EMMANUEL BLACKBURN
Le mouvement Affirmative Action (AA) est poussé sous les feux des projecteurs par la première problématique qu’il aborde, notamment la discrimination raciale dont souffriraient particulièrement les créoles. L’enjeu est de taille eu égard au poids conséquent de cet électorat que se disputent le MMM et le PMSD. Dans ce contexte les amis de José Moirt ont le mérite d’aborder, sans complexe, un sujet sensible, souvent traité avec frilosité quand il n’est pas carrément occulté. Ils éviteront néanmoins de l’appeler par le nom que lui avait trouvé feu père Roger Cerveaux: le malaise créole.
En fait, Affirmative Action reprend la lutte menée en amont par d’autres, un engagement nécessaire car tout individu – et par extension, tout groupe – n’acquiert des droits que dans la mesure où il se bat pour les conquérir. Le danger d’un repli identitaire aurait pu guetter mais la démarche d’Affirmative Action bénéficie fort heureusement du gage d’associations dotées d’un mauricianisme incontestable: Les amis d’Agaléga, le Collectif Arc-en-ciel, l’Observatoire de la Démocratie et la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé.
Ce combat s’apparente à ceux, épiques et sains, menés par l’Arya Samaj de Manilal Doctor, envoyé à Maurice par Gandhi pour forger une conscience collective hindoue dans la lutte pour des droits sociaux, économiques et politiques. Le Jan Andolan de Basdeo Bissoondoyal s’inscrira dans la même perspective. Des mouvements qui n’auraient pas succombé à la tentation d’entrer dans une dynamique sectaire.
Cependant, le mal hideux dont il est question semble toutefois incurable et deux gouttes d’eau vont faire déborder le vase: (a) en novembre 2017 quand un vice-premier ministre, pourtant dépositaire des droits de tous les citoyens indistinctement, aurait soutenu qu’allouer des maisons à des familles créoles signifierait la prolifération de la prostitution et (b) les propos racistes anti-créoles qui envahissent les réseaux sociaux suite au passage du cyclone Berguitta en janvier 2018. Deux faits provoquant la création d’Affirmative Action qui, disant ‘enough is enough’, déterre alors les passe-droits: le caractère discriminatoire du recrutement dans le secteur public où les créoles seraient sous-représentés, leur classement dans la poubelle ‘Population Générale’, catégorie implicitement inférieure et qui nie leur existence, un système électoral inique où la nomination des Best Losers est faussée car effectuée sur la base d’un recensement datant de 1972, la complaisance évidente de l’Equal Opportunities Commission depuis le départ de Brian Glover, le ‘délit’ de faciès et les tracasseries policières auxquelles est confronté le rasta, composante de la communauté créole, l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des Agaléens dont le sort serait scellé dans un accord secret avec l’Inde, les nominations politiques dans les corps paraétatiques, etc.
Les maux sont diagnostiqués, leur cause identifiée ; toutefois de manière erronée. En effet, rejeter tout le blâme – ou presque – sur une structure premier-ministérielle omnipotente, c’est aller trop vite en besogne. Certes, le sommet de l’État est caractérisé par une absence de leadership, accentuée par un Premier ministre, qui penserait à tort que la vertu dans le domaine privé efface le déficit d’une vie publique. Mais nous ne cesserons de le répéter: les trop nombreux dysfonctionnements sont d’abord l’œuvre de fonctionnaires et nominés serviles, à l’échine souple, et incapables d’un iota d’esprit d’indépendance, d’une police championne de la partialité ouvrant ainsi la voie à toutes les dérives. Viennent ensuite les lobbies toxiques qui se nourrissent de l’absence d’éthique de nombreux de nos hommes/femmes politiques. Sans oublier l’apathie d’un peuple n’ayant pas le temps de réfléchir et, partant, de s’indigner, trop pris avec le prochain match de la ligue anglaise ou le résultat du loto.
Une situation désespérante mais qui s’explique: l’exemple vient d’en haut! D’une ex-présidente bénéficiant d’une retraite plus que confortable malgré ses écarts, à l’ensemble des députés (gouvernement et opposition confondus) s’accordant avec indécence des augmentations salariales, en passant par certains membres de lakwizinn s’auto-octroyant de multiples avantages. Oui, la société a fait de l’acquisition des richesses un critère de réussite, l’individu lui a tout naturellement emboîté le pas.
Mais c’est quand il n’y a plus rien à espérer qu’il ne faut désespérer de rien, dit-on. Affirmative Action doit ainsi s’inspirer de Chateaubriand et « économiser son mépris en raison du nombre de nécessiteux » pour pouvoir représenter une chance pour le pays. Son essence ‘apolitique’ devrait lui éviter les compromis et les trahisons inhérents, est-on tenté d’écrire, à la politicaille. Ensuite sa stratégie annoncée d’organisation et de formation est susceptible de transformer les moutons ne se défendant qu’avec des soupirs en des citoyens informés, donc armés pour nourrir le débat démocratique. Dans le respect de l’autre. Dans le refus d’entrer dans l’avenir à reculons, les yeux braqués sur le passé et en faisant leurs les propos de St-Exupéry: « celui qui est différent de moi, loin de me léser, il m’enrichit ». C’est ainsi que s’érigent les passerelles, qu’une nation est fondée, que l’avenir d’un pays est assuré.