Le président et CEO de l’IATA, Alexandre de Juniac, était à Maurice mardi à l’occasion de l’Aviation day Mauritius organisé conjointement par Air Mauritius et IATA. Il a, à cette occasion, évoqué plusieurs points pertinents pour l’industrie de l’aviation à Maurice dont la nécessité que le développement aéroportuaire se fasse dans le dialogue avec les compagnies aériennes et que soit créé un organisme de réglementation indépendant consacré à la compétitivité des redevances aéroportuaires et aériennes.
Vous avez terminé votre discours mardi par la déclaration selon laquelle “aviation is the business of freedom”. Ce qui nous renvoie à l’ouverture du ciel qui fait peur aux compagnies nationales…
L’“open sky” est ma devise. C’est un sujet qui est controversé au sein de notre propre organisation. C’est un sujet qui, au sein de l’IATA, a des opposants et des supporters. Nous n’avons pas de position officielle parce que nos membres sont partagés.
Par contre, le président de la compagnie Air Mauritius a terminé son discours en citant George Orwell qui soutient que « Tous sont égaux mais certains sont plus égaux ».
C’est cela qui fait que ce sujet est controversé. Il y a des gens qui craignent que l’ouverture du ciel les pénalise et qu’ils soient balayés par des organisations plus puissantes qu’eux et mieux organisées. Le fond de la question est là.
Vous parlez du partenariat avec Kenya et l’Afrique du Sud…
L’industrie s’est construite pas à pas depuis 25 ans. Elle a commencé par l’“interline”, c’est-à-dire le “code sharing”. Ensuite elle a fait des alliances. Ce qui permettait de développer le trafic, de renforcer la coopération tout en contournant les dispositions qui empêchent la détention par les intérêts étrangers des compagnies nationales, le “foreign ownership limitation”. Mais il est clair que les partenariats d’Air Mauritius avec South African Airways, Kenya Airways, Air France et Emirates renforcent la connectivité du pays. Cependant, il y a probablement beaucoup de potentiel inexploité. En regardant vers l’Ouest, on constate qu’il existe des possibilités de liaison avec l’Afrique en développement rapide. Il y a certainement plus de connectivité entre Maurice et Dubaï qu’il n’y en a en Afrique. Et en regardant vers l’Est, les liens économiques entre l’Afrique et les marchés asiatiques comme la Chine et l’Inde se développent rapidement. Je comprends que le travail ait commencé il y a quelques années sur un plan visant à relier l’Afrique et l’Asie via Singapour et Maurice. Le volume des liens entre l’Asie et l’Afrique continue de croître. Les nouvelles technologies aéronautiques modifient l’économie des routes longues et fines. Et Maurice est bien placée pour accroître son empreinte en Afrique.
Pensez-vous que Maurice peut être un lien entre l’Asie et l’Afrique ?
Oui, mais cela se construit. Il faut avoir un réseau d’apport, un réseau de connexions. Les grands connecteurs sont comme vous le savez à Dubaï, Abu Dhabi et Qatar. Cela a été construit comme une stratégie consciente. On construit un grand connecteur. Ce qui est très réussi, il faut le reconnaître. C’est une stratégie qui implique tous les acteurs, à savoir la compagnie aérienne, l’aéroport, l’État, le “ground handling”. Tout le monde y était pour cette construction qui a été un succès.
Lorsque vous soulignez que Maurice se classe 116e en termes de “price competitiveness” et 115e en termes de taxes sur les billets, les redevances aéroportuaires et coûts du carburant, est-ce que cela doit interpeller les autorités mauriciennes ?
Le pays est assez développé déjà dans pas mal de domaines ; la banque, les finances, les centres d’appel, les technologies. Ce n’est pas un pays où il n’y a rien. Au contraire. De plus c’est une destination en soi. J’ai cité pas mal de classements dans mon discours. Maurice peut être fier de son solide bilan en matière de sécurité. Il a été évalué à près de 70% lors de la mise en œuvre des normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) dans le cadre du Programme mondial de sécurité aérienne de l’OACI. Bien que le seuil soit supérieur à 60%, l’objectif devrait toujours être de parvenir à une conformité à 100%. L’application des normes mondiales fait partie des engagements de la Déclaration d’Abuja, qui appellent également les États à utiliser l’audit de la sécurité opérationnelle de l’IATA (IOSA). Les 34 transporteurs africains inscrits sur le registre IOSA offrent des niveaux de sécurité de niveau mondial. Et c’est trois fois mieux que les transporteurs africains qui ne figurent pas sur le registre IOSA. Nous demandons aux gouvernements africains de respecter l’engagement pris dans la Déclaration d’Abuja de reconnaître l’IOSA dans leurs cadres réglementaires. Nous travaillons déjà avec le Zimbabwe et le Rwanda à ce sujet. J’encourage Maurice à se joindre à eux pour jouer un rôle de leader.
Par ailleurs, Maurice se classe au 55e rang du rapport sur la compétitivité des voyages et du tourisme du Forum économique mondial. Avec l’Afrique du Sud (53e rang), il est en tête des pays africains. Et il est classé en tête de liste en Afrique pour des éléments tels que l’environnement des affaires, la sécurité et la sûreté, les ressources humaines, etc. Le classement le plus élevé concerne la priorisation des voyages et du tourisme dans la politique gouvernementale. Pour cela, Maurice est un des leaders mondiaux, au numéro 4, juste derrière Malte, Singapour et l’Islande.
La compétitivité des prix fait cependant partie des points les plus faibles. Maurice se classe 116e. Et à la 115e place sur la compétitivité des taxes sur les billets et des redevances aéroportuaires. Maurice est la 89e place sur la compétitivité des prix des carburants. Ce sont de gros problèmes pour les compagnies aériennes. Des politiques visant à améliorer la compétitivité dans ces domaines renforceraient la capacité de l’aviation à générer des avantages économiques.
Vous attachez beaucoup d’importance aux infrastructures…
Les infrastructures jouent également un grand rôle dans la compétitivité. L’aéroport est probablement la piste bétonnée la plus précieuse sur cette île. Le retour sur investissement pour l’économie est immense. L’agrandissement du terminal en 2013 a permis de transporter environ 4 millions de passagers par an. Et en 2017, le nombre de passagers a déjà atteint 3,7 millions. Il n’y a donc pas de temps pour se reposer sur vos lauriers. Le gouvernement se propose d’élaborer un plan directeur d’aéroport pour 9 millions de passagers. Il doit toutefois y avoir un dialogue ouvert avec les compagnies aériennes pour garantir que le développement fournisse une capacité suffisante, une excellence technique alignée sur les besoins des compagnies aériennes et des coûts abordables. La meilleure pratique mondiale consiste à créer un organisme de réglementation indépendant. Il ou elle se concentrerait sur la compétitivité des redevances aéroportuaires et aériennes. Cela se ferait en suivant les principes de l’OACI qui stipulent que les redevances doivent être non discriminatoires, liées aux coûts, transparentes et convenues en consultation avec les usagers des compagnies aériennes.
IATA a toujours été à cheval sur la sécurité aérienne, particulièrement en Afrique. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
L’Afrique a été exemplaire. En Afrique subsaharienne il n’y a pas eu d’accidents d’avion à réaction et commerciaux depuis deux ans. C’est remarquable.
Cela est dû au travail fait par les compagnies aériennes et par tout le monde. L’IATA a beaucoup aidé. On a imposé des normes. Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un objectif qu’on atteint seul. On le fait en collaboration avec tous les gens à tous les niveaux de la hiérarchie. Chez Air Mauritius, je suis certain que, depuis l’agent s’occupant des bagages aux commandants, ils sont obsédés par la sécurité. Il ne faut jamais avoir de compromis à ce sujet. Pas d’économie, pas de compromis.