Samade Jhummun, Chief Executive Officer (CEO) de Global Finance Mauritius, association regroupant des acteurs leaders du secteur des services financiers à Maurice, est confiant pour l’avenir de ce secteur mais estime qu’il y a de nombreux obstacles à franchir.
Dans l’interview accordée au Mauricien, il prône, entre autres, des actions soutenues pour protéger la réputation et l’image de notre centre financier, des efforts en faveur du développement des compétences, le développement de produits et services innovants et, à plus forte valeur ajoutée, une ouverture sur l’expertise étrangère. Quant à la révision du taux d’imposition des sociétés du Global Business, qui fait partie de l’engagement pris par Maurice auprès de l’OCDE et de l’UE, Samade Jhummun est convaincu qu’on « parviendra à la bonne formule ».
Quels ont été, selon vous, les faits saillants qui ont marqué le secteur des services financiers durant l’année 2017 ?
Nous avons vu un certain nombre de développements positifs en 2017. L’un des plus importants était l’obtention de la notation de “compliant” du Forum Global de l’OCDE, une notation meilleure que celle accordée à certaines juridictions de l’Union européenne (UE). Cela a constitué un tournant. Nous avons ainsi démontré que nous appliquions les normes internationales en matière d’échange d’informations. Et à la fin de l’année, nous avons été heureux de constater que notre pays ne figurait pas sur la liste noire de l’UE concernant les paradis fiscaux.
Au-delà de cet exercice, nous relevons que Maurice a été partie prenante de plusieurs initiatives internationales, dont l’adhésion au cadre inclusif du BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) élaboré par l’OCDE, pour justement mettre en application les recommandations du BEPS. Maurice a, en outre, fait un pas important en signant la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales, en vue de prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. C’était en juillet 2017, et là nous avons fait montre de notre engagement à réduire les abus et autres “treaty shopping”. Il y a eu également d’autres changements avec l’application du GAAR (General Anti Avoidance Rules) en Inde depuis le 1er avril 2017.
Au plan local, le gouvernement a annoncé l’élaboration d’un plan directeur (Blue print), un document ayant une importance capitale pour l’industrie, ainsi que des réformes fiscales pour le secteur du Global Business.
Par ailleurs, il y a eu la publication des Paradise Papers que d’aucuns ont qualifiés de nouvelle tentative pour entacher la réputation de notre juridiction. Le centre financier mauricien se doit de protéger la réputation et l’image qu’il a su bâtir au fil des années, notamment contre des allégations sérieuses comme celles faites dans les Paradise Papers. Nous nous réjouissons de la prise de position ferme du Premier ministre sur la question.
Valeur du jour, quelles sont les forces et faiblesses du secteur financier ?
Je pense que nos principales forces résident, entre autres, dans le déploiement d’un cadre réglementaire solide, un système juridique hybride et un coût d’exploitation concurrentiel. J’estime que les efforts que Maurice a réalisés pour se faire une place, un nom sur la carte mondiale ont été bien reconnus. Le pays se retrouve régulièrement en tête dans plusieurs indices qui sont importants pour le secteur des services financiers, ce qui rassure les investisseurs.
Les professionnels qui travaillent dans le secteur représentent l’un de nos principaux atouts. Nous sommes déjà connus pour la qualité de nos services et nos compétences bilingues, mais je pense que notre conscience culturelle ainsi que notre ouverture d’esprit nous distinguent vraiment de certaines juridictions avec lesquelles nous sommes en concurrence. Certes, il y a de la place pour un renforcement des capacités dans le secteur.
Nous devrions faire plus en termes de promotion de l’image de Maurice, de renforcement de la compréhension de Maurice en tant que centre financier international. Le gouvernement et l’industrie doivent conjuguer leurs efforts pour élaborer une proposition claire à ce sujet. Je pense que l’Economic Development Board (EDB) devrait considérer cette stratégie comme l’une de ses principales priorités.
Dans quels domaines estimez-vous que des actions urgentes sont requises pour donner un coup de pouce à ce secteur d’activité ?
Les défis à relever sont nombreux. Il y a nécessité de restaurer la confiance chez les investisseurs, cela en apportant de la clarté et de la prévisibilité pour ce qui est des questions portant sur la réforme fiscale et les négociations bilatérales avec nos différents partenaires dans le sillage de la signature de la Convention multilatérale.
Nous devons régler les problèmes liés à nos régimes régissant les opérations dans le secteur du Global Business, et qui sont jugés dommageables par l’OCDE et l’UE. Cependant, nous devons en même temps veiller à ce que notre avantage concurrentiel ne soit pas érodé et que, par ailleurs, on s’assure qu’il y ait une période de transition adéquate pour les structures existantes.
Maurice est déjà sur la bonne voie lorsqu’il s’agit d’adhérer aux meilleures pratiques ou normes internationales. Nous devons maintenir cette position.
Un “Blue print”, comme vous l’avez mentionné, est actuellement en préparation pour le secteur des services financiers. Qu’attendez-vous de ce document en termes d’orientation ou de réorientation du secteur, compte tenu des enjeux auxquels il doit faire face ?
Dans le passé, nous avions l’habitude de mettre l’accent sur les produits et les avantages fiscaux. Je pense que nous devons modifier notre approche et, en regardant l’avenir, définir quels sont les bons produits et services dont nous avons besoin pour pérenniser la croissance du secteur. Nous devrions revoir l’infrastructure, le cadre juridique et réglementaire et envisager le renforcement des capacités afin de pouvoir soutenir le développement de l’industrie. Nous pourrons nous appuyer sur nos offres existantes pour élaborer une liste de ces nouveaux produits et services, identifier de nouveaux segments et marchés, et nous concentrer sur l’innovation et la FinTech. La mise en œuvre d’une telle stratégie sera déterminante. D’où le besoin d’avoir un plan d’exécution robuste avec un cahier des charges sinon le “Blue Print” ne produira pas les résultats escomptés. C’est l’occasion de réorganiser le secteur financier et de faire passer notre juridiction à un niveau supérieur. Au cas contraire, nous serons à la traîne.
Nous pouvons déjà voir que l’innovation est devenue le mot d’ordre pour notre secteur. Un certain nombre d’initiatives liées à la FinTech sont en cours. Nous avons intérêt à établir quels sont les services à valeur ajoutée appropriés dont la juridiction mauricienne a besoin pour passer à un niveau supérieur.
Vous parlez de nouveaux segments et marchés. Est-ce que la diversification tarde à venir ?
La diversification est certainement la voie à suivre si nous voulons nous assurer de ne pas devenir trop dépendants d’une juridiction ou d’un ensemble de produits particuliers à une période de changement rapide et de transformation du secteur des services financiers. Le gouvernement s’est fixé pour objectif de porter la contribution des services financiers au produit intérieur brut (PIB) du pays à 15 %. Pour y parvenir, il faudra impérativement être en mesure d’offrir des services à forte valeur ajoutée. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous aurons besoin du “Blue print” pour nous donner un sens de direction. Dans le même temps, nous devrions également réfléchir à un développement inclusif et intégré avec d’autres secteurs tels l’informatique.
La montée en gamme des services implique une professionnalisation accrue du secteur et une formation très pointue de ceux qui y opèrent. Que fait-on à ce niveau ?
Le renforcement des capacités est un problème majeur pour le secteur, car nous ne disposons pas de personnes ayant l’expérience appropriée. Le manque de ressources est plus important au niveau supérieur, et ce dans différents domaines des services financiers. Il est important que l’économie soit suffisamment ouverte pour permettre à plus d’experts et spécialistes internationaux de venir partager leur expertise à Maurice. Le Financial Services Institute (FSI) aura également un rôle clé à jouer dans le perfectionnement des compétences de l’industrie. Global Finance Mauritius est un établissement de formation accrédité, et nous offrons nous-mêmes des cours couvrant tout un éventail de domaines ainsi que des ateliers de formation dans le but de perfectionner nos compétences. Je constate, dans la même foulée, que le Mauritius Diaspora Scheme attire un certain nombre de talents. Nous devons explorer ce qui peut être fait davantage.
La transformation de Maurice en un “FinTech Hub” pour la région fait l’objet de discussions en profondeur. Un comité de réglementation de ce secteur a été institué. Quelle est votre évaluation des activités de la FinTech à Maurice ?
Pour ce qui est de la FinTech, je dirai que nous sommes encore à un stade préliminaire et que, si nous n’agissons pas rapidement, nous serons dépassés par les autres. Maurice ne peut rivaliser avec Singapour ou Londres, mais nous pouvons être un “FinTech Hub” pour l’Afrique. Tout dépendra des “unique selling propositions” que la juridiction est capable d’offrir pour pouvoir attirer les entrepreneurs de la FinTech. Nous avons déjà vu les premiers résultats avec des entrepreneurs étrangers voulant prendre avantage de la “Regulatory Sandbox Licence”.
La mise en place du nouveau comité de réglementation de la FinTech est un développement qui va dans la bonne direction, avec la participation de nombreux experts internationaux. Il sera intéressant de voir ce qu’ils proposent et ce qui sera finalement adopté. Maurice est en mesure de jouer un rôle intéressant en tant que laboratoire FinTech pour tester de nouvelles idées. Nous pouvons utiliser nos lois sur la propriété intellectuelle et notre positionnement en tant que plate-forme tournée vers l’Afrique et le reste du monde. D’autre part, un fonds de capital-risque devrait être mis en place pour aider à attirer les entrepreneurs FinTech.
Que pensez-vous du positionnement de notre centre financier en tant que « hub régional » ?
On a beaucoup parlé de Maurice en tant que plateforme pour l’Afrique, mais le plus important est que Maurice puisse agir comme une plateforme d’atténuation des risques pour les investisseurs, ceci considérant le réseau d’accords de protection et de promotion des investissements (IPPA) signés à ce jour, dont une vingtaine avec des pays africains.
De par son emplacement géographique stratégique, Maurice est le choix naturel pour les investisseurs ciblant l’Afrique. Les ressources sont disponibles et cela est déjà reconnu par des acteurs majeurs comme Aspen Global, qui emploie plus de 250 personnes.
En l’espace de deux ans, nous avons assisté au rachat par des étrangers de trois des plus grosses sociétés mauriciennes opérant dans le secteur du Global Business. Est-ce que cela traduit un manque de confiance en l’avenir de ce secteur de la part des opérateurs locaux, ou alors estimez-vous que les gains pécuniaires étaient trop intéressants pour laisser échapper de telles opportunités ?
Il s’agit d’une tendance internationale. Nous assistons à une consolidation croissante dans ce secteur. SGG et SANNE sont entrées sur notre marché à travers l’acquisition de Cim Global Business et d’IFS respectivement, alors que le groupe Ocorian va bientôt renforcer sa position avec le rachat d’ABAX. À mon avis, ces opérations indiquent trois choses. Premièrement, une marque de confiance en Maurice en tant que juridiction ; les coûts de ces acquisitions, faut-il le signaler, sont élevés. Deuxièmement, ces transactions témoignent de la haute qualité et de la rentabilité des services fournis à Maurice, ce qui rend notre centre financier attrayant d’un point de vue d’intégration. Puis, aucun des trois groupes susmentionnés n’avait une présence réelle en Afrique et, grâce à leurs acquisitions, ils auront une empreinte globale. Pour leur part, les sociétés locales et leur personnel vont pouvoir en tirer des bénéfices, notamment par l’élargissement de la taille de leurs marchés respectifs tout en faisant partie d’un groupe élargi.
Les retombées de la renégociation du traité fiscal entre Maurice et l’Inde ne semblent pas, au vu des données sur les investissements directs en Inde, si catastrophiques qu’on le prévoyait. Quelles sont vos observations et que doit-on anticiper pour l’avenir ?
Il faut bien comprendre les amendements qui ont été apportés au traité. Ceux-ci concernent les dispositions relatives aux plus-values et intérêts aussi bien que l’inclusion de la clause sur les limitations des bénéfices (LOB). S’agissant des dispositions concernant les plus-values, elles affecteront la cession de participations. Pour ce qui est des investissements en actions, les droits fiscaux ont été transférés au “source State”, en l’occurrence l’Inde, au lieu du “residence State” qu’est Maurice. Pour les autres investissements, les droits d’imposition restent avec Maurice. De plus, avec les « grandfathering provisions », notamment pour les investissements effectués avant le 31 mars 2017, ceux-ci continuent de bénéficier des dispositions favorables de l’ancien traité. Il ne faut pas oublier que le traité renégocié prévoit une période de transition de deux ans pour les plus-values réalisées, lesquels sont imposables à un taux représentant 50 % de ce qui est normalement applicable à condition qu’on soit en mesure de satisfaire les conditions sous la clause LOB.
Ces nouvelles dispositions demeurent bénéfiques comparativement à celles applicables par nos concurrents. En outre, si nous avions investi dans des titres cotés et que les gains étaient considérés comme des plus-values à long terme, ils n’étaient pas imposés par les lois fiscales indiennes. D’où le fait que les personnes utilisant la plateforme mauricienne montraient une certaine indifférence quant aux retombées fiscales et se réjouissaient d’utiliser Maurice comme une “pooling juridiction” compte tenu de son bon registre et de son cadre juridique et réglementaire solide. Comme souligné plus haut, pour les autres “instruments” financiers tels les produits dérivés et les titres de créance, les droits d’imposition sur ces “instruments” sont toujours détenus par Maurice. Les autres amendements du traité portent sur la clause relative aux intérêts, l’impôt à la retenue (withholding tax) passant de 20 % à 7,5 %. On peut ainsi déduire que la structuration des investissements par le truchement de Maurice peut apporter un énorme arbitrage fiscal pour ce qui est des revenus sous forme d’intérêts ainsi que les plus-values réalisées sur la vente des titres.
En ce qui concerne l’avenir, je pense qu’avec l’introduction des General Anti-Avoidance Rules (GAAR) le 1er avril 2017, les structures qui se sont appuyées sur les avantages de convention fiscale Inde-Maurice vont être sous la loupe des autorités fiscales indiennes. Par conséquent, il est primordial que les structures mises en place à Maurice démontrent une logique commerciale ainsi que de la substance afin d’éviter des situations difficiles. Par ailleurs, le gouvernement indien a récemment réintroduit l’impôt sur une taxe de 10 % sur les plus-values à long terme réalisées sur la vente des actions. Cela peut avoir un impact car les gestionnaires de fonds devront prendre en compte le coût supplémentaire qu’une telle mesure représenterait au niveau des dépenses totales.
Maurice a pris des engagements auprès de l’OCDE en signant l’instrument multilatéral conçu pour éviter l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (BEPS). Cette mesure rend caducs certains traités fiscaux. Comment se dessine l’avenir sous ce chapitre ?
L’objectif des conventions fiscales est de promouvoir le commerce bilatéral et, à cet égard, d’éviter la double imposition, notamment dans le pays où les bénéfices ont été obtenus et dans celui d’où les investissements sont provenus. Les parties prenantes décident de l’attribution des droits d’imposition. Cela peut être un droit exclusif ou un partage du droit d’imposition. Il y a des cas où les traités ne sont pas utilisés pour faire ce qui était prévu, ce qui débouche potentiellement sur une double non-imposition ou alors qu’une société de cette juridiction soit en train d’abuser du traité. Sous la convention multilatérale, Maurice s’est engagée à prévenir l’abus de traité.
Le pays a adopté ce qu’on appelle le “principal purpose test” (PPT), ce qui signifie que si l’on estime qu’un traité est utilisé pour des raisons fiscales, les bénéfices qui en découlent pourront être enlevés. Pour continuer à prendre avantage des traités, nous aurons à démontrer la logique commerciale derrière toute structure au lieu de projeter l’image qu’une structure a été mise en place pour uniquement tirer profit des dispositions fiscales favorables.
Tous les traités signés par Maurice doivent être conformes aux normes minimales à partir de cette année. Le pays fait des progrès sous ce chapitre et plusieurs partenaires contractuels sont en train de s’engager dans des renégociations de traité.
Nous savons que les sociétés du Global Business bénéficient d’un abattement de 80 % de la taxe, ce qui ramène le taux effectif de 15 % à 3 %. Avec les engagements pris auprès de l’OCDE et l’UE, la situation devra obligatoirement être revue. Quelle est, selon vous, la formule idéale à adopter ?
Je suis convaincu que nous pourrons trouver la bonne formule. Il serait prématuré d’en parler maintenant puisque les discussions sont toujours en cours. Il est également important de s’attaquer à la question de “ring fencing” et de trouver des éléments de réponse aux préoccupations concernant le régime régissant les opérations des GBC2 (Global Business Companies- catégorie 2).
Un groupe de travail conjoint a été mis en place par le ministère des Finances, qui regroupe, entre autres, la Mauritius Revenue Authority et les représentants du secteur privé. Il y a aussi un sous-comité présidé par Gary Gowrea, de Global Finance Mauritius, qui examine les différentes propositions. L’approche adoptée fait qu’il ne devrait pas y avoir d’érosion de l’assiette fiscale car le pays a toujours besoin de recettes fiscales pour financer ses dépenses mais, en même temps, nous ne devons pas pénaliser les opérateurs économiques qui ont contribué à faire du secteur des services financiers un pilier de l’économie avec une contribution directe de 12 % au PIB. Le travail se poursuit.
Êtes-vous optimiste pour le secteur des services financiers ?
Oui, je suis optimiste malgré les obstacles. En tant que nation, nous avons toujours su nous réinventer lorsque nous avons des défis à relever. Je pense que le “Blue print” nous mettra sur la bonne voie et que le secteur jouera un rôle important dans la transformation de Maurice en une économie à revenus élevés capable de créer des emplois et de la croissance pour les générations futures. Nous devrons cesser de regarder dans le rétroviseur mais devant, soit se concentrer sur l’avenir. Il nous faut être prêts à faire les choses différemment tout en considérant sérieusement les nouveaux produits et nouvelles opportunités à l’ère du numérique.