La Groupe Banque centrale populaire (BCP) du Maroc a pris le contrôle de la Banque des Mascareignes le mardi 16 octobre. Kamal Mokdad, codirecteur général de la BCP et responsable de l’International Global Banking, était à Maurice à cette occasion. Dans un entretien accordé au Mauricien, il rassure aussi bien les employés que la clientèle mauricienne: « On ne vient pas pour optimiser mais pour développer. Il n’y aura pas de réduction d’emplois ».
Comment expliquer qu’un groupe bancaire marocain se soit intéressé à Maurice, un pays qui est à l’autre extrémité de l’Afrique ?
Le groupe Banque centrale populaire du Maroc s’intéresse à Maurice pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous pensons que Maurice offre une opportunité pour accompagner les investisseurs étrangers dans le cadre de leurs différents besoins. On sait très bien que Maurice est aujourd’hui une plateforme pour le commerce entre l’Asie et l’Afrique. On a des relations avec l’Inde et la Chine. On s’ouvre de plus en plus sur l’Afrique. Il y a une réflexion stratégique menée à l’échelle du pays pour savoir comment repositionner la place financière mauricienne sur les prochaines années. Un des axes de diversification de Maurice repose donc sur l’ouverture sur l’Afrique. Aujourd’hui, la Banque centrale populaire est la seule banque de l’Afrique du Nord, de l’Ouest et du centre à être présente dans l’île. Ce qui nous permettra d’accompagner la place financière non seulement dans sa stratégie d’expansion, mais également pour faciliter les mises en relation entre les investisseurs qui sont établis à Maurice et ceux basés en Afrique francophone. On est capable de le faire dans le cadre de la stratégie d’accompagnement de nos clients grâce à l’organisation de plusieurs événements B to B en vue de la mise en relation des acteurs qui sont positionnés sur la même chaîne de valeur afin qu’ils puissent identifier les opportunités de développement.
Avez-vous une stratégie internationale ?
Le groupe a une position importante au Maroc. Nous sommes leader de l’activité bancaire. Nous avons une part de 28% dans les dépôts, 25% dans les crédits et 6 millions de clients dont un million venant de la diaspora et représentant une part de 50% de ce marché. On a commencé le processus d’internationalisation depuis plusieurs années. En 2012, nous avons acheté la Banque atlantique présente en Afrique de l’Ouest et qui est aujourd’hui le troisième acteur bancaire du continent et le no. 2 dans le secteur bancaire en Côte d’Ivoire. Nous avons une stratégie claire pour notre développement en Afrique. Notre ambition est de construire le premier groupe bancaire panafricain solidaire et ancré localement. Solidaire parce que nous avons un modèle coopératif, comme BCCE. Ce qui nous donne une capacité d’être impliqués localement en vue d’une stratégie à long terme qui est porteuse de valeur et de sens pour les pays, comme l’inclusion sociale et financière. Nous avons des filiales de microfinances aussi bien au Maroc qu’en Afrique subsaharienne qui accompagnent le financement des activités génératrices de revenus et les micro-entreprises en plus des activités bancaires traditionnelles.
Nous avons également l’intention d’accompagner l’État dans ses grands projets sectoriels et publics qui vont avoir des retombées positives sur le développement du pays. L’ancrage local est très important parce que la façon dont on pratique les activités bancaires varie d’un pays l’autre. On cherche à adapter notre “business model” aux réalités de chaque pays. Maurice sert l’Afrique en réalité parce que l’objectif est d’accompagner les investissements internationaux en Afrique et de favoriser le commerce intra-africain à travers le commerce entre la partie francophone et la partie anglophone de l’Afrique.
Avez-vous une stratégie particulière pour Maurice ?
Nous avons une stratégie particulière parce que le marché bancaire mauricien est mature. Le taux de bancarisation dans l’île n’est pas loin de 100%. Il y a 23 banques pour une population de 1,3 million d’habitants. Nous avons des banques qui dominent le marché. Nous ne pouvons qu’être dans une position de niche sur le marché. Nous souhaitons être un acteur qui apporte de la valeur par rapport à l’offre bancaire existante. La particularité de Maurice est qu’on a deux segments, à savoir le marché local et le “global banking”. Sur le marché local, notre stratégie sera principalement axée sur le développement de solutions innovantes dans le domaine de la monétique. Le groupe BCP est un leader à l’échelle africaine de solution monétique en termes d’innovation, de sécurité, de fiabilité de traitement et de rapidité. On compte introduire des propositions de valeur sur la monétique. Notre deuxième axe sera le digital. A ce propos, nous allons beaucoup investir dans la nouvelle technologie et dans l’innovation. Nous sommes le premier partenaire d’Orange en Afrique de l’Ouest avec des solutions basées sur les “wallets” qui permettent d’offrir des solutions très pratiques aux clients comme la possibilité de faire des retraits à partir des téléphones mobiles sans utiliser les cartes de crédit. Nous offrirons aussi la possibilité d’associer un compte wallet à des cartes de crédit sans avoir des comptes bancaires pour pouvoir effectuer des opérations. Finalement, nous travaillerons sur le développement de solutions digitales pour des entreprises et d’autres qui permettront d’accompagner des besoins précis qui font l’objet de développement en interne. On développera également une solution pour la banque islamique. Le groupe a aujourd’hui 70 filiales spécialisées dont la banque islamique Al Yousr. Il y a une population islamique qui n’est pas négligeable à Maurice. Ce serait bien de lui offrir des produits adaptés. Et puis, il y a le “private banking”.
Maurice, en tant que place financière, mise également sur ce segment. Concernant la partie internationale, on peut avoir une valeur ajoutée très importante pour le marché mauricien. Nous avons déjà une banque offshore dans le groupe qui est basée à Tanger, au nord du Maroc. C’est une nouvelle place financière qui est comparable à Maurice. Le prochain directeur général de la Banque des Mascareignes est l’actuel directeur général de notre banque offshore. Il viendra avec tout son savoir-faire pour le développement des produits de financement et de syndication qui va permettre d’aller très vite en termes de positionnement sur le marché et de créer des synergies internes entre Maurice et la place financière étrangère.
En quoi la BCP sera-t-elle différente de la Banque des Mascareignes ?
On sera différent parce qu’on est un acteur africain. Nous sommes convaincus que le développement de l’Afrique passera par les Africains. On a un focus stratégique très fort pour l’Afrique. L’Afrique est dans notre ADN. On mobilise les moyens pour développer nos activités sur le continent. Nous sommes la seule banque à avoir dédié une direction générale à l’internationale. On a mobilisé des moyens très importants pour ce qui est de la plateforme dédiée à l’Afrique. Nous avons un “hub” à Abidjan qui s’appelle Atlantic Business international où 150 personnes sont employées. Ils travaillent pour les pays d’Afrique de l’Ouest et subsahariens. Nous avons une structure de conseil qui s’appelle BP Shore consulting qui accompagne nos filiales internationales dans l’exécution de leurs produits stratégiques. Souvent, on sait ce qu’on veut faire mais on échoue dans l’exécution. Il nous faudra augmenter les chances de réussite de nos projets.
Le changement de direction d’une banque peut créer des appréhensions parmi les employés et clients mauriciens. Qu’avez-vous à leur dire à ce sujet ?
On a eu une réunion avec tous les collaborateurs de la banque pour leur présenter nos ambitions et pour les rassurer par rapport à un certain nombre de points, à savoir le maintien des acquis sociaux et les perspectives de développement. On ne vient pas pour optimiser mais pour développer. Il n’y aura pas de réduction d’emplois. Au contraire, nous avons des recrutements qui vont se faire et qui donnent aux collaborateurs de la banque, qui est désormais une banque internationale, des perspectives de mobilité aussi bien géographique que fonctionnelle. On rassure les clients que le groupe BCP est solide. On tend vers une visibilité à long terme sur le plan stratégique. Les Mauriciens ont la possibilité d’être servis par un groupe international qui est présent dans 28 pays dans le monde. Nous ne reverrons pas la tarification pour nos clients. Au contraire, nous sommes là pour apporter des services à valeur ajoutée complémentaires qui leur permettront d’être mieux servis dans leurs besoins au quotidien, qu’il s’agisse des clients particuliers ou des clients entreprises intervenant soit sur le marché local, soit sur le marché global.
Vous avez parlé de microcrédit. Avez-vous des projets concrets dans ce domaine ?
Notre groupe dispose d’une filiale de microcrédit. Nous en avons une au Maroc. Nous avons décidé de projeter ce modèle en Afrique. Nous avons créé une ONG qui s’appelle AMIFA (Atlantic microfinance for Africa), qui a démarré des investissements en Afrique. Nous avons des filiales qui sont opérationnelles au Mali, en Côte d’Ivoire et en Guinée. Nous avons obtenu l’autorisation d’exercer au Sénégal. On a soumis des demandes d’agrément dans plusieurs pays comme le Burkina Faso, le Gabon, le Rwanda et Madagascar. On regardera à Maurice s’il y a des besoins. On sera ravi de partager cette offre avec les clients mauriciens.
Comptez-vous ouvrir d’autres succursales dans l’île ?
Nous avons 23 succursales. On envisage une extension raisonnable du réseau. En réalité, le modèle bancaire est en train de changer. Nous sommes moins dans la distribution de produits bancaires par nos agents. Nous travaillons plus par le réseau digital. C’est dans ce domaine qu’on compte investir. Les agences auront un positionnement orienté vers les services pour les clients qui ont besoin de conseil et de valeur ajoutée. Il faut qu’on leur offre l’espace approprié pour qu’ils puissent être conseillés par des gens expérimentés. Nous n’envisageons pas une extension tous azimuts pour cibler la même taille que les grandes banques de Maurice. Nous n’avons pas cette ambition. Ce ne serait pas raisonnable de vouloir le faire. Nous envisageons une ouverture raisonnable du réseau avec une ouverture complémentaire ciblée et un investissement significatif pour les nouvelles technologies et capitaliser sur le digital et le mobile.