Après dix ans de conquête fulgurante du monde, le règne du smartphone serait-il menacé? Le marché cale, les autres gadgets connectés se multiplient, mais les experts sont loin d’enterrer un objet qui a profondément modifié notre manière de vivre.
9 janvier 2007, San Francisco. Le cofondateur d’Apple, Steve Jobs, présente un nouvel objet qui, il l’assure, va « réinventer le téléphone ». C’est l’iPhone, un téléphone intelligent (« smart », en anglais), sorte de croisement entre un mobile et un ordinateur portable, doté d’un écran tactile.
Une décennie plus tard, la révolution est bel et bien terminée. Cette année, les ventes devraient pour la première fois afficher un déclin, de 0,7% à 1,455 milliard d’unités, selon la société de recherches IDC.
Le marché montre des signes de saturation, et pour cause: aux Etats-Unis, 91% des adultes de moins de 50 ans utilisent désormais un smartphone (source: Pew Research Center). En Europe, fin 2017, 85% de la population avait souscrit un contrat de téléphonie mobile, aux deux tiers avec des smartphones (source: association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA).
Au niveau mondial, le nombre d’utilisateurs uniques de smartphones devrait dépasser trois milliards cette année, selon le cabinet d’études de marché Forrester, pour qui il est désormais « difficile » d’augmenter encore le chiffre.
« La forme même des appareils est restée quasiment la même depuis le premier iPhone au final. Les vraies améliorations ont été à l’intérieur, ou avec l’agrandissement des écrans pour la vidéo mais même à ce niveau nous atteignons désormais une limite », selon Andrew Kitson, responsable télécoms, médias et technologies chez Fitch Solutions.
Le rythme de sorties de nouveaux appareils ne cesse pourtant de s’accélérer, et les fabricants rivalisent encore d’inventivité, au moins sur la forme, par exemple avec la promesse d’écrans « pliables ».
L’explosion des prix
La puissance est également en amélioration constante, non sans conséquence sur les prix. Il faut par exemple compter plus de 1.000 dollars pour s’offrir les modèles les plus luxueux d’Apple, Samsung ou Huawei.
Les usages, eux, ont bien évolué. Loin de servir seulement à communiquer, les smartphones valent aujourd’hui pour leur caméra ultra-performante ou pour les services toujours plus personnalisés auxquels ils permettent d’accéder, via des applications de voyage, de tourisme, de shopping, de fitness etc. Non sans polémiques à répétition sur le volume des données privées ainsi collectées, et l’usage qui en est fait.
« Le marché a atteint un niveau où, si vous souhaitez faire de la valeur, vous devez offrir de l’expérience. Apple est le parfait exemple de cette tendance, ils tentent d’être moins dépendants du matériel et des appareils », souligne Roberta Cozza, analyste chez Gartner.
Amy Webb, fondatrice du « Future Today Intitute », prévoit même, dans son rapport annuel sur les tendances de la tech, que 2018 « marque le début de la fin pour les smartphones ».
Elle prédit une transition vers des objets connectés « invisibles »: « des oreillettes dotées de capteurs et de hauts-parleurs; des bagues et bracelets détectant les mouvements; des lunettes connectées ». Autant de greffes électroniques qui, selon Amy Webb, « changeront à jamais notre rapport au monde » en faisant entrer l’humanité dans l’ère de la réalité dite « augmentée », modelée par l’intelligence artificielle.
D’autres analystes estiment eux que ces inventions ne vont pas faire disparaître le smartphone, mais le compléter.
« Il y aura une association avec les différents appendices, comme les montres ou lunettes, qui vont rester liés au smartphone pour quelques années encore. Il va continuer à servir de passerelle entre différents mondes: le travail, la maison, la voiture, etc », détaille Thomas Husson, vice-président et analyste au cabinet Forrester
« A mesure que les montres, lunettes, écouteurs ou même vêtements seront plus connectés et intelligents, on passera du toucher à la voix dans les interactions, le smartphone +disparaîtra+, ne sortira plus de la poche ou du sac. Mais c’est un changement qui se fera lentement, il faudra au moins 5 à 10 ans pour qu’il advienne, sans parler du temps nécessaire à l’adoption de masse », conclut Roberta Cozza.
« Le marché (des smartphones) a des ressources pour poursuivre son développement encore pendant de nombreuses années », assure David McQueen, analyste pour ABI Research.
© AFP