Steeve Obeegadoo : « Il faut sauver le MMM ! »
Notre invité de ce dimanche est Steeve Obeegadoo, membre du BP du MMM. Dans cette interview, il explique, de son point de vue, le combat entre les conservateurs et les progressistes qui agite ces jours-ci les instances du MMM.
Comment se porte le MMM en ce début de 2018, soit 49 ans après sa naissance et après encore une défaite électorale ?
La dernière défaite a pris l’ampleur d’une déroute. 14% à Quatre-Bornes, circonscription urbaine où le MMM est né ! Cela a provoqué un choc pour beaucoup de gens au MMM, j’espère qu’il sera salutaire. Vu le manque de mobilisation de militants sur le terrain, certains entrevoyaient la possibilité d’une défaite, mais 14%! C’est dire la gravité de la situation pour le MMM et l’impasse où il se trouve. Le MMM doit regarder la vérité en face et procéder à une analyse sans complaisance de sa dernière défaite.
Un mois après cette défaite, cet exercice n’a-t-il pas encore été fait ?
Les partis politiques sont trop souvent prisonniers de leur propre logique qui est de tourner la page le plus vite possible sur la défaite et faire comme si de rien n’était. C’est le danger réel qui guette le MMM, parce qu’il existe en son sein un courant moderniste qui réalise qu’il existe un problème de fond et un courant conservateur qui pense qu’il faut continuer comme avant. Les 42% qui en 2010 votent pour le MMM allant seul aux élections ne sont plus là. Aux élections municipales de 2015 où le MMM va encore seul, ils sont 28% et à la partielle de 2017 ils sont réduits à 14% ! Le message ne passe pas, l’image du MMM n’est plus crédible et il y a un problème de confiance entre l’électorat et le parti. Mais au-delà, il est évident que le MMM est resté figé dans sa manière d’être, d’opérer, de faire de la politique depuis à peu près 40 ans. Les instances, les structures sont dépassées, comme a pu le constater la task force nommée en 2015 pour revoir le fonctionnement du MMM.
Une task force que vous avez présidée, qui a travaillé pendant un an et qui a produit plusieurs documents volumineux. Ce travail a-t-il servi à quelque chose ?
Après les élections de 2014, beaucoup étaient insatisfaits du MMM, demandaient une démocratisation et une remise en question du parti. Je me suis fait le chantre du changement au MMM pour réinventer ce qu’il incarne. Aux élections internes de 2015, ceux qui disent qu’il faut changer et évoluer dont Kavi Ramano et moi-même sont plébiscités. Mais au lendemain des élections, nous sommes écartés de la nouvelle direction, Alan Ganoo devient le bouc émissaire de la défaite et, avec d’autres, quitte le MMM pour aller fonder le Mouvement Patriotique. Moi, je choisis de rester et de me battre de l’intérieur, et demande au leader de constituer une task force qui va aller se mettre à l’écoute des militants et revenir avec des propositions. Nous avons passé un an à faire le tour des comités régionaux du MMM et avons produit un document qui redéfinit l’identité du parti, son idéologie, son projet de société et proposé une restructuration de ses structures et de sa manière de fonctionner. En bref, une nouvelle façon de faire de la politique de manière moderne. La direction du MMM a accepté certaines propositions du parti et en a rejeté d’autres. Une nouvelle constitution sortie de ce document a été approuvée en septembre 2016 et la seule chose qui a changé c’est que, désormais, chaque circonscription soit représentée par un homme et une femme au comité central.
Une proposition acceptée sur plus de 35, donc ceux qui ne veulent pas changer sont majoritaires à la direction du MMM ?
Quand le rapport est présenté, la direction du MMM n’est pas convaincue de la nécessité d’une réelle remise en question. Ceux qui ont choisi de rester pour continuer à se battre sont peu nombreux et sont très vite marginalisés, et le document a été mis de côté, mais la partielle a démontré sa pertinence et son importance. En 2014, après la défaite électorale, je disais que s’il ne se remettait pas en question et ne changeait pas, le MMM allait droit dans le mur, directement à la catastrophe. La partielle de 2017 est venue prouver que j’avais raison et que le document de la task force a toute son importance aujourd’hui.
Qu’est-ce qui empêche le MMM de se remettre en question, de se réinventer pour reprendre une de vos expressions ?
Je pense qu’à tous les niveaux les militants sont très perturbés par la situation actuelle du parti. On sent que ça ne peut plus continuer. Il faut se rappeler que le MMM est arrivé sur la scène avec un message et un fonctionnement qui ont mis le feu dans le cœur et l’esprit des Mauriciens, et fait école. Ensuite, il y a la phase d’alliances de 1990 à 2014, et les Mauriciens vont percevoir le MMM comme un parti traditionnel qui se marie avec les uns et les autres avant de divorcer pour essayer de se remanier. Et puis, il y a la catastrophe de 2014. Je suis convaincu que c’est la fin d’un système. Le modèle porté par le MMM pendant toutes ces années et qui a fait recette ne passe plus aujourd’hui. C’est pourquoi il n’est pas question d’une simple réforme, mais de révolutionner le parti, de le refonder de fond en comble.
Vous êtes un militant MMM depuis des années, vous avez fait partie de ses instances dirigeantes à plusieurs reprises, vous êtes aujourd’hui encore au BP. Ayant fait partie du MMM et de sa direction, vous avez contribué à faire du MMM ce qu’il est devenu et que vous dénoncez aujourd’hui…
Certainement. J’ai été du MMM pendant de très longues années. J’ai été militant, cadre, lieutenant de Paul Bérenger, conseiller municipal, député, ministre. Mais il n’empêche qu’en 2014 je voyais venir la catastrophe que nous avons vécue en décembre.
Il faut vous rappeler qu’en 2014 vous étiez pour l’alliance avec le PTr qui a conduit le MMM à la catastrophe !
Il serait malhonnête de ma part de venir dire aujourd’hui le contraire. Je pense que nous portons tous au MMM la responsabilité collective de cette alliance. C’est une erreur d’un passé récent dont il faut tirer les leçons. C’est ce que j’ai fait après les élections en reprenant le droit à la parole et en m’exprimant avec force au sein des instances et en public pour dire que le MMM ne pouvait plus continuer comme avant. Car le monde a changé, notre société s’est transformée et pour être pertinent, il faut nous réinventer.
En 2017, quand Paul Bérenger propose la candidature de Nita Juddoo pour des raisons évidentes, qui relèvent des calculs du passé, vous êtes d’accord…
La candidature de Nita Juddoo n’est pas un problème. C’est une nouvelle en politique qui a fait une très belle campagne. Elle aurait été remplacée par n’importe qui — même moi —, le MMM aurait été battu à la partielle de Quatre-Bornes.
Pourquoi avoir attendu que Nita Juddoo soit battue pour venir dire que le MMM ne pouvait pas gagner ? N’y a-t-il a pas dans votre démarche une forme d’opportunisme politique ?
Je ne l’ai pas dit avant parce que je suis un militant. J’ai exprimé haut et fort mon opinion dans les instances, mais une fois la décision prise avec d’autres camarades qui pensent comme moi, nous avons été solidaires et nous nous sommes impliqués pleinement dans la campagne. On a eu le résultat que vous savez et maintenant je peux reprendre mon droit à la liberté de parole pour dire enough is enough ! On ne peut plus continuer ainsi, sinon ce grand parti qu’est le MMM va disparaître. Depuis 2015, avec quelques camarades, je représente au sein des instances une autre sensibilité, un courant moderniste qui veut que le MMM entre de plain-pied dans le 21e siècle et ne reste pas figé dans les années 1980-90. Nous avons fait entendre notre voix systématiquement et aujourd’hui, après la partielle perdue, je constate qu’à tous les niveaux du MMM des personnes se lèvent, des voix s’expriment pour dire que ça ne peut plus continuer, il faut un changement dans la manière de faire.
Êtes-vous disposé à devenir le porte-parole de ces personnes qui se lèvent et se font entendre au MMM ?
En vous parlant, je le suis déjà. Et j’espère que je ne serai pas le seul. Je suis convaincu que le débat ne fait que commencer. Il a débuté sur les résultats de la partielle et va se poursuivre. Les comités régionaux du MMM se sont réunis et le Comité central va le faire samedi. La question fondamentale est que le débat ne peut pas se limiter à l’intérieur des instances. Les militants ne peuvent pas se contenter de se parler entre eux parce que je pense qu’une des erreurs fondamentales du MMM a été de se concentrer sur l’interne, de débattre entre militants, comme cela se faisait dans les années 1970. Mais dans les années 1970, les militants c’était la société civile, les syndicats, les coopératives et les clubs de jeunesse. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, on se parle entre nous, ce qui est bien, mais il faut aussi aller au-delà, parler aux sympathisants, à ceux qui votaient MMM autrefois, aux jeunes qui n’ont jamais voté.
Pour leur dire quoi ?
Que le MMM n’est pas un parti traditionnel, qu’il peut reprendre le flambeau du changement, qu’il peut effectuer un retour aux sources en termes de principes et de valeurs, et redevenir la voix de la société civile. Mais pour se relancer, le MMM doit se donner les moyens d’un parti moderne. Parler à l’électorat aujourd’hui, ça ne peut plus être une fois tous les cinq ans pour les élections. Parler à l’électorat, ça ne peut plus être animer un comité régional chaque quinzaine. Parler à l’électorat, ça ne peut plus être se limiter à des branches qui ne fonctionnent plus ou, pire, qui n’existent plus. Entre-temps, nous avons eu la révolution Internet et la communication, avec l’opinion qui se fait en instantanée et de manière permanente. On ne peut plus exister et fonctionner comme avant avec une conférence de presse hebdomadaire du leader. Le MMM doit se mettre à jour, prendre acte des grandes transformations et se réinventer.
La direction du MMM, qui ne cesse de rappeler le passé et que vous qualifiez d’ailleurs de conservatrice, peut-elle comprendre ce discours et ouvrir le débat pour une vraie remise en question ?
C’est le pari que je fais. J’ai eu l’occasion, depuis le début de l’année, de m’exprimer devant le BP pour dire qu’à mon sens la priorité n’est pas le renouvellement des instances. Les élections internes sont importantes, mais ce n’est pas la priorité du moment. Notre électorat que nous avons déçu, ce qui en reste, s’attend à autre chose, et nous devons aller lui parler. La priorité au MMM, c’est de reconnaître ses erreurs, c’est de pouvoir parler directement à ses électeurs, aux Mauriciens.
N’êtes-vous pas un grand naïf, Steeve Obeegadoo ? Car tout ce que vous dites figure dans le rapport de la task force. Pourquoi la direction du MMM accepterait-elle aujourd’hui ce qu’elle a rejeté il y a un an ?
Parce qu’aujourd’hui tout le monde a été ébranlé par la partielle dont le résultat est l’illustration de tout ce qu’a écrit la task force. Après la débâcle du 17 décembre dernier, tout le monde au MMM ressent le besoin de se remettre en question. Les conservateurs sont des gens qui aiment leur parti, des militants sincères, mais qui sont prisonniers de leurs habitudes, font ce qu’ils ont toujours fait et ne peuvent concevoir que la politique puisse se faire autrement. Les modernistes sont aussi des gens qui aiment leur parti, mais en innovant. Le pari que je fais c’est que plutôt que d’aller vers une division, de rallier toutes les énergies, tous les potentiels, tous les talents au sein du parti pour sauver le MMM. Le défi des prochaines semaines et des prochains mois sera de rallier le maximum de personnes.
Arrivons-en aux questions directes. Le leader Paul Bérenger est-il la personnification du MMM conservateur qui vit dans le passé et ne comprend pas les enjeux du présent ?
C’est une question à laquelle Paul Bérenger répondra dans ses paroles et ses actes dans les semaines à venir.
Posons la question différemment. De votre point de vue, Paul Bérenger est-il le principal obstacle au changement du MMM que vous souhaitez ? Est-ce qu’il est la résistance à la modernité ?
J’espère que non. Pour les militants, Paul Bérenger est le fondateur, l’inspirateur, c’est le MMM de 1969 à aujourd’hui. Personne ne conteste le rôle qu’il a joué, personne ne souhaite son départ, mais aujourd’hui, j’estime que lui-même doit réaliser la gravité de la situation. On ne peut expliquer la défaite à la partielle par des facteurs conjoncturels : la personnalité d’Arvin Boolell, les gens du MSM qui ont voté PTr, les divisions de voix par rapport à Tania Diole et Jack Bizlall. Nous en sommes à notre neuvième défaite d’affilée, on ne peut plus l’expliquer par des facteurs conjoncturels. Mon vœu le plus cher, c’est que Paul Bérenger soit le facilitateur de cette refonte du parti. Peut-on imaginer une seconde qu’après neuf défaites dans une ligue de football une équipe garde les mêmes joueurs, la même stratégie, le même entraîneur et le même capitaine ?
Restons dans le foot. Donc, le capitaine Paul Bérenger doit s’en aller pour que l’équipe puisse se réinventer et recommencer à gagner des matches !
Aujourd’hui, les militants sont en train de se réveiller et de comprendre que le monde, l’île Maurice ont changé, et qu’avec le même modèle, les mêmes codes, le même fonctionnement, on n’a plus la recette qui gagne. Ce que je veux, c’est un MMM qui entre de plain-pied dans le 21e siècle, qui soit pertinent, sache répondre aux aspirations des gens et redevienne un parti qui gagne.
Un MMM avec ou sans Paul Bérenger ?
Évidemment avec. Qui a dit qu’on ne veut plus de Paul Bérenger ?
Il est difficile de suivre votre logique. Vous dénoncez un MMM tourné vers le passé, qui n’arrive pas à entrer dans le 21e siècle, qui ne sait plus parler à ses sympathisants et à ses électeurs, et qui doit se remettre en question sous peine de disparaître. Mais ce MMM-là, c’est celui que Paul Bérenger a dirigé pendant 49 ans. Comment pouvez-vous dire qu’il faut que le MMM change tout en gardant à sa tête celui qui personnifie le passé et le refus au changement ?
Le MMM est une vieille maison qui, après 50 ans, tombe en ruines. Il n’est pas question d’exclure le bâtisseur, tout au contraire. Je pense qu’il faut l’aide du bâtisseur pour ouvrir toutes les portes et les fenêtres de la maison pour laisser entrer de l’air frais, des idées nouvelles. Il n’est pas question d’exclure, de rejeter, mais de réunir, de rassembler pour faire une bonne rénovation. Et on a besoin du bâtisseur pour le faire.
Même si le bâtisseur est un des principaux responsables du fait que la maison tombe en ruines ?
Pour moi, la question de refonder le MMM n’est pas une question de personnes. Je parle d’un changement de modèle politique pour redonner au MMM les moyens de mener à bien sa tâche d’être le parti du progrès social.
Vos longues années dans l’ombre de Bérenger vous ont appris l’art de tourner autour du pot ! Seriez disposé a être celui qui va refonder le MMM pour le mener vers la modernité ?
Je ne suis pas le challenger de Paul Bérenger. Je n’ai jamais eu ni l’ambition ni la prétention de le remplacer, parce qu’il est irremplaçable. Par contre, face à la gravité de la situation, le statu quo n’est plus possible. Il faut une refondation du parti et je me tiens prêt pour entreprendre, aux côtés d’autres, ce grand travail. Et je vous le répète, ils sont nombreux à tous les niveaux du parti à le souhaiter. C’est pour moi la seule manière de sauver le MMM, qui mérite plus que cette lente mais inexorable descente aux enfers. Il faut sauver le MMM dans l’intérêt du pays et c’est à quoi je m’attelle aujourd’hui : convaincre le plus grand nombre au sein du parti de l’obligation de réinventer notre parti, le faire redevenir le parti des idées, de l’innovation, de l’événement. Pas ce parti qui, aujourd’hui, se contente de commenter les événements qu’il est devenu.
Vous avez cité des exemples footballistiques et architecturaux pour illustrer votre discours. On vous emmène maintenant sur le terrain des mythes et de la tragédie grecque. Autrefois, pour prendre le pouvoir, le fils devait tuer symboliquement son père. Êtes-vous prêt à tuer symboliquement et politiquement Paul Bérenger pour faire renaître le MMM ?
Certainement pas ! Je ne suis ni un tueur ni un acteur dans une tragédie grecque. Je suis un militant qui aime son parti, qui respecte Paul Bérenger qui, dans une grande mesure, est mon père spirituel. Le problème n’est pas Bérenger, mais la survie du MMM à travers une refonte.
Nous allons terminer cette interview réalisée jeudi soir par une dernière question posée samedi, après la réunion du CC du MMM. Au cours de cette réunion, une majorité a décidé que, comme le souhaitait la direction, la priorité du MMM doit-être l’organisation des élections internes. Mais Paul Bérenger a demandé que les élections soient organisées plus tard. Par conséquent, le courant conservateur est toujours majoritaire au MMM. Malgré ce désaveu, allez-vous continuer votre combat pour sauver le MMM ?
Vous vous trompez, ce n’est pas un désaveu pour les militants qui pensent et souhaitent agir autrement. Au contraire. Bien sûr, une majorité a voté pour les élections internes, mais après que le leader a déclaré que leur organisation n’était pas la priorité du moment. Cela va dans le sens de ce qui était réclamé. Ce renvoi des élections des instances vient démontrer que le leader du MMM est conscient que, pour la majorité des militants, et des électeurs du MMM, la priorité n’est pas de se précipiter dans l’organisation des élections internes. La priorité c’est, comme beaucoup d’autres avec moi l’ont demandé, de revoir le fonctionnement des structures du parti et de se mettre à l’écoute des militants pour réfléchir sur les initiatives à prendre pour refonder le MMM.