Le père Sylvio Lodoïska, curé à la paroisse Sacré-Cœur, à Beau-Bassin, et qui a œuvré pendant de nombreuses années en milieux pauvres à Roche-Bois, explique sa démarche au sujet du livre sur le Père Laval, qu’il vient de lancer et qu’il destine aux enfants. « Au Tombeau du Père Laval, on transcende la religion catholique. Il est notre ancêtre commun et il demeure un “role model” plus de 150 ans après sa mort », dit l’auteur. Et selon Sylvio Lodoiska, le Père Laval « pratiquait l’empowerment à son époque » en confiant des responsabilités aux esclaves affranchis. A noter que l’ouvrage, illustré par le peintre Vaco, est en vente à Rs 300 au Centre Père Laval, à Sainte-Croix, ainsi qu’en librairie.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé subitement à la vie du Père Laval pour en faire le sujet du livre que vous avez lancé hier ?
D’abord, comme pour beaucoup de Mauriciens, catholiques et d’autres confessions religieuses, le Père Laval ne laisse pas indifférent. Mon intérêt pour ce bonhomme, qui a marqué l’histoire de l’Église à Maurice, n’est pas subit, comme vous le dites. Il y a 150 ans, il avait des intuitions extraordinaires que beaucoup ont découvert un siècle après. Il s’est beaucoup investi pour le bien-être et l’épanouissement des Mauriciens et il a donné sa vie entièrement au diocèse de Port-Louis et, par là même, au peuple mauricien. Le Père Laval reste un modèle dans ma vie de prêtre, un gourou en quelque sorte. Je voulais d’ailleurs être ordonné à Sainte-Croix mais cela s’est passé finalement à Marie Reine de La Paix, étant donné que d’autres prêtres célébraient le même jour leur anniversaire de sacerdoce.
Vous avez pris beaucoup d’années avant de vous décider d’écrire sur lui…
L’idée d’écrire un livre sur le Père Laval a surgi dans mes discussions et réflexions autour des 50 ans de l’indépendance du pays que j’ai eues avec des membres de la rédaction de La Vie Catholique, avec laquelle je collabore. On s’est demandé comment le pays a pu jusqu’ici rassembler des Mauriciens de cultures et de religions différentes et, en même temps, accomplir des développements extraordinaires dans plusieurs domaines, et comment ce pays continue dans cette vocation de cohabitation et de vivre ensemble. Il y a eu des hommes et des femmes avant nous qui ont façonné ce pays et le Père Laval a apporté sa pierre à l’édifice. Par ses actions et ses audaces, il a aidé à bâtir ce peuple que nous sommes et plus de 150 ans après sa mort, le Père Laval continue à rassembler les Mauriciens chaque année par milliers. Au tombeau du Père Laval, on transcende la religion catholique et on transcende la chrétienté. On ne peut faire abstraction de cette présence du Père Laval dans la vie du pays en cette année où nous marquons le 50e anniversaire de l’indépendance et cela s’est traduit par la publication d’un livre intitulé Dis-moi le Père Laval. J’ai écrit le texte et les illustrations sont du peintre Vaco.
Quel est l’objectif de cet ouvrage ?
Le livre s’adresse surtout aux enfants de la République de Maurice, indépendamment de leur appartenance religieuse et culturelle. J’ai voulu leur raconter sous forme de dialogue et dans un langage simple et accessible ce que le Père Laval a été pour les Mauriciens et ce qu’il est encore pour nous aujourd’hui. Même si le livre paraît à l’occasion de la Fête du Père Laval, cette publication s’inscrit dans l’ambiance du 50e anniversaire de l’indépendance du pays et c’est un cadeau qu’on pourrait offrir aux enfants à n’importe quel moment de l’année et on pourrait l’offrir aussi pour un anniversaire, une première communion, ou pour les fêtes de fin d’année. J’espère que les touristes aussi s’intéresseront à cet album montrant des facettes de la société mauricienne.
Vous avez choisi le peintre Vaco pour illustrer cet ouvrage. Y aurait-il une raison spécifique ?
D’abord l’utilisation des couleurs vives et gaies est une des caractéristiques de la peinture de Vaco et en outre, ce sont des couleurs qui ont un attrait sur les enfants. Le rouge, le jaune, le vert et le bleu, les quatre couleurs du drapeau national, dominent dans pratiquement tous ses tableaux et nous remarquons aussi que les scènes de la vie mauricienne sont présentes dans l’œuvre de Vaco. À partir de tous ces détails, mes collaborateurs et moi avons trouvé que la peinture de Vaco correspondait à notre projet et on s’est dit pourquoi ne pas mettre le Père Laval dans un décor de Vaco ? Le peintre a accepté notre proposition immédiatement. Puisque nous voulions écrire pour les enfants, c’est lui qui nous a suggéré de raconter l’histoire sous forme de bande dessinée et de privilégier le style dialogue au lieu du narratif. J’ai alors pensé à un dialogue entre une grand-mère et ses deux petits-enfants. Cette interaction avec Vaco est quelque chose qui m’a beaucoup marqué durant la préparation de ce livre.
Mais pourquoi n’avez-vous pas donné de noms à vos trois personnages ?
C’est voulu, afin que n’importe quelle personne âgée et n’importe quel enfant qui entrera dans ce livre puissent s’identifier aux personnages. J’ai voulu que ce soit une personne âgée qui parle du Père Laval et en filigrane l’histoire du pays aux enfants, car ce sont souvent les aînés qui sont de grands et bons conteurs de la vie passée. Quand on observe autour de nous, ce sont souvent les grands-parents qui transmettent les valeurs aux enfants.
Quelle est la pertinence de faire découvrir le Père Laval de nos jours aux enfants ?
Chaque citoyen, peu importe sa profession et son statut dans la vie sociale, doit apporter sa contribution à consolider cette unité dans la société mauricienne. Nous avons aussi besoin aujourd’hui de “role models” pour avancer dans la construction du pays et le Père Laval a été l’un d’entre eux. Il l’est toujours après sa mort. Il était un prêtre étranger mais tous ceux qui allaient le voir pour une aide se sentaient à l’aise avec lui et même après sa mort, ces milliers de personnes qui se rendent au tombeau se sentent à l’aise dans cet endroit. Au cas contraire, il n’y aurait pas eu la grosse foule de Mauriciens chaque année pour commémorer l’anniversaire de sa mort. Même s’il a été un prêtre catholique, il n’est pas identifié comme quelqu’un ayant appartenu aux catholiques car il a accueilli tout le monde autour de lui avec la même patience et la même générosité. Le Père Laval est notre ancêtre commun.
Il manque dans la société mauricienne aujourd’hui des personnes qui incarnent ce côté rassembleur. Ce livre pourrait être une base à la disposition des parents et des adultes travaillant avec les enfants pour la transmission des valeurs. Dans ce livre, je m’intéresse surtout au vécu du Père Laval à Maurice et mon but est de montrer comment ce prêtre venu d’ailleurs s’est intégré à la communauté mauricienne et comment il a su gagner le cœur des Mauriciens dans sa mission. Il a débarqué chez nous juste après la libération des esclaves et juste après l’arrivée des premiers travailleurs engagés indiens. Il a joué un rôle important auprès de la population dans cette période cruciale de l’histoire du pays.
En limitant ce livre aux enfants, vous ne touchez pas les jeunes, qui ont le plus besoin de repères aujourd’hui face aux difficultés de la vie…
C’est vrai que les jeunes et les adultes ont eux aussi besoin qu’on leur présente des “role models” dans ce monde qui leur paraît difficile à cause de toutes sortes de problèmes. J’ai fait le choix de m’adresser aux enfants car j’ai été instituteur dans le passé et je suis à l’aise pour leur parler. Ce livre est une modeste contribution de ma part pour sensibiliser les enfants à la notion du service mais on pourrait aussi à l’avenir trouver une autre manière pour intéresser les jeunes à la vie du Père Laval.
Le pèlerinage annuel au Tombeau du Père Laval ayant pris une dimension nationale, que souhaiteriez-vous dire aux Mauriciens pour cette édition 2018 ?
Dans la tradition catholique, un jubilaire (50 années de service) est l’occasion d’un renouveau. En cette année des 50 ans de l’indépendance du pays, je souhaite que ce pèlerinage apporte un renouveau personnel pour chacun des pèlerins. Que les Mauriciens ne considèrent pas l’indépendance du pays comme une question politique seulement et que tous ceux qui se dirigeront vers Sainte-Croix vivent l’indépendance comme une libération personnelle. Ce qui s’est passé à La Haye durant la semaine écoulée correspond à mon souhait.
Est-ce que vous marcherez vous aussi ce samedi soir vers Sainte-Croix ?
Je ne marcherai pas mais je serai présent à Sainte-Croix comme beaucoup de prêtres pour confesser les fidèles catholiques qui le souhaitent et pour un temps d’écoute pour les pèlerins d’autres confessions religieuses. Chaque année, je suis impressionné par la présence de Mauriciens d’autres religions. Pour ce présent pèlerinage, je prierai particulièrement pour le peuple chagossien.
Dans quel domaine souhaiteriez-vous que le Père Laval intercède en faveur du pays aujourd’hui ?
De son vivant, le Père Laval allait vers les habitants et prenait le temps de les écouter et nous avons besoin qu’il intervienne afin que chaque Mauricien soit valorisé et compris, peu importe sa religion. Les plus pauvres, les plus faibles et les plus vulnérables avaient priorité dans son apostolat. Ce n’est que depuis quelques années qu’on commence à parler de la nécessité de « empower » tel ou tel groupe de la société mauricienne, mais le Père Laval pratiquait déjà l’empowerment à son époque. Il a eu l’audace de faire les esclaves affranchis devenir catéchètes et leur a confié certaines responsabilités dans la communauté. Les politiciens, certes, ont leur rôle à jouer dans la société mais ils devraient avoir la sagesse et l’humilité d’écouter les petits et les pauvres et de les associer à certaines décisions concernant directement leur vie de tous les jours.