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Après Christchurch, un remaniement des signes pour le terrorisme ? (I)

Khal Torabully

Il s’est passé, à mon sens, quelque chose d’importance après les attentats terroristes de vendredi 15 mars. Bien entendu, ce vendredi noir marque l’attentat le plus meurtrier de l’île nichée au pied de l’Australie. Aussi, l’irruption dans le réel de ce pays tranquille d’une violence qu’il avait l’habitude, hélas, de voir sur des terres lointaines. En effet, tranchant avec cet isolement tranquille, venant d’Australie, il y a eu Brenton Tarrant, un suprématiste blanc qui a mûrement préparé son attaque terroriste contre des fidèles aux prières du vendredi. Il a signifié que son acte s’inscrivait contre l’autre, le non-blanc, non-chrétien, l’immigrant, le réfugié, puisant dans une islamophobie globalisée, s’appuyant sur des idées promues par des idéologues de la haine, tels Camus, Zemmour ou d’autres « philosophes » serinant à longueur de journée que la haine du musulman est un projet politique ou de société, tant l’identité atavique semble mise en péril. Le terroriste avait oublié qu’il était lui-même migrant, venant d’Australie et que ses ancêtres étaient venus « prendre possession » d’un territoire qui appartenait aux aborigènes, au nom de la colonisation britannique. Son obsession : prévenir que les blancs ne soient mis en minorité et ne plus se « sentir chez soi »…

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Tarrant a préparé son crime à l’instar d’un jeu vidéo. Celui-ci pouvait être visionné en ligne par d’autres suprématistes, une première dans l’exécution d’un massacre « en direct ». Des images de ses armes étaient sur Twitter. Il a diffusé un Facebook live de son acte barbare bien planifié. Celui-ci a été vu 1 500 000 de fois sur le net : « Les réseaux sociaux ont été incapables de bloquer la diffusion mondiale de cette vidéo, soulignant ainsi les défis auxquels ils doivent faire face aujourd’hui concernant la modération des contenus. Les grandes plateformes ont promis d’endiguer le partage d’images violentes et autres contenus inappropriés par le biais de systèmes automatisés et d’un contrôle humain. Mais cela ne fonctionne pas, estiment certains observateurs » (1).

L’idée est de faire des émules, d’exporter la violence pour « remettre l’autre à sa place », d’abord les musulmans, puis les migrants, les réfugiés, les étrangers… En clair, il faut éliminer les « envahisseurs »… J’ai pu visionner ces images avant qu’elles ne fussent retirées du circuit, à la demande de la Première ministre néo-zélandaise. Tout cela révèle une certaine nouveauté dans le modus operandi d’un terroriste qui est clairement capté par l’image et sa diffusion, inspiré, comme il le clame, par Anders Breivik, autre terroriste conspirationniste. Il a même publié un manifeste haineux après l’attentat, se plaignant des birth rates, des taux de natalité de l’autre, qui lui sont « insupportables ». Pour lui, les blancs ne se reproduisent pas assez, donc, il faut, comme il le fait en tuant, agir, et inspirer les autres à faire de même. Sur cette phobie de l’effacement du blanc, son « grand remplacement », Tarrant élabore sa haine de l’autre, cristallisé dans la figure du musulman. D’où les propos sensés de Jacinda Ardern, une figure désormais iconique sur la scène mondiale, concernant la lutte contre la propagation des idéologies de haine et racistes sur les réseaux sociaux, s’interdisant même de prononcer le nom du terroriste, comme pour le nier dans sa demande première, se tailler un nom dans l’action terroriste pour un monde dominé par les blancs. Ne pas nommer l’autre revient à le nier dans sa propre existence, ne pas lui donner une mémoire, le priver de s’ériger en référence dans les idéologies fascistes déferlantes. Ardern a parfaitement compris l’enjeu du langage dans ce choc qui a échoué d’instaurer, à l’instar des stratégies de Daech, le chaos et la division entre les religions et les communautés, pour les pousser à la guerre civile.

La Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, lors d’une conférence de presse donnée à Wellington, le 25 mars 2019

Ce contexte posé, notre lecture s’appesantira davantage sur les images et propos émanant de la Nouvelle-Zélande, et qui marquent un tournant dans la qualification du terrorisme à l’échelle mondiale.

De la nouvelle qualification du terrorisme

Les attentats terroristes de Christchurch ont affolé le web mondial et ont été fortement relayés par la presse écrite et audiovisuelle. J’ai lu les premiers commentaires des internautes et des médias à ce sujet. Dès les premières minutes, la presse cherchait à qualifier l’événement, hésitant à utiliser le terme « terroriste » pour un suprématiste blanc, qu’elle aurait volontiers qualifié de « lone wolf » ou de « détraqué mental » agissant en solitaire. Brenton Tarrant, qui se dit inspiré par Trump, « un modèle de l’identité blanche », dénote bien un fait : à l’hémisphère sud aussi, les idées conspirationnistes et suprématistes ont fait du chemin. Elles sont inscrites dans la montée d’une idéologie fascisante et islamophobe globalisée, qui depuis quelques années, s’est non seulement exprimée de façon décomplexée et ayant marqué sa progression sur la toile ou les médias, mais aussi sur l’échiquier politique. L’extrême-droite est la deuxième force politique en Europe. Aux élections européennes, les sondages annoncent sa progression en France, un pays où les discours islamophobes sont en progression constante.

Aux USA, Trump n’a pas caché son nationalisme « blanc » et le rappelle régulièrement pour conforter son image de populiste issu d’un électorat précis. Au Brésil, Bolsonaro est souvent appelé le Trump des tropiques, exprimant le retour en force d’un Brésil « blanc », fustigeant les minorités, les métis et les peuples premiers. Ce contexte mondial racialisé est bien réel, et même commis aux antipodes, les actes terroristes de Tarrant ne sont donc pas l’acte d’un « lone wolf », d’un détraqué isolé. Il s’inscrit dans un mouvement de fond fasciste et islamophobe transnational que l’on brandit désormais comme un programme politique, le musulman ou le migrant étant le bouc-émissaire tout trouvé pour favoriser un repli identitaire face à la mondialisation. Cela était évident lors du vote pour le Brexit. Il y a un contexte propice pour l’extrémisme « blanc » et le rejet de l’autre.

Dans cette montée de l’extrémisme « blanc », un dispositif sémantique a primé. Celui de l’équivalence du terroriste avec le musulman. Il s’agit de le déconstruire.

Cette équivalence terroriste = musulman explique les hésitations de la presse mainstream à qualifier, d’entrée de jeu, l’acte de Tarrant d’acte terroriste et de l’appeler d’emblée un terroriste. Faire cela, c’est mettre en péril une façon « établie » de qualifier le terrorisme. Des internautes fustigeaient ce traitement de « deux poids, deux mesures » des médias. Ce n’est qu’après la déclaration à chaud de Jacinda Ardern, la PM de la Nouvelle-Zélande, que, par exemple, des organes de presse en France, en GB et aux EU, ont commencé à « élargir » le champ du mot terroriste, jusque-là réservé aux musulmans, à un suprématiste blanc. Ardern a appelé un chat un chat, obligeant les sémanticiens mécanistes de changer leur fusil d’épaule. Tarrant, aucun doute n’est permis, est un terroriste, dénoncé sans réserve par l’exécutif de la Nouvelle-Zélande. Cette prise de position claire par Ardern restera dans l’Histoire à mon sens.

C’est un premier pas d’importance dans un monde anomique, car il permet de casser une digue pour regrouper toutes celles et tous ceux qui peuvent trouver une plateforme, des valeurs communes, pour dire NON aux terrorismes qui déferlent de par le monde. Tout le monde peut sécréter du terrorisme, de la haine, de la bêtise et avoir collé cette étiquette, dans un « traitement de faveurs » coupable à une population précise, n’a pas aidé la cause de la paix entre les peuples.

La PM Ardern a été juste, précise et honnête dans sa démarche et elle a opéré un changement de paradigme majeur en qualifiant le terrorisme hors du champ musulman. Cela rompt, par exemple, avec une certaine sémantique en vogue aux USA, où, habituellement, le terroriste suprématiste est qualifié de détraqué isolé par les médias, n’opérant pas dans une idéologie perverse, dangereuse, à l’instar de ceux qui, tout aussi détraqués, qui crient « Allah Ackbar » en se lançant dans des actes barbares.

Dans le cas de Brenton Tarrant, il s’agit bien de terrorisme étayé par une idéologie qui avance de façon transnationale. En effet, il a posté un manifeste de plus de 70 pages après les massacres. Celui-ci peut être lu comme un « effet boomerang » des discours du « grand remplacement » ou même, un effet de miroir des discours extrémistes de Daech ou d’autres groupes auto-proclamés de jihad, visant à opérer une ligne de fracture entre « eux » et « nous ». Les deux discours extrémistes se rejoignent sur le fond, œuvrant pour une fracture sociale, culturelle et religieuse. Donc, les terrorismes, par des voies apparemment opposées, opèrent suivant le même mode du clivage des composantes d’une société « plurielle », pour que la confrontation violente s’opère entre ses composantes.

Terrorisme = musulman est donc une équation qui ne tient plus à l’épreuve de la réalité néo-zélandaise. Le fascisme, qui est une force politique structurée internationalement, fournit ses balles idéologiques aux Breivik ou Tarrant, qui s’est revendiqué « fasciste », ce qui n’est pas une fantaisie de la part de quelqu’un qui a froidement échafaudé son plan de massacre, avec la volonté de faire le maximum de morts et d’amplifier son acte « politique » sur les réseaux sociaux pour en inspirer d’autres. Il existe une pensée politique internationale, structurée et relayée par les réseaux sociaux, des structures politiques et des organisations. Il est urgent d’en tenir compte. Dès lors, il faut reconsidérer le sens monosémique du terme « terroriste », comme une première réaction.

 Note :

(1)  https://www.20minutes.fr/high-tech/2474199-20190316-attentats-christchurch-comment-assaillant-pu-diffuser-facebook-live-etre-bloque

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