Le terme terroriste, son utilisation par la presse, il faut en être conscient, découle directement de la démonisation mise en œuvre dans le sillage de Samuel Huntington, idéologue des guerres de Bush, qui a désigné l’Islam comme l’ennemi quasi héréditaire de la civilisation occidentale. Aux lendemains de la Guerre Froide, il a participé à la construction de l’ennemi, du bouc-émissaire idéal. Idée qui a prospéré dans (et hors) du monde occidental, par exemple, dans des parties d’Asie où le terme « terroriste » a été instrumentalisé pour rendre acceptables des politiques de répression ou d’élimination des minorités. Le terme terroriste est vite devenu l’arbre qui cache la forêt. Cette instrumentalisation du mot rend le crime « acceptable »…
Christchurch, en le désenclavant, en enlevant son utilisation « réservée » à certains, aura permis de faire sauter un verrou sémantique et idéologique, pour faire avancer une conscience trans religieuse et civilisationnelle contre la haine et la violence. C’est un fait d’importance. Il a été réalisé, soulignons-le, non pas par des médias mais par une femme politique d’exception, Jacinda Ardern. La PM de la Nouvelle-Zélande, rejetant l’idéologie fasciste de Tarrant, a qualifié l’acte du suprématiste d’acte terroriste, alors que les médias utilisaient leur rhétorique de circonstance ou « tâtonnaient », clairement en quête d’une voie de sortie. Finalement, ceux-ci ont fini par suivre la qualification du terroriste non-musulman établie par Ardern, qui n’a pas fait d’arrangements sémantiques avec la réalité. C’est une des raisons pour lesquelles la PM a gagné les cœurs des personnes éprises de paix dans le monde. Et qui sont lasses des contre-vérités qui sont fabriquées pour mener les gens à la détestation de l’autre.
Empathie et changement de codes
Les images, actes et discours, venant de la PM Ardern ou de la société civile de Nouvelle-Zélande, ont aussi aidé à changer la perception que tous les musulmans sont des terroristes… En effet, des gens qui priaient pacifiquement, de 3 à 70 ans, ont été massacrés dans une frénésie haineuse. Sans aucune possibilité de riposte. Clairement, les coups de mitraillette de Tarrant ont fait voler en éclats la gangue du terme « terroriste », à un coût humain inconcevable, bien entendu. Des musulmans étaient clairement les victimes de cet acte terroriste. Comme ils l’ont été régulièrement de groupes supposément « musulmans », dont Daech. Les statistiques mortifères sont sans appel.
Cette fois, on ne pouvait pas tergiverser. Cette « disambiguation » du terme a aussi été renforcée par la réaction exemplaire du peuple néo-zélandais, qui a manifesté une solidarité rarement vue dans les pays occidentaux, envers « sa » communauté musulmane. Pour eux, c’étaient avant tout leurs voisins, leurs amis, leurs collègues, leurs camarades de classe, leurs frères… On ne présentait plus le musulman comme étant « l’autre », l’entité inassimilable, avec laquelle la barrière civilisationnelle, donc humaine, est impossible à franchir. Ardern est l’anti-Trump, elle n’établit pas des murs mais des ponts.
La Nouvelle-Zélande a montré la voie : les musulmans font partie du pays et ne sont pas des « aliens » à traiter avec une sorte de distance « convenable »… Jacinda Ardern a été prodigieusement juste et inclusive dans cette gestion de l’après-crise. Elle a dit les mots d’apaisement et de solidarité qui s’imposaient. Elle a arboré le hijab (« geste symbolique » de respect, pour la citer), donnant le signal que la nation était unie dans la douleur, sans aucune hésitation. Elle a rendu un hommage au Parlement en prononçant la salutation musulmane : « Paix soit sur vous » ! Elle a assuré les familles que l’Etat les aiderait financièrement, ne mâchant pas ses mots contre ceux qui « n’ont pas leur place parmi nous », comprenez, ceux qui s’inspirent du fascisme pour tuer nos citoyens…
Ce message a été relayé et entendu par le peuple néo-zélandais. Celui-ci s’est exprimé de façon empathique, généreuse, émouvante. Les images relayées de haka, danse traditionnelle maorie, de dépôts de gerbes, de messages d’aide et de deuils partagés ont été légion. Oui, le pays est debout avec les musulmans, contre le terrorisme. Cela se passe dans un pays peuplé par des migrants européens, un pays européen aux antipodes. Est-ce que c’est le fonds culturel pluriel qui a permis cet élan humaniste ? Un geste inédit dans un pays « blanc » (n’oublions pas la composante maorie qui a manifesté son soutien sans faille aux victimes de l’attaque de Christchurch). Et qui fait tomber, justement, des barrières nées des constructions historiques, religieuses, sociologiques, culturelles, médiatiques… qui sont tenaces ailleurs. Les images, que nous avons pu voir, montrent une humanité unie dans la douleur, des communautés solidaires qui redonnent foi en l’humanité. C’est cette humanité qui est exemplaire.
Puis, avec l’attentat d’Utrecht et celui contre une église catholique aux Philippines, cette communion revigorante, cet élan digne, semblait déjà compromis hors de l’île. Des propos d’internautes fusent, baignant encore dans l’amalgame : encore des musulmans ! Comme si les gens qui perpétuent ces actes criminels, sans en référer aux autres musulmans, entraînaient, par un effet irrésistible d’aimantation et de mimétisme irraisonné, toutes les communautés musulmanes du monde dans leur acte. C’est comme si on disait qu’Hitler, se proclamant chrétien, entraînerait de facto tous les chrétiens dans sa « croisade » pour la « race blanche supérieure »… Simplification de la pensée ? Ou survivances du réflexe pavlovien que tous les musulmans sont dignes d’être qualifiés de terroristes ? L’équivalence douteuse a la peau dure, tant l’équation a fait mouche pendant des années.
D’autres internautes se demandent, dans une concurrence victimaire en direct, « pourquoi on pleure les musulmans mais pas nous » ? Une mise en perspective et une éducation s’imposent, pour briser ces équivalences malhonnêtes, simplificatrices. Il faut, qu’après les actes terroristes de Christchurch, que l’humanité se ressaisisse, elle qui est fatiguée des images d’horreur, de violence, de haine. Il faut qu’elle s’inspire du drame néo-zélandais et de sa gestion humaine et politique : le terroriste n’a pas d’ethnie, de religion, de culture, quel qu’il soit. Il est l’ennemi de l’humain. Aucune idéologie spécieuse ou déviation sémantique ne doit le présenter sous des angles qui le rendraient porte-parole d’office d’une vérité auto-proclamée valable pour toute une communauté qu’il prend en otage. Même si Tarrant se dit « chrétien », il n’engage pas la chrétienté. Même si tel terroriste se dit « musulman », il n’engage pas l’Islam ni les musulmans.
Un terroriste défend par les armes une « identité meurtrière ». La société civile doit comprendre sa visée première : tuer pour diviser, monter les uns contre les autres. Elle doit faire bloc contre les terrorismes et faire front commun contre les barbares de tout bord.
C’est une des leçons profondes des massacres de Christchurch, de la réaction digne, inclusive et inspirante de la PM Jacinda Ardern et du peuple admirable de cette île qui s’est imposée par son amour de l’autre. Une île inspirante pour nos humanités…
FIN