A leur place, les élèves étudieront Harry Porter, les sports et… larenn Lanez
Le manuel d’enseignement du kreol présentement utilisé en grade 8 (équivalent de la Forme II dans le cycle secondaire), intitulé Kreol Morisien Grad 1 Volim 1, n’est qu’un produit de remplacement introduit dans le cycle d’études en quatrième vitesse, au mois de février dernier, soit avec un mois de retard sur l’année scolaire. Cette situation est la conséquence d’une vive polémique qui a sévi au sein du Mauritius Institute of Education (MIE) en début de cette année et qui a vu l’évincement de Mme Nita Rughoonundun, celle qui jusque-là avait pour responsabilité de diriger l’équipe de pédagogues chargée de la rédaction du manuel. A sa place s’est substituée une autre équipe de rédacteurs et de rédactrices composée de ses juniors et imposée par la direction du MIE.
Selon nos recoupements d’informations, c’est un comité multipartite constitué, entre autres, du directeur du MIE, Om Nath Varma, d’Arnaud Carpooran (chef de la Faculté des sciences sociales et des Humanités à l’Université de Maurice), de M. Naeck (principal chargé de cours) et de représentants du ministère de l’Education et des sciences qui a jugé « inapproprié et inadapté » le manuel intitulé « Voyaz a bor Kreol morisyen grad 8 » initialement conçu par l’équipe de Nita Rughoonundun. Selon nos sources, au cours d’une réunion, Mme Rughoonundun se serait retrouvée à se battre seule contre tous — une réunion qui aurait été presque une inquisition — et elle a essuyé plusieurs reproches dont le plus grave aurait été que son manuel est « politiquement trop chargé ».
Interrogé, un des participants qui a décidé du rejet de son manuel n’a pas cherché à nier que les reproches ont bien été faits à cette dernière. « C’est presque qu’à l’unanimité que le comité a décidé que son manuel n’était pas approprié et adapté pour des élèves au niveau de la Forme 2 et nous avons donc recommandé au ministère de ne pas l’inscrire au programme d’études», soutient ce participant qui a ensuite essayé de nuancer ses explications. « Peut-être que le manuel rejeté pourrait être retenu à un niveau d’enseignement supérieur à l’avenir », a-t-il ajouté.
Le conservatisme aurait primé
Toutefois, selon une autre source bien informée, « peut-être à l’avenir » serait, en fait, synonyme de « jamais », tant le courant ne passerait plus entre Nita Rughoonundun et la direction du MIE… D’abord, elle s’est vue accusée d’avoir « complètement mis à l’écart les autres membres de son équipe et d’avoir choisi arbitrairement les sujets traités dans son manuel ». Mais, qui plus est, le comité multipartite aura déjà affiché son conservatisme par rapport à ces sujets. Certains propos formulés par la majorité des membres de comité ont, des fois, carrément démontré « une étroitesse d’esprit par rapport à des thèmes historiques brûlants ». D’autres se sont laissés aller à des commentaires du genre « ce manuel ne projette pas une image positive du pays » ou « ces textes peuvent être interprétés comme incitation à une nouvelle révolte des étudiants», bien plus, « ce texte pourrait nuire à l’harmonie sociale dans le pays ».
Nous avons essayé d’obtenir le point de vue de Mme Rughoonundun sur le procès qui lui a été fait, et malgré une amertume évidente dans la voix, elle a systématiquement refusé de se confier, en affirmant « le devoir de réserve » qu’exige son statut de fonctionnaire.
Même Kaya a été jugé inapproprié
A son insu, Week-End a, néanmoins, pu se procurer la table des matières de son manuel « Voyaz a bor Kreol morisyen grad 8 » rejeté. Il en ressort que Nita Rughoonundun voulait que les élèves apprennent le kreol à travers les écrits traduits d’écrivains et d’artistes Mauriciens de renom et primés, parmi lesquels figurent Marie-Thérèse Humbert, Abhimanyu Unnuth, Marcel Cabon, Shenaz Patel, Karlo de Souza, Natacha Appanah-Mouriquand, Peggy Lampotang, Alaskha Callikan-Proag, Savinien Meredac, Renée Asgarally, Adith Thanoo, Coll Venkatasamy, Bam Cuttayen, Siven Chinen, Nitish Joganah, Mimose Furcy, Odile Chevreau et Kaya et son tube inoubliable « Simé Lalimier ». Nita Rughoonundun avait également inclus un chapitre entier consacré à l’étude de la Constitution de Maurice traduite de l’anglais. Mais la direction du MIE en a décidé autrement.
A la place de cette belle palette d’écrivains locaux, dont les oeuvres collent pourtant aux réalités, passées et présentes du pays, aux luttes des travailleurs engagés — comme pour faire suite à celles des esclaves auxquelles le manuel de grade 7 avait été largement consacré, l’année dernière —, la direction de l’institut a tranché que les enfants mauriciens de grade 6 doivent apprendre le kreol à travers ladolesans, (19 pages), les Sports (13 pages) et les films d’animation (15 pages). C’est ainsi que l’équipe de pédagogues appelée d’urgence a soumis un manuel maigrelet (en fait le Volim 1) qui privilégie l’étude des personnages de Harry Potter, Jumanji et autres laren Lanez de Christian Andersen.
Et le ministère de l’Education et des Sciences a avalisé ce choix sur recommandations expresses. Or, selon des observateurs impartiaux, une fusion des deux travaux, un équilibre entre auteurs et artistes mauriciens, et les propositions de l’équipe de substitution, auraient été mieux dans l’intérêt des élèves.