seul facteur déterminant pour obtenir cet inestimable sésame. Maurice se retrouve déjà sur le carnet d’adresses de La Vida, une agence qui propose ses services pour l’obtention de citoyennetés et de passeports pour ces pays à des prix de plus en plus compétitifs. Jusqu’à 100 000$ ! Nul besoin d’y mettre les pieds pour obtenir un passeport acquis peut-être par internet, ni même après, et surtout pas pour travailler au développement du pays qui leur sert de base d’opération ou de refuge ! À la toute-puissance du fric, tout est permis ! Maurice offre en vente son âme, à tout jamais !

Les fibres les plus intimes

Est-ce donc l’avenir qui nous est réservé, à nous et à nos enfants, après 50 ans d’indépendance pendant lesquels nous n’avons eu de cesse de rêver à devenir un État digne de ce nom à la hauteur de nos ambitions ? Est-ce que nous sommes si désespérés que nous ne pensons pas mériter mieux ? Est-ce que nous allons avouer que nous sommes incapables d’attirer des investissements autrement que par la vente au rabais du plus précieux de nos bijoux de famille ? Se peut-il que nos dirigeants ignorent ou méprisent ce que signifie la citoyenneté mauricienne ? L’identité du Mauricien ne se limite pas à la valeur du morceau de papier sur lequel sa citoyenneté est énoncée, même s’il coûte un million de dollars. Une citoyenneté ne s’achète pas, elle se transmet ou se mérite ! Elle fait vibrer les fibres les plus intimes de notre être lorsqu’on entend l’hymne national, lorsqu’on voit flotter le drapeau national, lorsqu’on tient dans les mains un produit fabriqué par un des nôtres, lorsqu’à l’étranger on entend les accents de notre langue nationale ou qu’on entend des airs de notre folklore ou qu’on rencontre un frère ou une sœur de notre terre natale ou d’adoption, lorsqu’on pénètre dans un isoloir et qu’on choisit ceux et celles entre les mains desquels nous voulons remettre notre destinée, sans arrière-pensée, sans nous douter qu’ils pourraient nous trahir et vendre à bas prix notre bien le plus précieux, notre identité, notre spécificité, notre raison d’être.

On se fait dire que la citoyenneté mauricienne a été octroyée dans le passé gratuitement ! C’est vrai, 350 durant les 7 dernières années ! Soit une moyenne de 50 par an ! On ne nous dit pas que la plupart des bénéficiaires sont des conjoints et conjointes qui ont épousé des Mauriciens, des enfants qui ont voulu bénéficier de la citoyenneté de leurs parents mauriciens, des étrangers installés dans le pays depuis 5, 10 ou 15 ans pour jouir de leur retraite ou faire des affaires qui contribuent au développement économique du pays et à la création d’emplois. Une situation tout à fait normale, saine et qui, espérons-le, perdurera ! Certains nouveaux Mauriciens sont des personnalités dont la notoriété mondiale en fait des ambassadeurs pour notre pays qu’ils affectionnent particulièrement. Ils acceptent la citoyenneté mauricienne comme une récompense, une preuve de reconnaissance, un peu comme d’autres reçoivent la citoyenneté d’honneur d’une ville ou un doctorat honorifique d’une université. La gratuité confère à cette distinction une valeur morale qui n’a rien à voir avec le projet mercantile que le gouvernement envisage !

Long processus

D’autres pays, dont les Seychelles, sont plus conscients de la valeur de leur identité nationale ; la citoyenneté s’y acquiert au terme d’un long processus qui vérifie si le postulant s’est bien adapté à sa nouvelle patrie, qu’il en connaît l’histoire politique et économique, que le mercantilisme n’est pas son objectif premier, bref, qu’il possède les qualités indispensables pour devenir un bon citoyen, un maillon fort de la solide chaîne formée par l’ensemble des citoyens, qu’il saura défendre les intérêts de sa nouvelle patrie. Patrie ! Terme ô combien lourd de signification mais dont on évacue toute charge émotionnelle, tout lien culturel, tout sens historique lors de cette ignoble transaction que l’on nous propose !

L’investissement direct invoqué ne peut être un justificatif suffisant. Les divers programmes mis en place depuis quelques années remplissent très bien ce rôle. Des domaines et autres complexes résidentiels ont poussé sur tout le littoral et, il faut bien le dire, nombre de ces nouveaux résidents, auxquels une procédure rigoureuse est appliquée avant de leur délivrer, au bout de plusieurs années, la citoyenneté et le droit de vote, ne jurent que par Maurice et ses habitants et sont prêts non seulement à investir mais surtout à s’investir pour le bien de leur nouvelle patrie à laquelle ils s’identifient corps et âme. D’autres n’ont pas les mêmes dispositions ; les dégâts, un mal nécessaire, à ce qu’il paraît, sont visibles dans plusieurs parties du pays, de Grand Baie à Tamarin en passant par Trou-aux-Biches, Pointe-aux-Canonniers et Flic-en-Flac. De hauts murs et des barrières électrifiées se dressent entre les Mauriciens et des étrangers soucieux de reproduire leurs propres façons de vivre en vase clos dans leurs communautés et de rester, le plus longtemps possible, à l’écart de la population locale dans leurs complexes sécurisés munis de gardiens de sécurité 24 heures sur 24 et équipés de vidéo vigilance.

Fort heureusement ils n’ont pas le droit de vote sur le seul fait de leur investissement ! Les nouvelles mesures proposées viennent encourager cette catégorie d’investisseurs. Ceux qui n’ont pas réussi à acheter des dizaines de villas pour cacher leurs milliards pourront maintenant le faire aussitôt leur citoyenneté obtenue. Espérons que nous saurons veiller à ce que des courtiers ou des entremetteurs ne se mettent pas de la partie ! Certains des États que nous voulons rivaliser promettent un délai maximal de 3 mois pour finaliser la procédure. En bon élève, Maurice pourra faire mieux … ! En tant que citoyens mauriciens bénéficiant de tous les droits et privilèges qui y sont rattachés, ces nouveaux investisseurs pourront aussi jeter leur dévolu sur le patrimoine des particuliers, terres, villas, campements, et les étouffer. Quel beau gâchis !

Il n’est peut-être pas trop tard pour ramener nos dirigeants à la raison. Il faut leur faire comprendre que tout en reconnaissant la nécessité d’attirer des investisseurs, il ne faut pas confondre entre citoyenneté et permis de résidence (PR) ou de séjour. C’est une pratique courante dans de nombreux pays qui ont le même souci d’attirer les investisseurs. Ces nouveaux venus obtiennent le statut de résident permanent jusqu’à ce qu’ils montrent qu’ils sont dignes que l’État mauricien leur confère la citoyenneté mauricienne. Une citoyenneté, ça se mérite !

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