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Le devoir de mémoire

En ce début février, comme chaque année en cette période de l’année, les Mauriciens commémorent l’abolition de l’esclavage, qui a été promulgué en 1935. Cette commémoration – marquée par la cérémonie de dépôt de gerbes devant le monument international de la route des esclaves, au pied de la montagne du Morne, et par une cérémonie officielle dans le village du Morne ainsi que par des dépôts de gerbes devant le monument des esclaves à Mahébourg – est pleine d’émotion.

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Ce même sentiment peut être ressenti lors de commémoration de l’arrivée des premiers travailleurs engagés, le 2 novembre. Petit à petit, grâce aux efforts effectués par le gouvernement, le Mandela Centre for African Culture, le Comité 1er Février et l’Université de Maurice, entre autres, les Mauriciens commencent à comprendre le devoir de mémoire. C’est-à-dire l’importance de se souvenir dans quelles circonstances le peuplement de Maurice a commencé, tout comme il est important de comprendre la politique de la colonisation qui a vu les grandes puissances économiques européennes d’alors étendre leurs tentacules dans les colonies à travers le monde pour trouver les ressources nécessaires à leur survie et leur développement.

Dans le cadre cette politique, l’esclavage était devenu un facteur économique majeur. La main-d’œuvre africaine et asiatique était alors traitée comme une simple commodité, un moyen de production. Les hommes asiatiques ou africains, comme le faisait ressortir Pravind Jugnauth au Morne hier, étaient considérés comme des meubles et des instruments au service de leurs maîtres. Pendant des dizaines d’années, des populations africaines ont été décimées et des hommes et des femmes ont été vendus pour travailler comme des bêtes dans les champs et ailleurs.

A l’occasion de la célébration du 184e anniversaire de l’abolition de l’esclavage cette année, Maurice et le Mozambique, à la faveur de la visite du président de la République du Mozambique, Filipe Jacinto Nyusi, se sont réunis autour d’un passé commun marqué par l’agonie et la souffrance. Des milliers de Mozambicains ont été déracinés de force de leurs terres natales pour être vendus sur le marché des esclaves. Ils ont souffert doublement en tant que déracinés pour ensuite subir l’asservissement dans de nombreux pays, dont Maurice. Au moment de l’abolition de l’esclavage, estime-t-on, 60% des esclaves vivant à Maurice étaient Mozambicains. Pas moins de 184 ans plus tard, la situation a certes changé au Mozambique et à Maurice, mais il reste encore des séquelles, comme l’affirmait hier le président mozambicain. A Maurice, les descendants d’esclaves sont, pour une raison ou une autre, parmi ceux qui sont les plus affectés par la pauvreté. Il est entendu que beaucoup a été fait par les autorités mais l’écart entre les riches et les pauvres continue à croître. Beaucoup de descendants d’esclaves ont le sentiment qu’ils ont tout le temps besoin de se battre pour faire reconnaître leur dignité. Il est heureux que le Premier ministre ait pris le projet de création du musée international de l’esclavage personnellement en main. Ce musée sera non seulement un lieu de mémoire universelle, mais également une reconnaissance par la nation pour une partie importante de la population mauricienne.

Le 1er février est aussi l’occasion de se souvenir que l’abolition de l’esclavage a été le résultat d’une lutte sans merci menée en premier lieu par les esclaves marrons, qui comprenaient des Mozambicains, dont beaucoup avaient trouvé refuge dans la montagne du Morne. « La tradition orale autour des marrons a fait de cette montagne le symbole de la souffrance des esclaves, de leur lutte pour la liberté et de leur sacrifice, autant des drames qui ont trouvé un écho jusque dans les pays d’où venaient les esclaves, dont le Mozambique et Madagascar », constate l’Unesco. Mais l’abolition dans la colonie britannique est aussi le résultat d’une lutte menée par des personnalités à l’instar de William Wilberfoce et John Newton, entre autres.

L’abolition ou la libération, comme le soulignait avec pertinence le père Gérard Mongelard lors de la messe célébrée à La Gaulette hier, n’est pas une fin en soit. Chacun doit pouvoir prendre son destin en main et, avec le soutien des autorités, faire les efforts nécessaires pour bâtir un avenir meilleur. La lutte pour une croissance économique plus inclusive, souhaitée par le FMI, n’est pas terminée.

Jean Marc Poché

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