Anooradah Poorun, âgée de 58 ans, était une femme comme les autres. Employée dans une usine de textile dans le Sud du pays, elle s’est, du jour au lendemain, retrouvée au chômage. Des événements qui ont suivi, l’ont poussée à devenir travailleuse sociale et par la suite chef d’entreprise. Elle a alors ouvert Secret Grand-Mère, une entreprise spécialisée dans la production de tisanes et qui fonctionne sous son association APEDED.
Anooradah Poorun menait autrefois une vie simple et réussie. Elle a été employée d’usine de textile. « Je compte vingt années de carrière dans le textile. J’avais pris de l’emploi comme “Clerk” dans une usine de textile et j’ai terminé ma carrière comme consultante, en passant par le poste de “Supervisor”, “Manager” et “Branch Manager”. Mon métier était ma passion. Malheureusement, les usines pour lesquelles je travaillais ont dû fermer leurs portes », relate Anooradah. Elle se retrouve ainsi, du jour au lendemain, au chômage.
Originaire de Chemin-Grenier, Anooradah décide d’aller vivre à Curepipe afin que son fils puisse fréquenter une bonne école maternelle.
« À Chemin-Grenier, il n’y avait pas d’école préprimaire bien équipée. Je voulais que mon fils fréquente une bonne école. J’ai donc pris la décision d’aller habiter à Curepipe », explique-t-elle. Anooradah a alors transformé sa maison à Chemin-Grenier en une école préprimaire. « Initialement, je ne savais quoi faire de ma maison. Je ne voulais surtout pas la vendre ni la louer. Vu que cet endroit manquait une bonne école maternelle, je me suis dit pourquoi ne pas en ouvrir une », relate-t-elle. C’était une école payante.
Malheureusement, Anooradah se voit avec seulement quatre enfants. Elle décide de mener une petite enquête dans l’endroit et réalise qu’avec la fermeture des usines dans les environs, beaucoup de parents se sont retrouvés au chômage et n’ont pas les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école. « La pauvreté dominait dans cet endroit. Donc, j’ai décidé d’offrir une éducation gratuite à des enfants afin qu’ils puissent venir à l’école. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas dans le social », explique-t-elle.
APEDED voit le jour en 1996
En 1996, elle lance son association qu’elle baptise Association pour l’éducation des enfants défavorisés (APEDED). De bouche à l’oreille, la nouvelle se répand dans le village. Anooradah se retrouve avec 55 enfants dans son école. « J’ai dû chercher des sponsors pour financer mon école. Mais on m’a expliqué qu’il fallait que mon association soit enregistrée comme une organisation non gouvernementale pour bénéficier des facilités financières. En 2002, APEDED devient officiellement une Ong », dit-elle. Au fil des années, Anooradah réalise que certains parents envoient tous leurs enfants à son école. Elle les convoque à une réunion.
« Nous avons procédé à un “brainstorming” afin d’aider ces parents, plus précisément les mamans, à trouver une solution à leur problème de chômage. Je leur ai proposé de lancer une entreprise où elles pourront travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. Elles étaient toutes positives à cette idée. Chacune a apporté son idée. Certaines ont parlé de produits d’artisanat, d’autres de couture ou de cuisine. Mais, pour moi, c’était des idées trop communes. Je leur ai alors proposé qu’on lance une entreprise dans la production de plantes médicinales », fait part Anooradah.
Avec le soutien de ces femmes au foyer, Anooradah se lance dans une nouvelle aventure. Grâce au financement du Global Environment Facility Small Ground Programme (GEFSGP), elle lance son entreprise qu’elle baptise Secret Grand-Mère car c’est une entreprise spécialisée dans la production de remèdes de grand-mère. « Autrefois, les gens se fiaient beaucoup aux remèdes de grand-mère. Or, de nos jours, les jeunes savent très peu sur ces moyens de guérison », précise-t-elle. Elle construit une serre où ses employées cultivent plusieurs plantes médicinales, dont la citronnelle, la menthe, le tulsi, le bétel, le “caripoule” et le baume du Pérou. Secret Grand-Mère produit une vingtaine de variétés de plantes médicinales.
Initialement, le commerce se limitait à cultiver et à vendre ces plantes. Bientôt Anooradah réalise que l’entreprise ne pourra évoluer ainsi. « Nous cultivions beaucoup de plantes mais nous n’arrivions pas à toutes les vendre. Donc, je me suis dit pourquoi ne pas innover et produire des tisanes. Nous avons ainsi fait l’acquisition d’un déshydrateur. Je dois préciser que les facilités et équipements que nous avons obtenus pour l’entreprise ont été offerts à l’APEDED. Notre entreprise fonctionne sous cette association », dit-elle.
Aider les femmes au foyer
Anooradah emploie une vingtaine de femmes issues d’un milieu défavorisé. « Elles cultivent elles-mêmes les plantes médicinales et les transforment en tisanes, mélange de trois plantes médicinales, dans notre petite usine aménagée à l’étage de mon école maternelle. De plus, j’ai offert des plantes médicinales à plusieurs femmes au foyer du village ainsi que des endroits avoisinants, afin qu’elles les cultivent chez elles. J’ai besoin d’une importante quantité de feuilles pour produire mes tisanes et les plantes cultivées dans la serre ne suffisent pas. Ainsi, j’ai trouvé un moyen pour obtenir plus de feuilles et de plantes et j’ai ensuite initié plusieurs femmes à l’entrepreneuriat. Je leur ai fourni une formation afin qu’elles cultivent selon les normes et la demande de notre entreprise », souligne notre travailleuse sociale devenue chef d’entreprise.
Ce projet a été aussi étendu dans dix collèges, dont huit à Maurice et deux à Rodrigues. « Les deux écoles à Rodrigues produisent leurs plantes médicinales et les vendent. L’argent recueilli sert à investir dans les besoins de l’école. À Maurice, nous achetons les plantes, surtout les feuilles, de ces établissements scolaires. Deux Ong sont aussi impliquées, à savoir l’APEIM et la Maison familiale Rural du Nord », explique notre interlocutrice. Anooradah, ambitieuse et déterminée à faire réussir son entreprise, continue à entamer des recherches et participe à plusieurs formations afin de rendre ses produits plus connus. Elle se rend en Inde pour suivre une formation de trois ans à Jaipur, sur les plantes médicinales et leurs propriétés. Puis, elle est allée faire son doctorat en naturopathie à l’Indian Board of Alternative Medicine, en Inde. Elle a aussi participé à une foire internationale en Chine, où elle a réalisé qu’il fallait améliorer son emballage, qui était en français.
«Je voulais toucher le marché international et il fallait améliorer mon emballage. Aujourd’hui, mes produits se vendent dans tous les supermarchés de Winner’s. Nous sommes aussi dans l’exportation, vers la Chine, la France, La Réunion, Madagascar, les Seychelles et l’Australie. J’ai pu attirer cette clientèle grâce à la SMEDA, qui avait organisé des rencontres avec des entrepreneurs étrangers », explique-t-elle. À noter que cette entreprise produit sa propre électricité, grâce aux panneaux voltaïques installés sur le toit de l’usine. « Nous produisons jusqu’à 10 MW annuellement. Nous utilisons une partie de l’électricité et le reste est vendu au Central Electricty Board », dit-elle.
Projets d’avenir
Comme projets d’avenir, Anooradah compte créer un site Web pour son entreprise afin qu’elle soit plus visible sur le marché international. Parallèlement, elle souhaite obtenir l’“eco certification”. De plus, elle souhaite agrandir son entreprise afin d’employer plus de femmes de son village. « Actuellement, l’entreprise compte vingt employées mais je voudrais bien atteindre la cinquantaine », conclut-elle.