Le député de Savanne–Rivière-Noire, et président du Mouvement Patriotique, Alan Ganoo, est actuellement sous le coup d’une suspension parlementaire. Il ne pourra donc pas participer à trois séances parlementaires. Dans une interview accordée au Mauricien, il revient sur cette épisode. « J’avais le sentiment d’être systématiquement victime d’une injustice », nous a-t-il confiés. Il commente par la même occasion l’actualité politique et affirme que son parti n’a pas encore pris de décision concernant une éventuelle alliance pour les prochaines élections. Pour lui, la page du MMM est tournée.
Vous êtes actuellement sous le coup d’une suspension. Comment avez-vous accueilli ce carton rouge que vous a servi la speaker ?
J’ai été surpris et choqué lorsque j’ai réalisé que la speaker était en train de me “order out”. J’avais agi de manière spontanée sans aucune préméditation. Au moment de mon intervention, j’étais convaincu – et je le suis encore- que j’opérais dans le cadre des “standing orders” de l’Assemblée nationale. Je voulais protester de façon digne et avec force contre ce que je considérais comme une injustice commise contre moi. Ce jour-là, depuis le début des travaux parlementaires et jusqu’au moment de ma protestation, j’avais demandé en vain l’autorisation de prendre la parole.
J’ai donc décidé de ne pas permettre que cette situation d’injustice perdure. Je suis très respectueux des “standing orders”, mais cette fois la goutte a débordé le vase parce que la speaker a refusé de porter attention à mes demandes répétées de poser une question. Les députés de tous les partis ont eu l’occasion d’intervenir, sauf moi. J’avais le sentiment d’être victime systématiquement d’une injustice. C’est pourquoi je me suis mis debout pour protester contre cette attitude discriminatoire à mon encontre.
La speaker maintient que votre démarche constituait une violation des “standing orders”…
Certainement pas. C’est elle qui, à mon avis, n’avait pas respecté les “standing orders”. Son point est qu’il revient au speaker de décider à qui elle doit accorder la parole. Je n’ai aucun problème à ce sujet. Toutefois, j’estime qu’elle doit exercer ses pouvoirs de manière judicieuse et pas de manière arbitraire ou discriminatoire. Tous les députés doivent avoir la chance de poser leur question. Les “standing orders” stipulent qu’une personne doit être “ordered out” lorsque son comportement est “grossly disorderly”. Mais ce n’était pas le cas pour moi.
Pourtant, vous lui avez tenu tête en refusant de vous asseoir à sa demande…
Ce n’est pas vrai. Je me suis assis lorsqu’elle parlait et suis revenu à la charge lorsqu’elle avait terminé. Je voulais lui dire que si je siège au Parlement, c’est par la volonté de l’électorat de ma circonscription et pas pour faire plaisir à qui que ce soit. Je voulais lui faire comprendre qu’un député était le représentant de la population à la suite d’une élection. Lorsqu’elle me refuse le droit à la parole de manière arbitraire, j’avais le droit de protester de manière digne et civilisée sans l’insulter.
Est-ce que vous vouliez engager une confrontation avec elle ?
Pas du tout, je voulais dire ce que j’avais sur le cœur. Après 36 ans de carrière parlementaire je n’ai jamais, en tant que député ou ministre, eu un accrochage ou un conflit avec un speaker ou avec qui que ce soit. Au contraire, j’ai toujours essayé de calmer les autres et j’ai toujours appelé les parlementaires de l’opposition et du gouvernement à la retenue.
Au moment des échanges, qu’attendiez-vous de la speaker ?
Je m’attendais à ce qu’elle me dise qu’elle ne m’avait pas vu, qu’elle m’accordait de la considération et me laissait poser la question que j’avais en tête. La speaker est l’épine dorsale de l’Assemblée nationale. Elle peut promouvoir ou bloquer le fonctionnement de la démocratie. Si elle ne peut pas se faire respecter, il est clair que les travaux seront perturbés. À la fin de notre échange, elle aurait pu tout simplement dire “next question”. Au lieu de cela, elle m’a “order out” injustement.
Vous avez déjà occupé les fonctions de speaker. Qu’auriez-vous fait à sa place ?
Un speaker, au moment le plus tendu des travaux parlementaire, doit avoir le doigté nécessaire pour instaurer une sérénité dans l’assemblée et savoir comment désamorcer la situation. Au lieu de calmer la situation dans les moments difficiles, la speaker enflamme les parlementaires et l’opposition. Elle crie et se comporte comme une maîtresse d’école envers des élèves. Or par sa manière de faire, elle envenime la situation. Je pense qu’elle perd souvent le contrôle du Parlement et, à ce titre, est une speaker impulsive. En quelque mois, combien de parlementaires ont été “order out” ? Il y a eu Bérenger, Bhagwan, Duval, Boolell et cette fois, c’est moi. À sa place, j’aurais simplement dit : « M. Ganoo j’ai pris note de vos remarques et maintenant laissez-moi faire mon travail ». Je considère son attitude comme une arrogance du pouvoir.
Après votre suspension, tous les parlementaires présents ne vous ont pas suivis….
Après ma suspension, les travaux ont été suspendus pour le déjeuner. Nous sommes partis. Jean-Claude Barbier et moi, avons fait un point de presse et chacun est parti déjeuner. À aucun moment je n’ai demandé aux partis de l’opposition d’exprimer leur solidarité à mon égard. J’étais convaincu que j’avais raison. Alors que je déjeunais, le leader de l’opposition m’a appelé pour me parler, considérant que ce qui s’est passé n’était pas correct et que son parti manifesterait sa solidarité avec moi. Je suis retourné et la majorité des députés du PMSD et du PTr m’attendaient. Je leur ai fait comprendre que je ne leur demandais rien mais que j’étais convaincu que j’avais raison. Je n’ai pas demandé le secours de personne mais je suis reconnaissant envers le PTr et le PMSD de m’avoir soutenu. Ils n’ont pas défendu Alan Ganoo, mais les principes de la démocratie. Je pense que la démocratie parlementaire est en danger à Maurice. Il était important que l’opposition agisse en bloc contre les pourfendeurs de la démocratie. Ce qui s’est passé n’avait rien à voir les alliances politiques, mais le PTr et le PMSD ont “uphold” les principes fondamentaux.
Regrettez-vous que le MMM ne vous ait pas soutenu ?
Bien sûr que je le regrette parce que lors de l’expulsion de Rajesh Bhagwan, Jean-Claude Barbier lui avait exprimé sa solidarité. Je ne leur avais rien demandé mais je sais qu’un membre du PMSD s’était entretenu avec le leader du MMM et Rajesh Bhagwan et ils ont fait comprendre qu’ils n’étaient pas d’accord d’emprunter la même voie que le PTr et le PMSD. Je n’en fais pas un drame. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas été invités à la conférence de presse commune PTr-PMSD-MP.
Ce qui s’est passé n’a-t-il pas entretenu la perception d’une alliance entre les trois partis ?
Il n’est pas anormal qu’on arrive à cette conclusion mais sur le fond, il n’y a aucun accord électoral entre le MP et un autre parti de l’opposition. Tout ce qu’on raconte au sujet de rencontre et de répartition des tickets est totalement faux. Nous n’avons jamais négocié avec aucun autre parti de l’opposition. Vous savez qu’à l’occasion de la célébration de notre troisième anniversaire, nous avions invité le MMM mais ils ne sont pas venus. Les représentants du PTr et du PMSD étaient présents. Nous traitons tous les partis de l’opposition de la même façon.
L’anniversaire du MP coïncidait avec l’assemblée de délégués du MMM…
Mais il aurait pu envoyer un représentant symboliquement.
Comment se porte le MP qui vient de célébrer son troisième anniversaire ?
Le parti se porte très bien, nous sommes entièrement satisfaits de notre parcours. Au moment de la création du MP, l’opposition était occupée par les deux plus vieux partis du pays : le PTr et le MMM. Par la suite, le PMSD, un parti aussi ancien, est revenu les rejoindre. Nous sommes fiers de notre parcours qui a été digne. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli. Le MP est aujourd’hui une force connue de la population. Malheureusement, nous avons connu une crise en chemin. Mais les crises permettent à un parti de s’auto évaluer et permettent également une épuration.
Les départs ne vous ont pas choqué ?
Non. Nous savions qu’il y avait des gens parmi nous qui étaient fatigués de rester dans l’opposition. Depuis leur début, leur agenda était de “cross the floor” pour entrer dans le bateau gouvernemental.
Le MP n’avait-il pas envisagé un passage au gouvernement après le départ du PMSD du pouvoir ?
Au moment de sa création, le MP n’était pas un groupe homogène. Chacun avait quitté le MMM pour des raisons distinctes. Bien sûr, à un certain moment, nous avions subi la pression pour rejoindre le gouvernement en bloc. C’était un courant minoritaire au sein du parti. D’autre part, il y avait une autre tendance pour la création d’une plate-forme afin d’attirer les indignés de la politique et les jeunes. Après la défaite de 2014, nous avions constaté comment certains partis politiques “mainstream” étaient affaiblis, et comment certains bastions étaient effondrés. Nous avions réalisé qu’il y avait un vide politique dans le pays et que l’alliance MMM-PTr avait provoqué la déception dans l’électorat des deux partis. Et après la grande défaite, nous avons réalisé qu’il fallait créer une plate-forme pour attirer un segment de l’électorat. Nous avons fait notre petit bonhomme de chemin et nous sommes restés un parti politique de proximité. Pour nous, la proximité constitue le socle de tout parti politique et un projet de société humanisante. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits de notre bilan. Au Parlement, nous avons apporté de nouvelles idées et de nouvelles propositions. Nous continuons à recruter des jeunes intellectuels issus de tous les milieux. Nous avons consolidé nos assises dans une dizaine de circonscriptions.
N’avez-vous pas été déçu par la performance du MP lors de la dernière élection partielle à Belle- Rose – Quatre-Bornes ?
Lorsque nous avons décidé de participer à cette élection, nous avions réalisé que cela allait être difficile pour nous. Très peu parmi nous croyaient que nous pouvions faire élire notre candidat. Nous n’avions pas les ressources humaines nécessaires pour affronter une élection. Malgré tous ces risques, nous sommes entrés dans la campagne et y avons cru jusqu’au bout. Nous avions présenté Tania Diolle, une jeune universitaire qui avait eu le courage de démissionner de ses fonctions de chargée de cours et qui symbolise le renouveau. En fin de compte, malgré toutes ces contraintes, nous avons eu une performance très honorable.
Le MMM a récemment renouvelé ses instances et c’est la première fois que vous ne participez pas à ces élections internes. Avez-vous suivi ce qui s’est passé ?
J’ai tourné la page sur le MMM. J’ai pris connaissance de ce qui se passait comme tous les citoyens à travers les journaux, sur Internet. I am not unduly concerned. Le MMM, c’est le passé pour moi. Je réalise malheureusement qu’il est entré dans une phase d’instabilité chronique. C’est le résultat du fonctionnement de la direction du MMM. Je ne veux pas dire plus. Paul Bérenger doit réaliser aujourd’hui que ceux qui ont provoqué mon départ de ce parti avaient tort. Depuis notre départ en 2014, le MMM n’a jamais réussi à remonter la pente. C’est triste pour la démocratie qu’un parti qui a autant influencé la politique de notre pays se retrouve dans une telle situation aujourd’hui. Aujourd’hui, au sein du MMM, je constate une division entre la ville et les régions rurales.
Pourtant, de temps en temps, un retour éventuel d’Alan Ganoo au MMM a fait surface ?
Souvent, les amis du MMM me demandent pourquoi je ne retourne pas au bercail. C’est vrai. Très souvent durant ces trois ans et demi, il y a eu des militants aussi bien de la base que du sommet qui m’ont demandé si avec l’évolution de la situation, je ne devais pas réfléchir à la possibilité de mon retour. J’ai quitté le MMM parce que je sentais que j’étais victime d’une injustice. J’ai servi le MMM loyalement et fidèlement. Lorsque je vois le chantage qu’on fait avec Paul Bérenger, je me dis que si j’étais au MMM, cela m’aurait attristé. Ce dernier doit se rappeler ce que veulent dire l’honnêteté, la fidélité. Je n’ai jamais fait de chantage contre le leader de ce parti. J’ai fait honneur au MMM. J’ai remplacé Bérenger comme leader de l’opposition lorsqu’il était malade et j’ai mon travail honorablement. En 2010, j’étais le seul député élu à la campagne contre l’alliance bleu-blanc-rouge. On m’a humilié en 2014 après les élections alors que je n’avais aucun agenda pour usurper n’importe quelle position. Je suis un militant et un homme de gauche. C’est armé de ces principes que j’ai conquis une circonscription qui n’était pas nécessairement MMM et qu’aujourd’hui je suis une force incontournable dans cette circonscription. Je n’ai pas d’ambitions démesurées comme certains dans l’entourage du leader du MMM aujourd’hui.
Lorsque Paul Bérenger avait lancé l’idée de l’alliance des partis de gauche, est-ce que vous vous êtes senti interpellé ?
L’idée d’une alliance des partis de gauche n’est pas exclue pour le MP mais dans la pratique, c’est un projet comme celui de la réunification qui est irréaliste.
Pourquoi ?
C’est irréaliste en raison de l’ego des hommes politiques. Est-ce que politiquement, le ML peut se retrouver dans une alliance de partis de gauche ? Deuxièmement, est-ce que le différend entre les dissidents et Bérenger a atteint une voie de non-retour ? Quant à nous, au MP, nous ne faisons pas la politique sur une base personnelle. Au MP, la décision que nous prendrons sera basée sur l’intérêt supérieur du pays. Nous avons des principes et avons un programme et c’est sur la base de cela que nous déciderons ce que nous ferons pour les prochaines élections. Pour nous, l’île Maurice de demain doit être un pays où la sécurité publique est assurée, où la corruption est combattue sans relâche, où les institutions travaillent sans aucune interférence et aucune manipulation et finalement, elle doit être solidaire et humanisante.
Voyez-vous le MP en alliance avec le MSM par exemple ?
Lorsque le MSM avait remporté les élections en 2014, il avait un capital de sympathie extraordinaire. Il a dilapidé ce capital de sympathie. Il n’a pas réussi à honorer les promesses faites à la population. C’est vrai que la population n’était pas d’accord en 2014 avec l’alliance MMM – PTr, particulièrement avec certaines propositions de cette alliance. La population avait, par conséquent, gobé les promesses qui avaient été faites mais qui n’ont pas été réalisées. Il est vrai que depuis l’arrivée de Pravind Jugnauth, il n’y a pas eu l’instabilité politique qui avait secoué ce gouvernement depuis janvier 2015. Mais même sous le règne de ce dernier, il y a eu une cascade de scandales, de népotisme, de fraudes et de corruption. Les prochaines élections devraient sourire à l’équipe qui arrivera à exterminer la corruption et à instaurer un nouvel ordre moral dans le pays.
Puisque vous ne pourriez pas vous présenter seul aux élections, il ne vous reste que le PTr et le PMSD à moins qu’il y ait l’émergence d’une nouvelle force….
Je suis convaincu qu’une nouvelle plate-forme peut émerger en rassemblant certaines compétences que les partis de l’opposition disposent, faisant aussi place à de nouvelles têtes. Cela est possible. Le MP souhaite qu’un tel projet se réalise. On a parlé de rupture. Je ne suis pas en train d’utiliser ce terme mais il faut qu’il y ait une équipe disposée à “rock the boat”, secouer tout ce qu’il faut, sortir des sentiers battus à tous les niveaux, que ce soit pour le modèle économique et l’écologie, la moralisation de la politique, le contrôle des dépenses gouvernementales injustifiées et la bonne gouvernance. Cette équipe doit intérioriser la possibilité qu’elle sera là juste pour cinq ans parce qu’elle ne doit pas céder à la tentation de la facilité, du clientélisme et du populisme.
Est-ce que les membres du collectif Plateforme pour un nouveau MMM ont frappé à la porte du MP ?
Nous avons eu des discussions avec certains dirigeants de la nouvelle Plateforme. Nous suivons notre parcours. Nous avons suivi de près la crise au MMM. Steven Obeegadoo était un des camarades qui étaient avec nous en 2014. Il avait exprimé le vœu de faire partie du groupe de dissidents à l’époque, mais il a choisi par la suite de rester au sein de ce parti. Il y a eu des contacts avec le MP d’autant plus que nous pratiquons la même profession. À ce jour, nous les laissons faire leur travail. L’avenir prendra soin de l’avenir. Au moment venu, s’il y a une communion entre ce groupe et le MP, les choses évolueront.
Aujourd’hui, le MP ne prétend pas être la seule force qui changera le destin de ce pays. Nous sommes une force ouverte. Nous continuons à accueillir les amis de toutes les origines politiques.
Le MMM et le PTr envisagent d’aller seuls aux élections. Qu’en pensez-vous?
Pour le MMM, aller aux élections dans l’état où il se trouve constituerait un hara-kiri. Il est l’ombre de ce qu’il était il y a une dizaine d’années. A moins qu’il veuille rester dans l’opposition éternellement.
Le PTr a reconquis son électorat même s’il n’a pas refait le plein. Beaucoup de ceux qui étaient partis en 2014 sont retournés au bercail. Il peut se présenter seul aux élections sans nécessairement les remporter. Il peut faire bonne figure. Quant au MSM, il s’est toujours accroché à une locomotive pour être au pouvoir. Je doute que le MSM puisse aller seul.
Comment la situation va-t-elle évoluer à votre avis ?
La situation politique sera appelée à évoluer dans les mois qui viennent jusqu’aux prochaines élections. La confusion politique persistera d’autant que nous avons des affaires en cours qui arrivent et qui pourront influencer la situation politique à Maurice et pourront changer les données. Il est encore tôt pour pouvoir prédire ce qui se passera pour les élections générales. Dans une lutte à trois, il est difficile de voir le MMM ou le MSM remporter seul les élections générales.
Un mot sur la réforme électorale?
Plus le temps passe, plus je rejoins les rangs des pessimistes quant à la possibilité d’avoir une réforme digne de ce nom avant les prochaines élections générales. Aucune réforme ne pourra se faire si elle n’est pas conceptualisée sur la base d’un consensus national. Il semble que le gouvernement veut imposer sa conception de réforme électorale. Il ne semble pas qu’il y aura un consensus sur le modèle que veut proposer le gouvernement. De plus, le gouvernement ne dispose pas d’une majorité de trois quarts. Ce qui est plus regrettable, c’est que seule une réforme électorale aurait permis aux partis politiques de se présenter seul aux élections.