Notre invitée de ce dimanche est Shati Bai Hanoomanjee, la Speaker de l’Assemblée nationale. Dans cette interview réalisée vendredi matin, Maya Hanomanjee répond aux nombreuses critiques de l’opposition sur sa manière de mener les travaux parlementaires. Des critiques qui, pour elle, ont pour objectif de dégrader son image, mais qui n’auront aucun effet sur sa détermination à continuer à diriger les travaux du Parlement.
Présider les travaux du Parlement est-il un travail difficile ?
Pas pour moi. Le président doit veiller à ce que le Parlement travaille en toute sérénité. Il faut que le président comprenne ce que veulent les parlementaires afin qu’il puisse réagir face aux situations qui se présentent. Il est en face de 70 parlementaires, chacun avec ses spécificités et son propre agenda, c’est là que se situe le problème.
Le président du Parlement ne devrait-il pas avoir une connaissance légale pour faire son job qui est de gérer ceux qui font les lois ?
Pas forcément. Par contre, il doit connaître les standing orders, être capable de comprendre tous les textes de loi proposés, les intentions de ceux qui les ont rédigés pour pouvoir organiser le débat. C’est la même chose pour les questions parlementaires qui doivent respecter un paramètre bien défini tout en permettant une certaine flexibilité. J’ai passé trente-trois ans au service du gouvernement où, en tant que Secrétaire permanent, j’ai rédigé le premier jet des lois que présentaient les ministres avant de les envoyer au State Law Office. Je préparais les réponses aux questions parlementaires et devais connaître les standings orders du Parlement pour conseiller les ministres. Par la suite, j’ai été députée de l’opposition, puis ministre avant de devenir Speaker. Je crois que j’ai les connaissances voulues, acquises par une longue pratique, pour faire le job, comme vous dites. D’autant qu’avant de prêter serment, j’ai lu tous les rulings de mes prédécesseurs et ceux d’Herskine May depuis 1968.
Vous avez souvent dit que vous êtes systématiquement remise en question par l’opposition. Mais n’est-ce pas normal dans le contexte politique mauricien où tout est politisé, parfois à outrance. Vous avez été quand même une candidate battue qui est la cousine et la tante du Premier ministre. Est-ce que les critiques ne viennent pas de là ?
Tout d’abord, mon cheminement professionnel et politique n’a rien à voir avec le fait que je sois la cousine de l’ex et la tante de l’actuel premier ministre. J’ai commencé dans la fonction publique au bas de l’échelle, je suis montée étape par étape et j’ai eu des promotions par mon mérite et mon expérience. Même dans la politique je me suis battue au sein de l’appareil du parti et sur le terrain pour me faire élire en 2005, ce qui n’était pas facile. J’ai fait cinq ans dans l’opposition avant d’être nommée ministre en 2010 sur la base de la compétence de la fonction publique, pas sur mes liens familiaux. On oublie aussi de dire que plusieurs des précédents Speakers étaient eux aussi des candidats battus. Tout comme on oublie de reconnaître l’énorme travail que j’ai fait comme Speaker depuis trois ans et demi.
Allons-y pour un bilan rapide. Qu’avez-vous fait depuis votre nomination au poste de Speaker.
Tout d’abord, j’ai fait ce qui n’avait jamais été fait depuis l’Indépendance : j’ai donné un bureau et un staff au leader de l’opposition, qui occupe un poste constitutionnel, dans l’enceinte du Parlement. J’ai créé le gender caucus pour réunir tous les parlementaires et organiser leurs missions à l’étranger. La Parlement avait approuvé une motion du Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, pour que les travaux parlementaires soient diffusés en direct à la télévision. Avec mon équipe, nous avons réalisé le projet et, aujourd’hui, le Mauricien peut suivre en direct, et dans les meilleures conditions techniques possible, les travaux parlementaires. Nous avons construit un studio ultramoderne et formé une équipe pour cette retransmission qui, je peux vous le garantir, est très suivie.
Comment expliquez-vous le fait que l’on ne retient de vous que l’image de la maîtresse d’école qui n’arrive pas à gérer sa classe et qui hurle « order, order ! » comme on le voit à la télévision à chaque séance du Parlement?
Ce serait plutôt à ceux qui vendent cette mauvaise image de moi qu’il faudrait aller poser la question. Il faudrait aussi poser la question à la presse qui publie les critiques de l’opposition sans les vérifier avant. Je ne suis pas d’accord quand vous dites que le Parlement est une grande classe de 70 élèves où il y a beaucoup de turbulents. Au Parlement nous avons affaire à des adultes, dont des parlementaires de longue date. Ce n’est pas du tout la même chose. Vous dites que je crie, mais je suis obligé de le faire. Vous entendez à la télévision la voix d’une femme, plus faible que celle d’un homme, qui essaye de se faire entendre face à 70 personnes dont la moitié parle en même temps en se disputant. Je suis obligée de crier pour essayer de ramener l’ordre.
Et, en plus, comme seul votre micro est ouvert quand vous vous levez et que la caméra est braquée sur vous, à la télévision on n’entend que vos cris et pas ce que disent – et parfois hurlent – les parlementaires. C’est ainsi que quand l’ex-honorable Bhadain a montré son postérieur, on a vu votre réaction, pas son geste. Et il semble que l’opposition fait exprès de vous provoquer pour vous faire crier et vous tombez dans le piège…
Il faut reconnaître que quand je demande à un membre de la majorité, qu’il soit ministre, ministre mentor ou même Premier ministre, de retirer un mot que je juge unparliamentary, il le fait. Bien que je ne donne pas souvent la parole au député Rutnah, qui la demande avec insistance, il accepte mon jugement. La majorité accepte mes rulings parce qu’elle respecte l’institution qu’est la présidence du Parlement, ce n’est pas le cas de l’opposition. Son objectif est de chercher systématiquement la confrontation avec moi.
Vous avez été, dans le passé, membre de l’opposition. Est-ce que ce n’est pas de bonne guerre que de contester la présidence, surtout quand elle est perçue comme faisant le jeu du gouvernement ?
Je vous invite à aller feuilleter Le Hansard pour voir comment je me comportais quand j’étais dans l’opposition. Jamais je ne me suis mise debout pour reprocher au Speaker de ne pas me donner la parole, et je peux vous dire, avec du recul, que je ne l’ai pas souvent eue. Avec mes camarades, nous respections le Speaker et nous n’avons jamais cherché la confrontation avec lui. Nous avons respecté le jeu démocratique.
Qu’est-ce qui a donc changé entre la dernière législature et celle-ci ?
Je pense que c’est une question d’attitude et de mentalité. Qui est le député qui ne sait pas que quand le Speaker se met debout tous les parlementaires doivent s’asseoir ? Les vétérans du Parlement qui ont été Premier ministre, ministre, Speaker, députés, ou récemment Deputy Speaker, comme M. Adrien Duval, ne le savent-ils pas ? Pourquoi ne respectent-ils pas cette règle de base du Parlement, dont ils disent vouloir rétablir la crédibilité ? Allez leur poser la question.
Ils disent que vous êtes beaucoup plus sévère pour l’opposition que vous ne l’êtes avec les membres de la majorité…
Je les mets au défi de venir prouver par des faits établis ces fausses accusations. Tous les travaux du Parlement sont enregistrés et archivés et je leur demande donc de venir démontrer mon supposé parti-pris. D’ailleurs, je vous rappelle que l’opposition avait déposé une motion de blâme contre moi et que ses auteurs n’ont même pas pu la soutenir et la faire voter. Ils veulent créer la perception que je suis de parti-pris, que je ne maîtrise pas les standings orders, mais ils ne peuvent le démontrer. Le niveau du Parlement ne dépend pas que du Speaker, mais aussi et surtout des parlementaires, et de leur comportement. Un comportement que, il faut le souligner, les Mauriciens peuvent suivre en direct à la télévision et faire leur propre jugement sur leurs élus.
N’aidez-vous pas l’opposition dans la diffusion de cette mauvaise perception en expulsant au moins un parlementaire de l’opposition par semaine ?
Je n’ai pas le choix et je vais être obligée de continuer, si rien ne change.
Paul Bérenger dit que vous regardez d’un seul côté et n’entendez que d’une oreille, tous deux dirigés vers les bancs de la majorité. D’autres députés disent qu’ils sont fatigués de lever la main sans pouvoir attirer votre attention. Vous dites que ce n’est pas vrai. C’est une incompréhension qui dure depuis plus de trois ans…
Je ne crois pas que ce soit une incompréhension. Je pense que cela fait partie d’un agenda politique bien calculé pour essayer de ruiner la crédibilité de la présidence du Parlement. Mais, comme vous avez pu le constater, je n’ai aucune intention de danser sur le rythme choisi par l’opposition. Laissez-moi vous donner un exemple précis. J’ai expulsé Rajesh Bhagwan pour la première fois parce que, quand je lui ai refusé une question supplémentaire, il m’a dit que quand j’étais dans l’opposition j’en posais vingt. Mais cela n’a rien à voir et en plus ce n’est pas vrai. Il voulait tout simplement chercher une confrontation et a refusé de s’asseoir quand j’étais debout, ce qui était une faute selon les standing orders. Une faute que certains membres de l’opposition font systématiquement aujourd’hui.
Vous pensez qu’ils le font parce que vous êtes une femme ?
Je ne veux pas entrer dans cette discussion. Quand je préside les travaux du Parlement, je ne suis ni homme ni femme, je suis le Speaker, point à la ligne. Je travaille selon les paramètres de la fonction et je vais continuer à le faire, quoi que l’on puisse dire, pour que les travaux du Parlement puissent se poursuivre. Si un membre cherche la confrontation ou bloque le travail du Parlement pour un gain politique, je vais agir. C’est pour cette raison que j’ai accepté cette interview pour faire savoir ce qui se passe réellement au Parlement, pour faire entendre l’autre son de cloche, rétablir les faits et montrer à quel point je respecte les paramètres, fais preuve de patience et cherche à éviter la confrontation et l’expulsion d’un membre.
Donnez-nous un exemple précis de votre patience pour éviter la confrontation et l’expulsion d’un parlementaire…
Prenons le cas de la dernière expulsion d’Alan Ganoo. Allez consulter Le Hansard. Ce jour-là je lui ai demandé une douzaine fois de s’asseoir, mais il a systématiquement refusé.
Il affirme que, du fait que vous avez été adversaires politiques aux dernières élections, vous ne lui donnez pas la parole au Parlement…
Voulez-vous que je vous montre combien de fois Alan Ganoo a posé des questions au Parlement depuis 2015 ? Revenons à sa dernière expulsion, qui découle d’une question posée par le député Armance, sur laquelle plusieurs députés sont intervenu. Après six questions supplémentaires, Alan Ganoo a voulu en poser une autre, alors que j’étais passée à la suivante. Il s’est mis debout m’a reproché la manière de conduire les débats. Cette plainte ne devait pas être traitée là et je le lui ai dit. Il a persisté, m’a dit qu’il avait le droit poser une question supplémentaire, parce qu’il était un élu du Parlement. Mais les standing orders précisent que c’est le Speaker qui décide de la pertinence et du nombre de questions supplémentaires. Il a persisté à se tenir debout en dépit du fait qu’en douze fois je lui ai demandé de s’asseoir et comme il ne le faisait pas, je lui ai donné un warning. Il a persisté, a continué à parler et j’ai été obligée de réagir. Comme le veut la procédure le Leader of the house a demandé et obtenu que le Parlement l’expulse pour plusieurs séances.
Vous vous rendez compte du temps de travail que le Parlement perd chaque semaine avec ces confrontations/expulsions ?
Evidemment que je m’en rends compte et je fais tout pour l’éviter. La place des parlementaires est au Parlement pour défendre ceux qui les ont élus, pas au dehors. On dirait qu’au lieu de faire leur travail, certains députés font tout pour être expulsés !
Ces critiques vous irritent-elles, vous blessent-elles, ou vous dites-vous que…
Pour moi, un Parlement ne peut, ne doit pas être un Parlement aseptisé. Il doit y avoir des chamailleries, des affrontements, mais tout doit se passer dans les paramètres définis. Je répète que les parlementaires ont été élus pour défendre et faire connaître les problèmes de ceux qui ont voté pour eux. En créant la confrontation, en cherchant l’expulsion ou la suspension, ils ne font pas le travail pour lequel ils ont été élus.
On vous a aussi reproché d’avoir réduit le temps de l’examen en comité du budget pour satisfaire l’agenda gouvernemental…
Pas du tout. Le temps alloué aux débats budgétaires et à l’examen en comité fait l’objet d’un accord avec les deux Whips. Le temps des débats était de 45 heures moins les discours du ministre des Finances et du leader de l’opposition. Le temps restant a été divisé et a fait l’objet d’un accord signé et je dois veiller à ce que l’accord soit respecté. Cette année, les débats ont duré plus de 49 heures au lieu des 45…
Sans doute à cause des plus de deux heures du discours du ministre Mentor…
Pas du tout. Nous sommes arrivés à 49 heures de débats pour diverses raisons. En ce qui concerne l’examen en comité, les parlementaires qui l’ont voulu ont eu le temps pour le faire. Et on dit que j’ai écourté le temps de parole de l’opposition !
Le nouveau Deputy Speaker semble avoir, lui aussi, attrapé le virus de l’expulsion. Il l’a fait en décrétant que Paul Bérenger avait utilisé un unparliamentary word : “Pinocchio”. Quelle est la définition d’un un parliamentary word ?
Il ne s’agit pas que d’un mot. Il s’agit d’un mot prononcé dans un contexte avec plusieurs considérations à prendre en compte. De manière générale, je ne trouve pas juste que quelqu’un fasse une remarque ou donne un sobriquet à un autre en se fondant sur son physique et ses manières ou sa profession. Ça relève plus de la cour d’école que du Parlement.
Alan Ganoo, encore lui, a déclaré que pour plus de démocratie parlementaire, il aurait fallu que le Deputy Speaker vienne des rangs de l’opposition. Que pensez-vous de cette proposition ?
Je ne me prononcerai pas sur cette question. Mais je voudrais quand même dire que notre système parlementaire a fait ses preuves. Cependant le Parlement est dynamique et il est appelé à changer au fil des années. Il existe une procédure pour cela : qu’une motion soit déposée pour amender les standing orders et que le Parlement soit appelé à se prononcer sur la question.
Peut-on dire que le poste de Speaker vous a donné le plus de satisfaction dans votre parcours professionnel ?
Chaque étape de ce parcours, qui n’a pas été facile, m’a donné des satisfactions. En tant que PS, j’ai été amené à conseiller les ministres sur leurs politiques…
Ça ne se fait plus aujourd’hui et c’est pourquoi vous avez qualifié certains conseillers ministériels de “gopia” ?
Je ne vais pas vous suivre sur le terrain de la polémique. A l’époque, je rédigeais les réponses des ministres et il y avait des paramètres à respecter en termes de longueur, de contenu, de précision et de concision. J’ai demandé, à plusieurs reprises, que ces paramètres soient respectés pour la bonne marche des travaux parlementaires. Pour en revenir à votre question, je dirai que tout au long de ma carrière j’ai eu beaucoup de satisfactions à pouvoir participer, à mon niveau, à l’avancement du pays. Je crois que j’ai encore beaucoup à donner, dans les limites de ma fonction.
Parlons de votre avenir pour terminer. N’envisagez-vous pas de revenir à la politique active et de briguer un siège de députée après votre mandat de Speaker ?
Je n’ai pas encore pris de décision.
Parce que pour vous c’est une possibilité ?
Je n’exclus pas cette possibilité. Mais d’abord il faudra que je consulte mes enfants qui m’ont toujours reproché de ne pas leur avoir consacré suffisamment de temps et de passer plus de temps au bureau que chez moi. On commence aussi à me dire que je ne consacre pas assez de temps à mes petits-enfants.
Avez-vous le tempérament voulu pour jouer et raconter des histoires à vos petits-enfants ?
J’ai toujours été très occupée tout au long de ma vie et j’ai une expérience que je pourrai mettre au service du pays. Pour le moment, je ne peux pas répondre de façon précise à votre question. Mais en ce qui concerne le poste de Speaker, je vais continuer à présider le Parlement en suivant les paramètres que me donnent les standing orders, comme je le fais depuis 2015.