Sept femmes et fillettes étrangères tuées, certaines retrouvées au fond d’un lac. L’affaire du « premier meurtrier en série de Chypre » bouleverse l’île, non seulement pour son aspect sordide, mais aussi parce qu’elle révèle un dysfonctionnement de la police, accusée de « mépris » pour les immigrés.
Depuis mi-avril, les médias chypriotes consacrent leurs titres et éditoriaux aux avancées de l’enquête sur les sept meurtres avoués par Nicos Metaxas, un officier de l’armée âgé de 35 ans.
« Pour les Chypriotes, découvrir un meurtrier en série au sein de leur société est quelque chose d’inédit : c’est le premier cas depuis l’indépendance de l’île », en 1960, souligne Andreas Kapardis, criminologue et professeur émérite à l’Université de Chypre, à Nicosie.
Jusqu’aux aveux du meurtrier présumé, les victimes – quatre Philippines dont une mère et sa fille de 6 ans, une Roumaine et sa fille de 8 ans, ainsi qu’une femme identifiée comme népalaise – avaient été portées disparues. La police avait rapidement classé leur dossier sans suite.
« Plus l’enquête avance, plus il devient clair que la police a bâclé les recherches parce qu’il s’agissait de femmes immigrées », dénonce auprès de l’AFP Maria Mappouridou, une Chypriote de 43 ans.
L’affaire a suscité de vifs remous dans la vie politique de l’île méditerranéenne, normalement placide: sous pression de l’opinion publique, le ministre de la Justice a démissionné et le chef de la police a été limogé.
La police « a agi de manière négligente, erronée et non professionnelle », a accusé vendredi le président Nicos Anastasiades.
Pour le Cyprus Mail, principal journal anglophone de l’île, la police a fait l’erreur de croire que les femmes étaient parties dans le nord de l’île, en République turque de Chypre-Nord (RTCN), une entité autoproclamée et uniquement reconnue par Ankara.
« Si la police avait correctement fait son travail dès (la première femme portée disparue), cinq vies auraient été sauvées », tance-t-il, accusant les policiers de « mépris raciste ».
« Peut-être que ce profond dédain (…) est à l’image de l’attitude de notre société », ajoute-t-il.
– Victimes « invisibles » –
Pour Lissa Jataas, qui a fondé le réseau Obreras Empowered pour aider les employées de maison à Chypre, ces meurtres sont « un signal d’alarme ».
« Maintenant, il faut renforcer la communication entre le gouvernement et les immigrés, s’asseoir à la même table (…) discuter des problèmes comme les violences physiques et sexuelles » auxquelles font face de nombreuses immigrées, dit cette nourrice de 47 ans.
Fin avril, alors que la police poursuivait ses recherches dans l’eau rouge toxique du lac Mitsero, Maria Mappouridou a lancé sur Facebook un appel à manifester devant le Palais présidentiel à Nicosie.
Des centaines de personnes, Chypriotes et immigrées, se sont rassemblées deux vendredi de suite. Parmi elles, Nicoletta Georgiou, 26 ans, « en colère contre la police et le gouvernement qui n’a pas protégé les femmes immigrées ».
« Il faut se rappeler que les migrants font partie de notre société ».
Pour Maria, « ces meurtres en série touchent plusieurs de nos points faibles: notre rapport aux femmes, aux immigrés et le laxisme de la police. »
« Les victimes étaient doublement invisibles: c’étaient des femmes et des étrangères. Je ne connais pas une famille ici qui n’a pas une nounou, une femme de ménage… Mais qui leur demande si elles vont bien? Si elles se sentent en sécurité? », s’interroge-t-elle.
Depuis, Maria a réuni l’ensemble des cas non résolus de disparitions de femmes à Chypre –plus de 35 depuis 1990, dont une large majorité d’étrangères et plusieurs adolescentes. Objectif: « s’assurer que la police a bien fait son travail ».
– « Inimaginable » –
Mais Andreas Kapardis l’assure: la police se retrouve souvent face à des cas de « disparitions d’étrangères très difficiles à résoudre ».
« Le tueur a choisi des femmes immigrées, isolées, vulnérables. S’il avait séquestré une Chypriote, sa famille et ses amis se seraient mobilisés et l’enquête policière aurait été facile », rappelle-t-il.
Avec 864.000 habitants, l’île a la réputation d’être un éden de paix et stabilité dans une région troublée, attirant 3,93 millions de touristes par an en 2018.
« Avoir peur ici, c’est un sentiment nouveau pour moi », confie Nicoletta Georgiou.
Le pays détient pourtant l’un des plus hauts taux de homicide de l’Union européenne, selon les derniers chiffres publiés par l’Office européen des statistiques Eurostat.
« Les Chypriotes semblent découvrir que les femmes immigrées ne sont pas en sécurité ici », soupire W., une employée de maison éthiopienne. « Mais nous, on le sait depuis longtemps. »
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