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Paramasivum Pillay Vyapoory : « Je ne suis pas le rubber stamp du gouvernement ! »

Notre invité pour cette dernière interview de l’année 2018 est M. Paramasivum Pillay Vyapoory, président par intérim, depuis neuf mois, de la République. Plus précisément depuis que l’ex-présidente a été contrainte à la démission après un long affrontement avec le gouvernement. Nous avons rencontré le président par intérim, jeudi dernier, dans ses bureaux du Réduit pour lui poser des questions sur son actualité et lui demander de faire le bilan de son action au cours des neuf mois écoulés.

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Après une longue carrière dans l’enseignement, vous avez été candidat MSM battu aux élections générales de 1995. Plus tard, vous avez été nommé haut-commissaire de Maurice en Afrique du Sud, puis vice-président de la République. Peut-on dire que vous êtes un nominé politique ? Etaient-ce des récompenses pour services politiques ?
Oui, je suis un nominé politique dans la mesure où l’on ne peut accéder au poste de vice-président à Maurice que sur la proposition d’un gouvernement constitué de membres d’un parti politique ou d’une alliance, mais cette nomination est ratifiée par le Parlement. Qu’on le veuille ou non, c’est ainsi que les présidents et vice-présidents sont nommés. En ce qui concerne la deuxième question, je n’utiliserais pas le mot récompense, mais je dirais plutôt que c’était une reconnaissance de mon allégeance.

Vous avez été nommé au poste que vous occupez en partie en fonction de la communauté à laquelle vous appartenez. Cela ne vous gêne pas ?
J’aurais préféré ne pas avoir été nommé en fonction de ce que vous venez de dire. Mais c’est également une réalité politique, dont il faut tenir compte dans le système mauricien. J’ai été nommé en tant que membre de la communauté tamoule, suite à une déclaration de Sir Anerood Jugnauth disant qu’il n’y avait pas eu assez de candidats tamouls élus aux élections de 2014. Pour rétablir la balance, il a proposé de nommer un membre de la communauté tamoule à la vice-présidence de la République.

Vous n’êtes pas sans savoir que celui qui était initialement pressenti pour la vice-présidence n’avait pas été nommé, parce que certains trouvaient qu’il n’avait pas les qualifications nécessaires.
Pour des raisons évidentes, je ne répondrai pas à cette question.

Vous êtes président par intérim à la faveur d’une autre controverse. Sans trahir des secrets d’État, avez-vous vu venir la crise qui a conduit à la démission forcée de votre prédécesseurs ?
Pas du tout. Comme la majorité des Mauriciens, j’étais fier qu’une femme occupe le poste de présidente de la République. Ce qui est arrivé par la suite est triste pour le pays.

Le vice-président est nommé pour remplacer le président pendant de courtes périodes. Qu’est-ce qui se passe dans la tête du vice-président quand l’intérim se prolonge, devient presque permanent ?
C’est la prérogative du Premier ministre, soutenu par le Cabinet, et ensuite l’Assemblée nationale de prendre la décision qui s’impose. En ce qui me concerne, je fais de mon mieux pour assumer les responsabilités qui m’ont été confiées. J’ai souvent assumé l’intérim…

Il est vrai que votre prédécesseur voyageait beaucoup…
Je continue à faire le travail qui consiste à servir mon pays au mieux de mes capacités.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le job de président de la République par intérim ?
Le fait que tous ceux qui font appel à moi, et ils sont nombreux, pensent que le président de la République peut résoudre tous leurs problèmes. Je fais de mon mieux, mais il y a des choses qui sont au-delà de mes compétences.

Qu’est-ce que vos visiteurs vous demandent ?
Ils viennent me voir pour me faire part de leurs frustrations, pour parler de leurs problèmes. Ils cherchent du travail, des promotions, se plaignent de l’attitude de leurs chefs, du comportement de leurs voisins qui font trop de bruit. Je prends note de la doléance et je l’envoie aux services concernés.

Les services concernés prennent-ils en considération vos demandes ?
Oui, je suis écouté et, dans la mesure du possible, les choses bougent.

Au moment de votre élection, vous avez déclaré : “Je serai un vice-président très à l’écoute.” Quelles sont les principales préoccupations des Mauriciens ?
Ils veulent que je sois présent dans les fonctions et les activités qu’ils organisent, que je passe des messages qui les aideraient dans leur travail. Ils pensent qu’un message venant de la présidence est un plus.

Qui vient vous voir ?
C’est très varié : des professionnels, des civils, des jeunes, des dames, des membres du troisième âge, des associations et je fais de mon mieux pour satisfaire tout le monde, ce qui me donne un emploi du temps très chargé, je n’ai pas de week-end ou de soirée à moi. Je ne suis pas un président qui boit son thé en contemplant les jardins du Château du Réduit. J’avais dit que j’allais m’engager auprès des ONG qui font un travail formidable, en parallèle avec le gouvernement, et je le fais.

Vous savez sans doute qu’avec les nouveaux règlements sur le CSR les moyens financiers de beaucoup d’ONG ont diminué, obligeant certaines à ralentir ou à cesser certaines de leurs activités…
Il n’y a pas eu beaucoup d’ONG qui sont venues me voir sur le sujet que vous évoquez.

Elles ont dû penser que vous ne pouviez pas faire grand-chose pour elles…
Peut-être. Je tiens à saluer les ONG pour l’énorme travail qu’elles font à Maurice. J’ai reçu un papier du ministère de l’Intégration sociale mentionnant le fait qu’il a distribué Rs 203 millions aux ONG. Ce n’est pas mauvais, ça. Bien sûr, ce ne sera jamais suffisant pour venir à bout de la misère et des problèmes sociaux, mais c’est un pas dans la bonne direction. Dans mon message de Noël à la nation, j’ai dit qu’il faut que chacun fasse son effort personnel, que l’on mette fin à la mentalité d’assisté, sinon nous n’avancerons jamais.

Ce n’est pas le système du Welfare State qui encourage cette mentalité d’assisté ?
Le Welfare State, c’est mettre à la disposition de la population les services essentiels comme la santé et l’éducation, entre autres besoins de base. Mais il faut aussi un effort individuel pour que le système fonctionne bien. Vous savez qu’en dépit du fait que nous avons un taux de chômage de 8 %, nous avons besoin d’importer de la main-d’oeuvre étrangère ? Il y a donc des Mauriciens qui refusent de travailler. Attention, je ne veux pas généraliser, mais les chiffres sont là. Je suis pour demander à la population de se contenter de ce préconisent les institutions, tout en faisant un effort personnel pour améliorer sa vie. Je crois aussi qu’il faut demander aux couples mauriciens de faire des enfants selon leurs moyens financiers. J’ai vu des familles avec des moyens très limités avoir beaucoup d’enfants, et d’autres, qui ont beaucoup de moyens, avoir peu d’enfants. C’est un problème de choix et de responsabilité parentale.

Ce que vous venez de dire contredit une de vos précédentes déclarations sur la baisse du taux de natalité mauricienne qui, selon le Dr Pulton, pourrait conduire à la disparition de l’homo mauricianus en tant que tel…
Je ne me contredis pas. Merci pour cette question qui me donne l’occasion de préciser ma pensée. Je demande aux couples qui ont les moyens d’avoir trois ou quatre enfants, de ne pas se limiter à un ou deux. En même temps, je demande aux familles qui n’ont pas beaucoup de moyens, de ne pas avoir trop d’enfants. Ainsi, la courbe de natalité sera rétablie et les enfants mauriciens seront élevés avec les moyens dont disposent leurs parents.

Le Dr Pulton a proposé que l’Etat offre des « incentives » aux Mauriciens pour qu’ils fassent plus d’enfants.
C’est une question qui mérite une profonde réflexion. L’Etat vient déjà en aide aux familles défavorisées qui ont un ou deux enfants et c’est tant mieux. Mais il faut éviter que les couples défavorisés fassent beaucoup d’enfants, ce qui va augmenter les problèmes auxquels ils ont déjà à faire face.

Faudrait-il supprimer les aides sociales qui peuvent, dans un sens, encourager la mentalité d’assisté ?
Non. Je pense que l’Etat doit continuer les aides sociales pour ceux qui font les efforts nécessaires. Avant on disait : « Aide-toi et le ciel t’aidera »; je crois que dans le contexte que nous sommes en train d’évoquer, il faut dire : « Aide-toi et l’Etat t’aidera ». Il y a une éducation à faire et il faut encourager une responsabilité parentale sérieuse et calculée. C’est un vrai problème qu’il ne faut pas mettre de côté et qu’on ne pourra résoudre que si chacun assume à l’endroit où il se trouve ses responsabilités.

Vous avez parlé du fléau de la drogue dans votre message de Noël…
C’est un problème que j’aborde depuis pas mal de temps. Je profite de l’occasion pour féliciter M. Thomas pour avoir eu le courage de s’exprimer publiquement sur la situation dans son collège prestigieux, le St-Esprit. Si la situation est telle au collège du St-Esprit, que doit-il se passer dans les autres collèges ? Sa déclaration a suscité une prise de conscience salutaire et permis aux recteurs de partager leurs problèmes et je vais me mettre à leur disposition pour voir dans quelle mesure je peux les aider dans leur campagne de sensibilisation. A la State House, j’ai relancé le comité pour la promotion de l’unité nationale et demandé la création d’un comité pour s’occuper du problème de la drogue.

Dans le problème de la drogue, il y a également le fait que plus on en saisit de grosses quantités plus on en importe. Comment expliquer ce fait ?
J’aurais aimé avoir la réponse à cette inquiétante question. Il semble que les trafiquants sont tellement bien organisés et disposent de gros moyens financiers. Je crois qu’il faut faire une campagne de sensibilisation contre la drogue dès le préprimaire pour que chacun de nos enfants sache que la drogue est une menace et quels en sont les résultats s’ils se laissent tenter. Il faut que les campagnes de sensibilisation soient plus percutantes parce que les trafiquants de drogues sont devenus hyper puissants à beaucoup de points de vue. Ils sont tellement puissants qu’on peut avoir le sentiment qu’ils sont plus puissants que l’Etat et c’est pour cette raison qu’il faut que tous les Mauriciens s’engagent dans le combat contre la drogue.

Durant votre intérim, qui se prolonge, vous avez été critiqué pour deux de vos décisions. Tout d’abord, celle de ratifier la nomination d’une proche du Premier ministre à la Commission électorale. Ensuite la ratification de la loi sur les réseaux sociaux. Dans les deux cas, on a même dit que vous étiez le « rubber stamp » du gouvernement…
Pas du tout. Je ne suis pas le « rubber stamp » du gouvernement ! Dans le premier cas, la Constitution exige que je consulte le Premier ministre et le leader de l’opposition et je l’ai fait. Mais j’ai aussi convoqué les autres leaders des partis représentés à l’Assemblée législative, le MMM, le PTr et le MP. Et je peux vous dire qu’il n’y a pas eu consensus d’un côté comme de l’autre. Certains ont dit que du fait que cette personne a travaillé pour le Premier ministre, elle ne sera pas impartiale au sein de la Commission électorale. Qui suis-je pour préjuger de l’intégrité de cette personne?

Excusez-moi, monsieur le président, mais nous avons eu récemment tellement d’exemples de nominés au sein d’institutions gouvernementales se comportant partialement, que le doute peut être permis !
Je refuse de douter par avance de l’intégrité de cette personne…

Et si vous vous étiez trompé ?
J’en assumerai la responsabilité, mais je n’ai pas le droit de douter, par avance, de l’intégrité de cette personne.

Venons à la deuxième critique : la ratification des amendements à la loi sur les réseaux sociaux qui aurait été décidée, paraît-il, à cause d’une photo circulée sur internet…
Ce n’était pas une supposition, mais un fait : une photo a été effectivement circulée sur internet, mais ce n’est pas à cause d’elle que la loi a été modifiée. La loi a été modifiée parce que cela fait des mois et des mois qu’on fait circuler sur les réseaux sociaux des vidéos, des photos, des attaques contre lesquelles les victimes ne peuvent pas se défendre. De quel droit X peut se permettre de mettre sur le net des photos compromettantes de Z avec des commentaires que je préfère ne pas qualifier ? Le net est devenu une jungle où chacun fait ce qu’il veut . La loi était nécessaire pour mettre un peu d’ordre dans tout cela, et je l’ai signée en toute connaissance de cause et en étant entièrement d’accord avec son contenu.

Les internautes voient dans cette loi un moyen de toucher à leur liberté d’expression…
La liberté d’expression c’est de permettre à certains internautes de publier n’importe quoi sur le net, de diffamer, d’insulter, de ruiner les réputations ? Aujourd’hui, les victimes de ces attaques — qui sont beaucoup plus nombreuses que vous ne l’imaginez — peuvent, grâce à cette loi, saisir la justice et demander sanction et réparation. Je ne suis pas là pour plaire et j’agis en totale indépendance.

Quel est le regard que vous portez sur 2018 qui a été une année mouvementée sur tous les plans ?
C’est vrai que nous avons eu une année mouvementée : la drogue — dont la synthétique qui fait des ravages dans nos écoles et collèges —, le nombre d’accidents de la route, les crimes, la violence domestique, la présidence mais il faut également souligner ce qui a été fait pour faire avancer le pays, comme le Metro Express, un gros projet qui va transformer notre environnement.

Un gros projet qui, pour le moment, dans sa phase de construction, ne cause que des inconvénients aux habitants des villes concernées par son tracé !
Si vous décidez de construire une allée dans votre cour, il faut bien commencer par des travaux, non ? L’ordre naît toujours du désordre. Ces inconvénients sont le prix normal à payer pour l’installation des tramways qui vont profiter à tous les Mauriciens. J’ai organisé une réunion entre les représentants de la plate-forme anti-métro, qui m’avaient écrit et ceux qui travaillent sur le projet. Les deux groupes ont discuté, confronté leurs points de vue, fait valoir leurs arguments et la réunion s’est bien terminée. Je suis sûr que tous les Mauriciens, y compris ceux qui aujourd’hui se plaignent des travaux, vont apprécier et utiliser le tramway quand il sera opérationnel.

Durant 2018, avez-vous eu le sentiment que l’unité nationale a été plus menacée qu’avant ?
Non. Je pense que l’unité nationale a été grandement consolidée, surtout du fait que nous avons célébré les cinquante ans de l’indépendance. Le 12 mars 2018, quand le quadricolore a été hissé et qu’on a entendu « Donne to lamé prend mo lamé », j’ai ressenti une profonde émotion. La même que celle que j’ai ressentie quand, en 1995, l’équipe nationale de Maurice avait battu La Réunion lors de la finale des Jeux des îles. Je souhaite que les Jeux des îles de 2019 soient une autre occasion pour consolider l’unité nationale du pays, à travers le sport.

J’ai appris que vous avez, récemment, refusé d’effectuer une visite officielle en Inde, pour ne pas gêner votre prédécesseur qui y était également invitée. C’est dans le protocole de la présidence ou était-ce un geste de galanterie de votre part ?
On m’a conseillé de ne pas y aller quand on a su que l’ex-présidente serait présente. Personnellement, j’aurais souhaité faire le déplacement pour rencontrer Mme Gurib-Fakim.

Vous n’avez pas besoin d’aller en Inde pour rencontrer Mme Gurib-Fakim : il suffit de l’inviter au Château du Réduit !
Ce n’est pas si facile que ça, dans les circonstances actuelles.

Quelles étaient les relations entre l’ex-présidente et le vice-président ?
Elles n’étaient pas comme je l’aurais souhaité. Je n’ai rencontré l’ex-présidente que quatre fois et à chaque fois c’était à ma demande.

2019 sera l’année des élections ou tout au moins de la campagne électorale. Comment allez-vous faire pour rester au-dessus de la mêlée politique ?
Je ferai ce qu’il faudra en restant impartial, donc au-dessus de la mêlée.

Dernière question : qu’est-ce qu’il faut vous souhaiter personnellement pour 2019 : la fin de la période d’intérim, qui dure depuis neuf mois, ou la nomination comme président de la République ?
Cela relève, je vous le répète, de la prérogative du Premier ministre, du Cabinet, puis de l’Assemblée nationale. Je ne sais pas quelles sont les intentions des décideurs, mais je pense que prolonger l’intérim pendant encore une année n’est pas une chose à souhaiter pour le pays.

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