CRIMES TRANSFRONTALIERS : Un Picasso fait tomber le jet-setter Canaye

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En fin de semaine, en véritable situation d’urgence avec une fraude d’envergure de Rs 1,7 milliard démasquée lors d’une sting operation du Federal Bureau of Investigation (FBI) des États-Unis, la Financial Services Commission (FSC) de Maurice a dû passer à la vitesse supérieure. Une management company, incorporée à Maurice depuis le 9 février 2010, en l’occurrence Beaufort Management Services Ltd, avec pour directrice et principale actionnaire Hema Soondram, qui fait également office de Lecturer en fiscalité à l’université de Maurice, est citée dans un indictmentcriminel, portant la matricule CR 18 — 0102 et logé par le FBI devant la United States District Court Eastern District of New York (Brooklyn). Qui plus est, le General Manager de Beaufort Management Services Ltd, un dénommé Arvinsingh Canaye, alias Vinesh, âgé de 30 ans, habitant Curepipe, a été arrêté par le FBI depuis jeudi et placé en détention. Lors de sa comparution devant le tribunal de Brooklyn, celui qui peut être comparé à un jet-setter, au vu des détails disponibles sur sa page Facebook, a été inculpé de deux accusations, soit de conspiracy to commit securities fraud et de money laundering conspiracy. Outre le montant de la fraude, 14 000 clients ayant investi un montant de Rs 33 milliards dans des instruments financiers émis par la maison-mère en Grande-Bretagne se présentent comme des victimes potentielles d’une escroquerie sur le plan international.

Même si toute ressemblance avec le script du film Lone Wolf of Wall Street ne peut être fortuite, les détails contenus dans les 29 pages de l’acte d’accusation en cour de Brooklyn en sont des plus conformes. Un chef-d’œuvre artistique a parachevé cette enquête sur les Beaufort Securities, qui avait été initiée par le FBI depuis mars 2014. En effet, c’est un tableau du non moins célèbre peintre du XXe siècle Pablo Picasso, intitulé Les Personnages et peint le 11 avril 1965, qui a précipité la chute du jet-setter Arvinsingh Canaye. L’achat de cette œuvre mythique de Picasso pour un montant de Rs 300 millions (£ 6,7 millions), le paiement devant être effectué avant le 6 mars, soit ce mardi, devait servir de paravent pour une opération de money laundering.

Le deal de la vente de ce tableau de Picasso arrangé par la société Mayfair Fine Art Ltd de Londres était quasiment scellé. Il ne restait que le paiement à être effectué. Toutefois, en ce début de mars, aucun des protagonistes opérant au nom du réseau Beaufort, avec des liens à la Loyal Bank de Hongrie et de St Vincent, n’entretenait l’ombre d’un doute au sujet de la tournure des événements. Arvinsingh Canaye, qui avait fait le déplacement à Moscou à la mi-février en tant que Guest Speaker à la CIS Wealth Moscow 2018, après avoir visité successivement depuis novembre de l’année dernière Dubaï, l’Égypte, l’Inde, la Malaisie, Singapour et d’autres pays de l’Extrême-Orient, et logé dans des palaces de luxe, ne savait pas qu’une welcome party de membres du FBI, armés jusqu’aux dents, avait été constituée pour l’accueillir à son arrivée à New York au cours de la semaine écoulée.

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Tout laisse croire que cet ancien manager de Bramer Global Services et ayant travaillé au sein du CSR Committee du group Amicorp, nom cité dans l’un des plus gros scandales bancaires en Inde avec un montant de plus de Rs 60 milliards à la Punjab National Bank, avait pris l’avion en début de semaine pour se rendre aux États-Unis en vue de conclure le Picasso Deal, devenant un des rares Mauriciens à être partie prenante d’une telle opération artistique. Depuis jeudi, il a été jeté au fond d’une cellule de la prison fédérale à New York, le temps que son procès au criminel ne soit instruit.

L’arrestation de ce Mauricien a fait, hier, la Une de la presse à l’étranger, dont le quotidien économique spécialisé Financial Times de Londres, sans compter les titres de la presse américaine. De son côté, l’édition de The Times de Londres d’hier matin résumait l’équation Beaufort au fait que « thousands of investors have been left in limbo after the City watchdog shut down a stockbroker and American prosecutors accused the firm of operating a Wolf of Wall Street-style « pump and dump scheme. » At least 14,000 clients are thought to have held shares, pensions and Isas with Beaufort Securities, but now face a nervous wait to recover their money after the Financial Conduct Authority froze £700 million of funds tied to investments with the broker. »

Collaboration
avec le FBI

L’arrestation d’Arvinsinghj Canaye et de ses complices, soit six au total, et la mise en accusation de quatre entités, dont Beaufort Management Services Ltd, à New York, a déclenché des effets en chaîne. La Financial Conduit Authority de Grande-Bretagne devait nommer en fin de semaine le groupe PwC en tant qu’administrateur de Beaufort Securities en Grande-Bretagne et la fermeture de cette compagnie qui emploie une centaine de personnes et gérant des placements de £ 37 millions en liquide et de £ 664 millions en avoirs.

Dans le cadre de la coordination de cette opération de démantèlement de ce cas de fraude avec la manipulation des cours boursiers, l’intervention de la FSC de Maurice fut sollicitée simultanément. Après avoir pris connaissance des premiers détails des fraudulent schemes opérés, avec la complicité de Beaufort Management Services Ltd (anciennement Moots International Ltd), les régulateurs mauriciens devaient passer à l’action avec la suspension de la Management Company’s Licence octroyée le 7 décembre 2010. Un administrateur, en la personne de Georges Chung Ming Kan, de la firme BDO Mauritiius, a été nommé tard vendredi pour assurer la transition.

La FSC devait aussi saisir l’occasion pour confirmer qu’en parallèle à la mise sous administration de Beaufort Management Services Ltd, une enquête a été diligentée en collaboration avec la Financial Intelligence Unit et la Banque de Maurice, avec l’Independent Commission against Corruption en embuscade en vue d’établr un audit trail des transferts de fonds effectués par le truchement de cette management company. La FSC donne l’assurance de son entière collaboration avec le FBI dans cette affaire, tout en affirmant que « it will take all necessary actions against any of its lisensee/approved officer/Management Company found to be linked with any illegal, harmful and/or fraudulent practices that may cause prejudice to the good repute of Mauritius. »

Dans cette perspective, Hemvadi Poolay Soondram, qui détient 75% des actions de la société, les 25% restants alloués à Beaufort International Associates Ltd, devra être entendue par les autorités au sujet des transactions illicites opérées. Un autre directeur, Philippe Yat Kwong Chan Yew Poa, devra également intéresser la FSC, même si le premier nommé, un des membres fondateurs de la société, aurait soumis sa démission depuis le 31 janvier dernier.

Comme indiqué plus haut, cette enquête du FBI avait débuté en mars-avril 2014 à Bélize, l’indictment affirmant que, « in or about and between March 2014 and February 2018, the defendants, Peter Kyriacou, Vinesh Canaye, Beaufort Securities Ltd and Beaufort Management Services Ltd, together with others, devised and engaged in a scheme whereby they agreed to defraud investors and potential investors in various US publicly traded companies through inter alia, fraudulent concealment of their clients’ true beneficial onwership interests in the various US publicly traded companies and the engineering of artificial price movements and trading volume in the stocks of these companies. »

Le FBI accuse également ces suspects d’avoir mis à exécution une série d’opérations de blanchiment de fonds des profits illicites de Rs 1,7 million ($ 50 millions) au cours de la période allant de janvier 2011 à février 2018. Les dessous de cette fraude ont été mis à jour lors d’une undercover operation du FBI, qui s’est échelonné sur plusieurs années, avec la période la plus active engagée à partir du mois d’août 2016, soit des échanges d’e-mails entre l’agent du FBI opérant sous couvert et les responsables de Beaufort Securities.

Lors de cette étape de mise en confiance, avec des échanges téléphoniques sur écoute, il avait été question d’ouvrir des brokerage accounts chez Beaufort Securities au nom de sociétés offshore incorporées à Bélize en utilisant des prête-noms de ressortissants de ce pays. Les contacts étaient suivis entre les deux parties, avec des rencontres également en tête-à-tête entre les protagonistes.

L’acte d’accusation souligne que « the undercover agent emphasized that, because he was a US citizen, his name could not appear on any paperwork associated with his brokerage accounts. » En janvier 2017, une première étape fut franchie en procédant à l’ouverture de six brokerage accounts avec des prête-noms à Belize. À partir de là, les opérations devaient connaître une nette accélération avec l’entrée en scène d’Arvinsingh Canaye.

Enter
Vinesh Canaye

Le paragraphe 39 du document CR 18 0102 avance que « in or about April 2017, the defendant Peter Kyriacou advised the undercover agent that Beaufort Management, located in Mauritius, could assist the undercover agent in the formation of additional off-shore corporations. » Un e-mail en date du 6 juillet 2017 en fait foi, avec l’introduction de Vinesh Canaye auprès de l’agent américain et le nom d’un autre directeur de la société mauricienne cité. « In the email, Kyriacou stated tha Canaye runs our Mauritius operation and that Kyriacou had briefly explained to Canaye what (the undercover agent) is looking for », poursuivent les représentants du FBI.

Puis survint la rencontre du 17 octobre 2017 entre Vinesh Canaye et l’agent sous couvert du FBI. Le rendez-vous fut fixé à Londres et les discussions, portant sur les opérations des US-based brokers et des kickbacks de 40%, avaient été également enregistrées. Des extraits de cet enregistrement constituent des pieces of damning evidence quant à  l’implication du représentant mauricien de Beaufort Management Services Ltd dans le mécanisme de fraude.

« During this same meeting, the undercover agent stated : there are son many opportunities here. Listen. As long as you keep the Securities and Exchange Commission, the FBI, the Mauritius Secret Police, keep them off my back, keep me safe, we’re gonna do some serious business », lit-on au paragraphe 41, Vinesh Canaye répondant avec conviction : « I need to keep you safe, to be safe myself. »

Nouveau contact, vers le 15 novembre 2017, cette fois au téléphone, entre l’agent du FBI et le Mauricien Canaye. Ce dernier devait rassurer son interlocuteur que « Beaufort Management’s GBCs utilized off-shore corporations to act as nominee shareholders and directors. » Le représentant de la management company a donné la garantie qu’il allait signer les documents personnellement pour éviter que le nom du client américain ne soit révélé, « Canaye informing the undercover agent that he had set up similar structures for a client who traded in over-the-counter markets. »

Avec des options pour le paiement des « corrupt US brokers » impliqués dans la manipulation des cours réglées. Vinesh Canaye et Beaufort Management Services Ltd avaient ouvert six GBC pour le compte de l’agent du FBI en janvier de cette année. « At no time did Vanaye or Beaufort Management request FATCAC information from the undercover agent. » Ainsi, pour la première étape de l’enquête en cours, la FSC a placé sous séquestre ces six dossiers, de même que toute une série de fichiers informatiques se trouvant dans les locaux de cette management company située à Ébène.

Money laundering business

Avec les transferts de fonds découlant des opérations de manipulation de cours sur des places boursières à l’étranger, la question de blanchiment est montée à la surface. Au début de 2018, la proposition d’acquisition d’œuvres d’art fut approfondie avec la participation d’un marchand de tableaux à Londres. En février, il fut décidé que l’agent du FBI allait faire l’acquisition d’un tableau de Pablo Picasso pour blanchir les fonds. « Specifically, the undercover agent would purchase and then maintain ownership of the painting for a periode of time. » Subséquemment, le même marchand de tableaux devait s’arranger pour revendre le Picasso et ensuite faire le transfert des recettes blanchies dans un compte bancaire aux États-Unis. Une commission de 5% était réclamée pour couvrir la transaction et éviter d’éveiller des soupçons de money laundering business.

Entre le 14 et le 19 février dernier, alors que Vinesh Canaye intervenait devant la CIS Wealth Moscow 2018 sur le thème Structuring international business through Mauritius, the International Centre, l’acquisition de Personnages de Pablo Picasso fut bouclée au coût de £ 6,7 millions. Le paiement devait être effectué au plus tard le 6 mars et à aucun moment après son transit à Maurice, revenant de Moscou pour se rendre à New York, l’idée avait-elle effleuré Vinesh Canaye qu’il allait séjourner dans une cellule à Brooklyn, William Sweeney, Assistant Director-in-Charge du bureau du FBI de New York, affirmant que « in a series of unscrupulous and illegal trading practices, the defendants contrived a scheme to defraud investors of US publicly traded companies by manipulating stock prices and masking the true ownership of their clients’ financial interests. »

À la FSC à Ébène, les séances de travail se succèdent en vue de réunir le maximum d’informations pour être transmises au FBI de New York dès la semaine prochaine…