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Carina Gounden : « Le développement ne devrait-il pas être dans l’intérêt du petit peuple d’abord? »

Carina Gounden, qui se définit elle-même comme « enn zanfan lakot », explique dans cet entretien son engagement au sein de la coalition Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL). Un combat contre l’accaparement de notre patrimoine naturel — dont nos plages publiques — par de grands groupes. Elle détaille le modèle de développement touristique préconisé par AKNL, c’est-à-dire, le tourisme chez l’habitant. Il s’agit d’« un modèle où les politiques ne gagnent rien », au contraire du petit peuple qui, lui, vit ainsi dignement

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On vous voit impliquée dans AKNL. Comment est-ce arrivé ?
Je pense que c’est une question de sensibilité. Il y a des causes qui interpellent. Mo enn zanfan lakot. C’est pour moi une identité forte. Je me sens interpellée par le combat d’AKNL contre l’accaparement du patrimoine naturel et de nos plages publiques, entre autres.

Pourquoi ce combat d’AKNL ?
J’avais déjà un pied dans ce combat en 2012 avant de partir pour la France. Cela a commencé à Gris-Gris, là où j’habite. Il y avait alors ce projet de Domaine de Gris-Gris. Il y avait un empiétement au niveau des falaises. J’ai alors commencé à prendre conscience de l’accaparement. Des murs qui s’érigent tout à coup dans un endroit où moi j’ai l’habitude de circuler librement.

Quand ils ont fermé une route qu’on a utilisée pendant plus de 100 ans, cela m’a personnellement touchée. Ce projet immobilier m’a permis de me rendre compte où commencent les terres et où s’arrête notre liberté, nous les habitants du Sud. Dans le cas de Gris-Gris, une route était détournée et on allait perdre un des rares accès directs aux falaises du Sud. On ne pouvait se résoudre à perdre ça.

En outre, quand on détourne une route, les gens sont découragés. Ils ne viennent plus. Ils ne vont pas faire un grand détour avec leurs grosses tentes de pique-nique. C’est leur priver de la jouissance d’un bien qui appartient à tous. D’ailleurs, quand les promoteurs vendaient les lotissements, ils vendaient aussi la vue. C’est tout vous dire… Cette superbe vue des falaises du Sud allait être réservée uniquement pour le plaisir d’une petite poignée de personnes qui avaient les moyens de se la payer.
Je luttais pour ce que je considère comme un droit de naissance. J’ai toujours fait partie de ce paysage. On ne pouvait me couper d’un coup du paysage.

Cette fois-ci vous être engagé contre la construction de cet autre hôtel à Pomponette…Le sud à nouveau…Quel en est l’enjeu ?
Il y a des enjeux, en fait. Ce combat cristallise tellement de choses qui ne fonctionnent pas à Maurice.

Lesquelles ?
Quand j’ai commencé, je me suis dit que je venais pour défendre ma plage, pour qu’on me rende ma plage. Tout simplement. Un état sauvage qu’on voit rarement de nos jours.

Ce combat pour qu’on nous rende Pomponette m’a permis de comprendre les implications au niveau politique, social, économique et au niveau de la préservation de la nature. Ont également émergé la question de braderie de nos plages par nos politiciens et l’ampleur de cet accaparement de ce qui appartient à la population de Maurice dans son ensemble.

Je me suis aussi rendu compte de tout ce que cela comporte comme dysfonctionnement au niveau de la délivrance des permis. La façon dont on donne des permis — développement, EIA — pour un bien fondamental qui nous appartient, à nous les Mauriciens, en propre. La façon dont on donne ces permis comme des petits pains sans considération pour ce que nous, les tout premiers concernés, nous ressentons.

A voir ces permis délivrés à tour de bras, on a la nette impression que quelqu’un n’a pas fait son travail ou a été soudoyé pour ne pas le faire convenablement. Sinon, ils n’auraient jamais raté le fait qu’il y a tant de gens qui en souffriraient.
Le combat de Pomponette a aussi fait émerger ce sentiment de trahison du gouvernement de l’Alliance Lepep. Cette promesse du manifeste de l’Alliance Lepep pour stopper toute braderie de nos plages, c’est celle qui m’a le plus parlé. Ils avaient promis de venir avec un modèle de développement plus en phase avec la préservation de nos ressources naturelles. Cela avait tout de suite résonné en moi.

Est-ce si décevant que ça ?
Pire ! Déjà les gouvernements précédents nous avaient déjà pris progressivement nos plus belles plages… Contrairement à leurs promesses, l’Alliance Lepep a pris le clou et l’a enfoncé davantage dans notre cercueil.

On ne peut s’empêcher de se poser des questions sur la rapidité à laquelle les autorités facilitent les voies rapides pour les permis. Pourquoi n’y a-t-il pas de consultations publiques quand on vend ce qui nous appartient ? Pourquoi ne nous donne-t-on pas de droit à la parole quand on brade notre patrimoine commun ? Pourquoi nous font-ils croire qu’ils sont pieds et mains liés, alors qu’ils détiennent le pouvoir et qu’ils peuvent tout décider ?

Pourquoi selon vous ?
Ils agissent pour ceux qui leur donnent de l’argent, ceux qui les financent. Pas étonnant qu’aujourd’hui, ils nous trahissent… Ils ont choisi d’oublier leurs promesses pour leurs propres intérêts égoïstes.

Vous vous révoltez publiquement contre la clôture de la plage et la présence de « gardiens » armés de sabres…
Il faut comprendre que le sud, c’est le South Coast Heritage Zone qui s’étende de Blue-Bay à Baie-du-Cap. C’est une zone qu’on nous a laissée en héritage. Ce n’est pas une zone touristique. Il y a des lois, il faut les appliquer. Mais dans ce cas, les premiers qui doivent appliquer ces lois sont les premiers à les violer. C’est donc une situation d’abus à tous les niveaux.
À voir ces barrages en tôle, ces Tontons Macoutes, on a le souffle coupé. On vit cela comme une agression. On va à la plage pour se détendre, pas pour être intimidé par la police de notre propre pays et par des « gardiens » armés. À Pomponette, les gens y viennent pour retrouver ce qu’on a perdu ailleurs, comme dans le Nord : cette connexion avec la nature.

Que préconise AKNL en matière de développement touristique ?
Exactement ce que préconise la National Development Strategy (NDS). Malheureusement, ce merveilleux document n’est pas appliqué. La NDS parle de South Coast Heritage Zone et dit qu’il ne doit pas y avoir d’hôtel de Blue-Bay à Baie-du-Cap. Simplement. Et c’est un document qui a été écrit par des experts et qui a coûté des millions. En contrepartie, la NDS parle de favoriser de « small businesses inland ».

Le présent modèle touristique que le gouvernement privilégie dans le Sud détruit la nature par ces grands hôtels et, pire, il prive les petites gens d’un modèle de développement durable dans leur intérêt. C’est-à-dire le tourisme chez l’habitant, modèle qui gagne du terrain partout dans le monde.

A Maurice, on a une poussée de grands hôtels et, pour justifier cela, on dit « développement, développement ». Mais le développement ne devrait-il pas être dans l’intérêt du petit peuple d’abord ? Dans le tourisme, la promesse d’emploi n’est que de la poudre aux yeux. Mais avec le tourisme chez l’habitant, les politiques ne gagnent rien. Les petites gens ne vont pas financer leur parti. Le financement occulte des partis par de grands groupes fausse la démocratie.

Si en tant que jeune vous rencontriez le Premier ministre Pravind Jugnauth, que lui diriez-vous ?
D’abord, que lui et son Alliance Lepep nous ont trahis ! Qu’il ne devrait pas être là parce qu’il ne sait plus pourquoi il est là, ou l’a-t-il vraiment jamais su ? Quand on se lance en politique, c’est pour faire bouger les choses dans l’intérêt du peuple, et pour l’envie de plus de justice sociale. À Maurice les écarts se creusent. Mon pouvoir d’achat diminue. Je vois que je n’aurais pas la capacité d’acheter un lopin de terre pour vivre dans mon pays, car la priorité est aux étrangers. Nous sommes à la veille des 50 ans de notre indépendance, une date forte. Mais il n’a pas les épaules pour être Premier ministre. J’ai envie de lui dire : « Si au moins tu veux marquer la fin de ton mandat, essaie au moins de répondre aux besoins de la société civile en respectant les promesses faites ». Qu’il puisse sortir la tête un peu relevée quand même !

En bref…
À 28 ans, Carina Gouden est une habitante du sud, plus précisément de Souillac/Gris-Gris. « C’est ce qui sans doute explique ma connexion à la nature », dit-elle. Également étudiante, elle est à sa dernière année de thèse en sociolinguistique.

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