Parents et enfants sont en colère. Bien que consentant déjà à beaucoup de sacrifices au niveau scolaire, les voici en effet depuis peu face à de nouvelles mesures qui viennent compliquer la donne. Les autorités de l’Éducation l’ont annoncé : pour accéder en Lower VI, les étudiants devront ainsi d’abord obtenir quatre « crédits » (et un cinquième en cours d’année). Que ces parents et enfants se rassurent : leur désarroi est partagé par une bonne partie de la population, cette formule étant en effet loin de faire l’unanimité, y compris dans la classe politique, à commencer par les rangs de l’opposition. Pour autant, assure le gouvernement, l’intention n’est aucunement de pénaliser nos enfants, mais plutôt de rehausser le niveau général. Ainsi, cette semaine, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, revenant sur le critère des quatre « credits », soutenait encore que « ce critère est important afin que les jeunes pratiquent de bons métiers et deviennent de vrais professionnels », ajoutant son souhait que Maurice « devienne un véritable exemple, comme d’autres pays qui ont réalisé un succès extraordinaire ». Cette prise de position peut évidemment paraître louable de prime abord. Quel parent ne voudrait-il en effet pas voir son enfant réussir ses études, obtenir le ou les diplôme(s) recherché(s) et trouver, à l’issue de sa scolarité, un travail décent en juste accord avec ses propres compétences ?
Hélas, si l’on peut comprendre les motifs invoqués, cela ne signifie pas pour autant que le choix du gouvernement de revoir sa copie quand aux critères d’admission soit pertinent. Comme d’habitude, nos technocrates, pour beaucoup visiblement trop confortablement installés sous la climatisation de leurs bureaux et trop peu conscients des réalités du terrain, ont une fois encore pris le problème à l’envers. S’en prendre à nos enfants plutôt qu’au système est certes plus facile, mais n’y avait-il pas justement lieu là de s’imposer un temps de réflexion ponctué par une nécessaire remise en question. Avant d’imposer de nouveaux critères, il semblait en effet plus judicieux de revoir d’abord le système éducatif dans son ensemble. Car il faut le reconnaître : il y a là matière à creuser. Entre des profs maîtrisant mal leurs sujets, quelquefois même sans les aptitudes pédagogiques nécessaires, des manuels scolaires mal conçus et comportant trop souvent des erreurs, des syllabus aux contenus contestables, des collèges de niveaux disparates et un mode d’apprentissage anachronique, les sujets à révision, on le voit, sont légion. Et ce n’est évidemment pas le Nine-Year Schooling, formule continuant d’ailleurs de promouvoir une certaine forme d’élitisme, qui vient corriger ces lacunes.
Encore une fois, les officiers de l’Éducation semblent totalement en déphasage avec la réalité. Si l’on tient à rehausser le niveau académique, ce n’est évidemment pas à nos enfants qu’il faut d’abord s’attaquer, mais à notre méthodologie d’enseignement et à la qualité de ses différents supports (profs, manuels, matériel…). Revoir ces items dans leur globalité replacerait enfin l’enfant à sa juste place, autrement dit au centre du débat, et signerait surtout le début d’une véritable réforme, faite cette fois pour durer, et non pour être potentiellement balayée d’un revers de la main par les futurs gardiens des clés de l’hôtel du gouvernement. Nul doute en effet que si nous disposions, à Maurice, d’un niveau d’apprentissage suffisamment performant, et surtout en adéquation avec son époque, un nombre plus important d’étudiants réussirait à atteindre les cinq, voire les six crédits, rendant ainsi totalement obsolète l’obligation d’instaurer des règles d’admissions aussi rigoureuses que celles qui viennent d’être promues. Qui plus est, si notre structure éducative était plus solide, peut-être pourrions-nous aussi plus tard songer à nous affranchir de Cambridge, ce qui au passage nous permettrait de faire des économies substantielles.
Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas encore là, loin s’en faut. D’autant que ce début d’année aura été marqué par le paradoxe d’une double annonce, à savoir celle de la gratuité de l’accès au tertiaire et celle des quatre « credits ». Car il apparaît en effet évident, au regard des derniers résultats de SC, qu’un grand nombre d’étudiants seront privés d’accès à la Lower VI, hypothéquant dès lors leurs chances d’atteindre plus tard l’université, dont l’accès facilité ne bénéficiera alors qu’aux plus persévérants et, surtout, à ceux ayant la « chance » de se renforcer dans certaines matières à grands coups de leçons particulières, autrement dit ceux dont les parents auront les moyens de le faire. Espérons qu’en cette période préélectorale, le gouvernement Lepep reconsidérera sa position et admettra que le chemin qu’il aura choisi pour atteindre ses ambitions est pour le moins contestable. Et qu’imposer de nouveaux critères dans la conjoncture revient finalement à se dédouaner de ses propres responsabilités.
Michel Jourdan