On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. Et comme Vishnu Lutchmeenaraidoo est un gourmet, il a pris le temps qu’il fallait pour préparer celui qu’il vient de faire servir, jeudi dernier, aux Jugnauth et au MSM. Cette démission était tellement inattendue au MSM qu’elle a provoqué un moment de panique au sommet de l’État, poussant même le président à la refuser dans un premier temps. Il est vrai qu’après avoir longtemps subi, laissé faire et laissé dire, on avait fini par croire, surtout dans Lakwizinn du MSM, que Vishnu Lutchmeenaraidoo était devenu un bouledogue sans dents. Sa démission est, en fait, la conclusion d’une histoire qui commence quelques mois après la victoire inespérée de Lalians Lepep aux élections de 2014. Si Vishnu Lutchmeenaraidoo est ravi d’avoir retrouvé le ministère des Finances, il se rend rapidement compte que Roshi Bhadain, alors le fils adoptif préféré de SAJ, lorgne son fauteuil. Pour tenter d’arriver à ses fins, le ministre de la Bonne Gouvernance (!) va alimenter ses réseaux avec des nouvelles sur les actions du ministre des Finances. Le prêt en euros sollicité et obtenu par ce dernier sera le point d’orgue de cette campagne. Totalement sous l’emprise de son fils adoptif à qui il passe tout — même la réécriture d’un communiqué du Conseil des ministres —, SAJ lancera un fameux « mo pou fou li déor » à l’adresse de son colistier, qui ne l’a sans doute pas oublié. Il faudra beaucoup de discussions internes pour que, finalement, Vishnu Lutchmeenaraidoo reste au gouvernement, mais passe des Finances aux Affaires étrangères. Mais pour bien montrer qu’il s’agit d’une rétrogradation, tous les dossiers importants du ministère lui sont enlevés. C’est ainsi que le ministre des Affaires étrangères n’accompagne plus le Premier ministre aux réunions internationales, comme l’assemblée générale des Nations unies. C’est ainsi que le dossier de la revendication des Chagos est constitué sans que le ministre des Affaires étrangères ne soit consulté, ne serait-ce que par politesse.
Vishnu Lutchmeenaraidoo devient une espèce de sous-ministre à qui on confie quelques dossiers africains ou indianocéaniques, alors que tout le travail diplomatique important relève du Bureau du Premier Ministre et de ses conseillers qui siègent aussi dans la fameuse cuisine, où beaucoup de décisions gouvernementales sont prises, comme le limogeage du CEO d’Air Mauritius. Face à cette situation inédite dans les milieux diplomatiques, on surnomme Vishnu Lutchmeenaraidoo le ministre des affaires étranges. Même quand Roshi Bhadain, qui n’a pas réussi à se faire nommer ministre des Finances, démissionne du gouvernement, Vishnu Lutchmeenaraidoo continue à être traité comme un sous-ministre qui se mure dans un silence médiatique et sourit à chaque fois qu’on le questionne sur son statut. On s’était habitué à ce ministre des Affaires étrangères qui n’a rien à dire sur le Brexit et toutes les crises internationales qui agitent la planète. On avait fini par croire que Vishnu Lutchmeenaraidoo avait accepté que son karma était d’être un ministre avec titre, mais sans les pouvoirs et les dossiers qui y sont attachés, jusqu’à la semaine dernière. Profitant de la visite du nouveau président de la république malgache, le ministre jusqu’alors muet prend la parole. Il déclare que si le gouvernement se félicite d’un taux de croissance de 3%, lui, ancien ministre des Finances, a honte de ce taux. Stupeur dans le milieu du gouvernement et surtout dans Lakwizinn, puisque Vishnu Lutchmeenaraidoo a osé commettre un crime de lèse-majesté : critiquer le ministre des Finances, qui est aussi le Premier ministre. Un supposé sniper est désigné pour aller rebattre le caquet du ministre des Affaires étrangères : le député Zouberr Joomaye. Avec l’autorité d’un ambassadeur mandaté, il décrète que le ministre des Affaires étrangères aura à prendre ses responsabilités par rapport à sa déclaration sur le taux de croissance. Vishnu Lutchmeenaraidoo l’a pris au mot en démissionnant du Cabinet et de l’Assemblée législative jeudi dernier.
On peut comprendre qu’un vieux routier de la politique comme Vishnu Lutchmeenaraidoo n’ait pas accepté de se faire faire la leçon par un député dont le seul titre de gloire a été de quitter le MMM pour rejoindre le MSM en devenant un transfuge politique. C’est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà rempli des humiliations subies et qui explique la phrase prononcée par l’ex-ministre des Affaires étrangères en quittant définitivement son ancien bureau jeudi soir : « Enough is enough ! » On peut dire pas mal de choses de Vishnu Lutchmeenaraidoo — et d’ailleurs depuis vendredi on peut lire beaucoup de choses négatives sur lui sur les réseaux sociaux. Mais il faut reconnaître qu’en démissionnant du gouvernement et du Parlement, en forçant le MSM à envisager ce qu’il redoute le plus, une élection partielle, il a retrouvé un peu de son panache d’autrefois.
Jean-Claude Antoine