- Les femmes, les jeunes et les travailleurs les moins éduqués restent pénalisés
- Anushka Virahsawmy (Gender Links) plaide pour un changement de mentalités chez les jeunes
- Parmi les recommandations, l’extension du congé de maternité et la flexibilité dans la réglementation du temps de travail
Le rapport de la Banque mondiale “Mauritius: Earnings Mobility and Inequality of Opportunity in the Labor Market”, rendu public, mercredi, met en lumière des faits qui perdurent depuis un certain nombre d’années sur le marché du travail à Maurice.
Il montre ainsi que les travailleurs peu rémunérés finissent par rattraper leurs collègues mieux payés avec le temps. Toutefois, de profondes inégalités demeurent.
Les facteurs à l’origine des inégalités salariales contrarient aussi la mobilité des salaires « de sorte qu’en plus d’obtenir des rémunérations initiales plus faibles, les femmes, les jeunes et les travailleurs les moins éduqués ont plus de mal à rattraper les niveaux de salaire des travailleurs mieux payés au cours de leur vie professionnelle ».
Si le rapport observe que les travailleurs qui démarrent au bas de l’échelle connaîtront une hausse plus importante de leurs salaires que ceux qui démarrent en haut de l’échelle, cette évolution dans le temps « est encourageante, mais le creusement des écarts de revenus entre travailleurs qualifiés et non qualifiés reste préoccupant », explique Marco Ranzani, économiste à la Banque mondiale (BM) lors de la présentation, hier.
L’évolution de l’économie au fil des décennies et la transition progressive des secteurs traditionnels, employant une main-d’œuvre peu qualifiée, vers le secteur tertiaire, notamment les services professionnels, immobiliers et financiers, est à l’origine de la hausse des inégalités de revenus des dernières décennies.
« Cette évolution a entraîné une demande beaucoup plus importante de travailleurs qualifiés, que le pays a bien du mal à satisfaire, malgré les avancées remarquables sur le plan de l’éducation. Par conséquent, les travailleurs qualifiés ont bénéficié de hausses de salaire beaucoup plus fortes que les travailleurs peu qualifiés », indique le rapport.
Concernant l’accès au marché du travail, l’égalité s’est améliorée à ce niveau, et ce en grande partie grâce au meilleur niveau d’instruction de la population. La BM fait ainsi trois recommandations pour égaliser les salaires et les perspectives d’emploi, en particulier pour les groupes à la traîne.
Elle recommande d’abord d’encourager des politiques sociales favorables aux femmes : avec l’introduction d’un congé de paternité, l’extension du congé de maternité, l’interdiction de licencier des femmes enceintes et la loi sur l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale.
À terme, il faudra aussi introduire des programmes accessibles de prise en charge des enfants et des personnes âgées, mais aussi des réglementations du temps de travail encourageant la flexibilité, essentielles pour éliminer les inégalités hommes-femmes.
D’autre part, le rapport note que les employeurs indiquent avoir du mal à trouver des profils présentant les compétences techniques recherchées, mais il montre aussi que les jeunes peu qualifiés sont réticents à accepter des emplois dans certains secteurs, découragés par les conditions de travail et le statut social qui y est associé.
Intervenant lors des échanges, Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links, explique ainsi qu’il faut un changement de mentalités pour résoudre ce problème.
« Tout le monde a commencé au bas de l’échelle. Moi-même j’ai travaillé chez Pizza Hut avant d’obtenir mon diplôme. Après, on grimpe au fur et à mesure que l’on acquiert des compétences. Cela n’arrive pas du jour au lendemain, il faut persévérer. Et puis il ne faut pas se dire que si ses parents ont réussi dans une filière, cela veut dire que l’enfant doit suivre la même filière. Il faut aussi savoir se réinventer, se montrer créatif. Il y a énormément de possibilités et de capacités à saisir. »
Elle poursuit : « Le pays n’a pas besoin que de médecins et d’avocats. Le pays a aussi besoin de “skilled workers” dans tous les domaines. Donc, je passe un message aux jeunes : “Manz ar li !” Cessez de dire que vous n’aimez pas faire tel ou tel travail. Il faut persévérer. Nous avons un “shelter” où nous accueillons des jeunes sans abri ou ayant subi des abus, et à chaque fois, nous entendons ce genre de discours. Ils disent qu’ils n’aiment pas tel ou tel emploi. »
Business Mauritius va dans le même sens. Son CEO, Kevin Ramkaloan, soutient que, quitte à démarrer comme un “low paid worker”, le fait même de rentrer dans le monde de l’emploi, même à un niveau bas, offre beaucoup d’opportunités.
« Les chiffres démontrent aujourd’hui qu’il y a beaucoup d’opportunités de croissance dans le “pay scale” à Maurice. Aujourd’hui, on peut démarrer une carrière avec un salaire minimum et, ensuite, on progresse, on acquiert des connaissances et de l’expérience, et on arrive à pouvoir être plus mobile. »
Beejaye Coomar Appanah, président du National Consultative Wage Council, souligne pour sa part que « si un jeune sans compétences ni expérience veut obtenir un gros salaire dès le départ, son chemin sera très difficile ». Il reprend : « La priorité est de prendre un emploi, faire des efforts, se former, apprendre pour augmenter ses compétences. Ensuite il pourra songer à de plus gros salaires. »
La flexibilité pour contrecarrer les inégalités
Le rapport mentionne le genre, l’âge et le niveau d’éducation comme étant des facteurs causant l’inégalité sur le marché du travail. Concernant l’inégalité entre les deux sexes, Kevin Ramkaloan souligne que cela n’est pas forcément lié au fait qu’une personne soit une femme, car « l’enjeu est plutôt de créer un “more flexible working environment” » dans le pays. « Il faut plus de crèches pour que les parents puissent faire garder leurs enfants en toute sérénité. Il faut aussi encourager plus de conditions de travail flexibles, comme le “work from home”. »
Isis Gaddis, Senior Economist à la BM, souligne, lui : « It is important to have flexibility in the working hours. In the morning not all employees have to start at 8h, some can start at 10h. These things are easy to fix, and they make the work life a bit more compatible with family responsibilities. »
La compensation permet de « bridge the gap »
Beejaye Coomar Appanah, président du NWCC, explique : « Le rapport montre que malgré les inégalités, les Mauriciens au bas de l’échelle peuvent grimper plus vite que ceux qui sont en haut. Par exemple, si on regarde la politique de détermination de la compensation salariale, la dernière fois, nous avons payé Rs 400 “across the board”. En termes de pourcentage, la personne au bas de l’échelle a eu une plus grosse augmentation. Cela aide à “bridge the gap” entre les hauts cadres et les employés au bas de l’échelle. »
Il souligne aussi que dans le service public, les fonctionnaires bénéficient non seulement de cette compensation, mais également d’un “increment” représentant 3% de leur salaire, sans oublier les “increments” obtenus en cas de promotion, qui représentent 10% des salaires. « Potentiellement, et c’est “in-built” dans notre système lui-même, une personne au bas de l’échelle bouge beaucoup plus vite que ceux se trouvant en haut. »
Par ailleurs, fait-il ressortir, le taux de compensation recommandé au niveau des tripartites est aussi applicable au secteur privé, « mais il faut savoir maintenant si la vitesse à laquelle l’employé grimpe l’échelle dans le secteur public est la même que dans le secteur privé ». Selon lui, « le rapport ne le précise pas, mais moi, je suis convaincu que dans le secteur public, on grimpe l’échelle beaucoup plus vite ».