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Au-delà de Kaya…

Le 20e anniversaire de la mort de Kaya a été célébré avec ferveur le jeudi 23 février. À l’initiative du ministère de la Culture, des concerts et des cérémonies ont été organisés dans plusieurs régions de la capitale et du pays. Cette commémoration a connu son point culminant au cimetière de Roche-Bois et dans les rues de ce faubourg de Port-Louis. Quelles que soient les motivations politiques derrière cette initiative nationale de grande ampleur, elle a définitivement une portée multiple.

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En premier lieu, elle érige Kaya comme une icône de l’amour et de la paix, en particulier pour la communauté rastafari. Elle donne une reconnaissance publique à la communauté rastafari, qui devient une entité reconnue officiellement. On ne sait si toutes leurs revendications seront acceptées avec le même enthousiasme. Il est bon de noter que cette commémoration intervient quelque dix jours après le dévoilement de la statue de Haile Selassie, dans la cour de l’Union africaine, à Addis Abeba, en marge d’un sommet auquel aucun ministre mauricien n’avait participé.

Haile Selassie, président de l’Éthiopie, pays qui n’a jamais été colonisé, avait accueilli dans son pays le premier sommet de l’OUA, en mai 1963. « May this convention of union last 1 000 years », avait-il lancé à cette occasion. Ce dévoilement a aussi été  l’occasion de rappeler l’origine du mouvement rastafari. Selon la BBC, tout a commencé par la prophétie d’un Jamaïcain, Marcus Garvey, en 1920. « Garvey had told his followers in 1920 they should look to Africa, when a black king shall be crowned, for the day of deliverance is at hand », souligne la radio britannique. Lorsqu’un Noir nommé Ras Tafari a été couronné empereur en Ethiopie, beaucoup l’ont vu comme la concrétisation de cette prophétie. Alors qu’en Afrique de l’Est, Ras Tafari (“chef” Tafari) est devenu Haile Selassie (“puissance de la trinité”), à près de 30 000 km de là, dans les Antilles, Haile Selassie devint Dieu (ou “Jah”) incarné et l’Éthiopie, « la terre promise ».

Lorsque l’empereur s’est rendu en Jamaïque, en 1966, il a été accueilli par des milliers de personnes, qui voulaient  avoir un aperçu de leur Dieu. Parmi les fidèles se trouvait l’épouse d’un jeune musicien de reggae, Bob Marley, qui était parti aux États-Unis. Rita Marley décrira plus tard la manière dont elle a vu des marques de clous sur la paume de Haile Selassie alors qu’il la saluait de la main. C’était un moment d’éveil religieux. C’est grâce à elle que son mari a embrassé cette croyance. Cela pour l’histoire.

Mais à Maurice, alors que 20 ans après sa mort Kaya est célébré comme un symbole, personne ne sait encore avec certitude qui a tué Reginald Tolbize, qui en est responsable et pourquoi il est mort. Cette question tourmente encore son épouse, qui a refusé de participer à cette commémoration. Elle se souvient sans doute que personne n’avait pu réunir les Rs 10 000 nécessaires pour que son mari soit libéré sous caution.

Il ne faudrait pas aussi que la célébration, aussi émotionnelle qu’elle soit, occulte tout le drame social et politique associé à son décès. Le pays s’était retrouvé dans une situation de “break down of Law and order” avec tout ce que cela comprend comme souffrance subie par beaucoup de citoyens, qui ont vu leurs biens immobiliers dilapidés sous leurs yeux. Toute la fragilité et la vulnérabilité de Maurice étaient exposées en plein jour. Dans une interview accordée au Mauricien jeudi, l’ancien président de la République, Cassam Uteem, raconte que « l’inquiétude laissait graduellement la place à la frayeur parmi la population, tandis que le pays s’acheminait vers le chaos ». Il poursuit : « Je voyais avec effroi, moi, qui, à la veille de l’indépendance, avais vécu les émeutes de 1968, une réédition de ce qu’avait alors connu le pays. » Cette commémoration doit nous permettre de dire « plus jamais ça ! ».

Les événements de 1999 trouvent également leur cause dans l’inégalité sociale. Loin de s’évanouir, cette inégalité s’est approfondie et reste au centre des débats économiques et sociaux dans le pays. La brutalité avec laquelle 1 300 travailleurs de Palmar Ltd se sont retrouvés sur le pavé démontre le travail qu’il reste encore à faire.

Jean Marc Poché

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