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Noël et consumérisme effréné : une insupportable contradiction

CATHERINE BOUDET

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Ils sont plus nombreux qu’on ne croit, ceux et celles qui vivent mal ces fêtes de Noël. Qui ne se sentent pas à l’aise dans le discours rose bonbon du Noël de partage, de cadeau et d’amour universel diffusé en même temps que la grande orgie de consommation. Et si c’était parce qu’en fait, la profonde contradiction entre le discours christique et les pratiques consuméristes fait peser une violence invisible sur l’individu, écartelé entre deux postures contradictoires, celle du croyant et celle du consommateur ?

C’est que d’une part, il y a le Noël religieux, lié au symbolisme et à la théophanie de l’arrivée du Christ Sauveur, valorisant le partage et l’austérité comme moyens d’accéder au royaume de Dieu; et d’autre part, il y a cette débauche d’achats de matériel et de nourriture, avec son cortège d’animaux et d’arbres sacrifiés sur l’autel du consumérisme.

Du coup, les messages d’amour et de partage faisant appel à l’exemple christique sonnent faux dans ce contexte d’hyperconsommation. Que ce soit l’abattage d’animaux à grande échelle pour satisfaire les palais des consommateurs avec les mets de Noël tels que foie gras et autre dinde, ou le nombre d’arbres coupés pour sacrifier à la tradition du « beau sapin »… Autant de rituels dont la symbolique pouvait être respectée lorsque l’humanité ne comptait encore que quelques millions d’habitants… Mais alors que la population mondiale dépasse les 7 milliards, le gaspillage de Noël (et c’est valable pour les autres fêtes religieuses aussi…) avec son cortège de destructions assorties va désormais largement à l’encontre du message du Christ valorisant l’austérité.

Voilà pourquoi le discours papal, d’un pape François pourtant reconnu et respecté pour son souci des plus pauvres, enferme le fidèle dans une insupportable contradiction. « Le petit corps de l’Enfant de Bethléem lance un nouveau modèle de vie: non pas dévorer ni accaparer, mais partager et donner », a certes plaidé le pape François lors de sa messe de Noël. Pour autant, en faisant le constat des paradoxes de notre époque où « quelques-uns se livrent à des banquets tandis que beaucoup d’autres n’ont pas de pain pour vivre », en appelant les fidèles à « ne pas glisser dans les ravins de la mondanité et du consumérisme », il ne remet absolument pas en question ce consumérisme effréné qui est imposé sur les individus, le posant au contraire comme acquis.

En interpellant le croyant-consommateur, « est-ce que j’arrive à me passer de tant de garnitures superflues, pour mener une vie plus simple? », le discours papal se contente de faire porter la responsabilité de la surconsommation sur les épaules individuelles, sans aucunement interpeller les véritables responsables, les tenants de ce système pervers de tentation consumériste, c’est-à-dire les élites économiques et leurs complices dans les médias.

A la violence structurelle exercée sur les individus par le système consumériste entretenu par les élites capitalistes, soutenu par les politiques et relayé par les médias, voilà donc que s’ajoute une violence invisible supplémentaire avec la contradiction discursive où se retrouve enfermé le croyant-consommateur. Ce dernier se retrouve tiraillé entre le discours christique de modération d’une part, et d’autre part l’injonction médiatique et publicitaire à consommer.

La violence structurelle, notion développée par le politologue norvégien Johan Galtung, désigne la violence, souvent invisible, exercée par les institutions ou les pratiques sociales qui empêchent les individus d’être eux-mêmes et de s’épanouir. Si Noël en tant que pratique sociale ultra-consumériste apparaît comme une forme de violence structurelle, ce n’est pas seulement parce que la frénésie de consommation fait ressortir de façon encore plus aiguë la pauvreté – qui déjà en temps ordinaire constitue l’une des principales formes de violence structurelle. C’est aussi et surtout parce que la fête sociale de Noël constitue un grand moment d’injonction normative, qui pousse au conformisme social, notamment avec le rôle des médias qui organisent une perception aseptisée et positive de la grande orgie, véhiculant une image normée et formatée de ce que devrait être le moment festif et de comment il devrait être vécu, dans l’allégresse collective.

Voilà comment s’organise au moment de Noël une grande schizophrénie sociale, d’autant plus sournoise qu’elle s’exerce durant quelques jours de l’année, déguisée par le festif, avant d’être reportée au Noël de l’année suivante, où elle sera réactivée, renouvelée et donc intégrée encore plus profondément dans les schémas collectifs et individuels.

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