Inclus dans son dernier opus, Tango Bluz, le morceau Mo Drapo de notre griot local, Zulu, colle on ne peut plus parfaitement aux circonstances actuelles. En prélude au 51e anniversaire de l’indépendance de notre pays, c’est effec- tivement le blues qui prévaut… Car si le quadricolore va flotter haut dans le ciel, tutoyer les étoiles et réverbérer un sentiment de fierté certes légitime dans le cœur de milliers de Mauriciens, ce mardi, incontestablement, peu d’entre nous pourrons faire l’impasse sur la souffrance des autres sachant que de très nombreux compatriotes qui ont tout récemment perdu leur travail sont, pour une grande partie d’entre eux, sans espoir d’en trouver un autre rapidement, et qu’ils essaient de s’en sortir tout en ayant conscience que rien n’est désormais acquis en ce qui concerne leurs lendemains…
Ce blues de notre drapeau national caractérise en effet ces centaines de familles mauriciennes qui se retrouvent depuis quelques jours à la rue. La fermeture des usines Palmar Ltée et Future Textile Ltd, et d’autres qui pour- raient suivre dans la foulée, ramène à nouveau le spectre du chômage forcé dans ces centaines de foyers. Une fois de plus, des familles entières voient leur quotidien basculer abruptement, du jour au lendemain. Si elles ont perçu leurs salaires pour ce début de 2019, en revanche, l’espoir de bénéficier de leur compensation, un dû on ne peut plus mérité pour leurs longues et dures années de service, semble s’amenuiser jour après jour.
Ce n’est guère difficile d’imaginer le calvaire de ces mères et pères de famille modestes, qui vivotent en économisant le moindre sou pour financer les études de leurs enfants et leur assurer un quotidien décent ! Pire encore : prévaut ce sentiment qu’ils ne seront pas réemployés de sitôt puisque la plupart d’entre eux sont des adultes d’âge mûr, ayant passé la quarantaine et frisant la cinquantaine… Peut-on, de surcroît, rester insensible à leur ressentiment alors que toutes les portes auxquelles ils vont frapper se ferment ? S’ils parviennent à peine à digérer l’arrogance du pouvoir affiché par le patronat à leur égard, ceux qui s’étaient déplacés pour solliciter une rencontre avec Pravind Jugnauth jeudi ont été encore plus blessés.
Oui, le timing de ces travailleurs virés sans égard pour rencontrer le Premier ministre n’était probablement pas le meilleur qui soit. Certes, leur représentant syndical, l’infa- tigable Faisal Ally Beegun, qui maîtrise parfaitement les rouages des mécanismes de la revendication, aurait pu, ou dû, les convaincre d’opter pour une autre voie : correspon- dance, prendre rendez-vous, suivre un protocole… puisque c’est à la porte d’un Premier ministre qu’ils sont allés frapper, et donc pas n’importe quel quidam. Soit. Mais la réaction spontanée, alors ? Est-ce que Pravind Jugnauth est (encore ?) trop auréolé par sa double victoire de la semaine dernière pour être à ce point indifférent aux malheurs de ces pauvres diables qui n’ont demandé, peut-être, qu’un regard, un sourire, un petit mot d’encouragement, un signe de compassion ?
Ces ouvriers renvoyés sans ménagement par leurs patrons sont, on peut aisément l’imaginer, vidés. Anéantis, cassés, brisés, le moral au degré zéro. Du jour au lendemain, ils voient leur existence réduite à sa plus simple expression, leurs rêves et projets les plus légitimes, pour lesquels ils bos- saient comme des malades, subitement suspendus. Ce dont ils ont le plus besoin, maintenant plus que jamais, ce n’est ni de pitié ni de promesses. D’où ce souhait pour un signe de la part de leur Premier ministre, un mot de compréhension et d’encouragement, pour ne pas baisser les bras, pour savoir qu’ils ne sont pas seuls, et qui aurait été accueilli, on le pense, comme un peu de baume tant attendu au cœur. Mais il n’en a été rien. L’on imagine bien que si rencontre il y avait eu, ces Mauriciens en détresse auraient formulé certaines demandes à Pravind Jugnauth. Qu’il aurait, ou non, prises en considération, c’est une autre affaire.
Le blues qui fait de l’ombre au vert porteur d’espoir de notre quadricolore, en cette année 2019, pèse telle une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Les signaux écono- miquessontéloquentsàplusd’untitre… Ence12mars,plus que tous gâteaux et gâteries, un élan de solidarité nationale, naturel et spontané, serait certainement le bienvenu !