Séparé de Mahébourg par la rivière La Chaux, Ville Noire est une petite localité du sud qui conserve une architecture empreinte de son passé colonial. Un village porté par le pont Cavendish, où l’histoire est très présente. Les habitants de Ville Noire nourrissent le rêve que cette région du sud soit considérée comme un village à part entière, se détachant ainsi de son statut de faubourg de Mahébourg.
À la sortie sud de Mahébourg, nous traversons le pont Cavendish pour rejoindre Ville Noire. Aux abords du pont centenaire, difficile de ne pas se laisser porter par la beauté naturelle de la rivière La Chaux. À l’horizon, l’on arrive à distinguer des maisonnettes qui se faufilent à travers des étendues de verdure ou de petites embarcations qui longent cette eau calme aux reflets verdâtres.
Juste après le pont, nous nous retrouvons à un carrefour qui semble être le centre névralgique de la localité. Boutiques anciennes, petits commerces et autres étals où se vendent des fruits de mer attirent les habitants d’ici et d’ailleurs. C’est là que Lucienne Adelaide (plus connu sous le nom de Solange) vend des fruits de mer depuis plus de trente ans. La renommée de cette charmante dame de 73 ans s’est construite autour du mangwak ou huîtres d’argent. “C’est un fruit de mer qui se fait de plus en plus rare. Lontan samem mangwak nou ti pe vande dan tou sipermarse”, confie cette dernière. Désormais, “avec une marée de plus en plus polluée, nous avons beaucoup de mal à en avoir”. La pêche a longtemps été le gagne-pain des habitants, tout comme l’agriculture et le travail dans les usines du voisinage.
“Ville Noire a sa propre identité”.
Selon le travailleur social Madeven Cundasawmy, Ville Noire est “une localité qui progresse lentement mais sûrement en termes de développement”. C’est à pied que ce dernier nous invite à découvrir son quartier. Ville Noire est aujourd’hui un faubourg qui essaye de ne pas rater le train du développement, tout en conservant un cachet authentique.
Nous passons près d’un Multipurpose Complex flambant neuf, pas encore inauguré, qui fait la fierté des habitants. À côté, un sub-hall à la peinture écaillée et noircie s’étire timidement. “La localité a certes des problèmes, avec des tuyaux qui n’ont pas été changés depuis belle lurette, une certaine précarité dans certains recoins. Mais, dans l’ensemble, nous ne sommes pas aussi mal lotis.” Certes, “des routes restent à être goudronnées, mais le problème de drains, qui était un vrai souci, a été résolu”.
Pour sa part, Jonathan Joseph précise que la localité dispose d’un terrain de football, de volley-ball, et que le village hall abritera prochainement plusieurs jeux d’intérieur pour les jeunes. “Avec le nombre grandissant d’habitants, qui avoisine les 7,000, les autorités souhaiteraient séparer Ville Noire de Mahébourg, car les fonds obtenus pour le Village Council ne suffisent pas à gérer les deux régions.” Au-delà de la rivière La Chaux, les habitants souhaitent ainsi une séparation officielle entre leur région et Mahébourg. “Ville Noire a sa propre identité, il est temps qu’elle se mette debout toute seule.”
“Voleurs de bronze”.
Un peu plus loin, nous empruntons une route qui donne sur les berges de la rivière. C’est ici que les habitants du coin, des personnes de passage et des touristes empruntent de petites embarcations pour se rendre sur les îlots alentour ou simplement traverser de “l’autre côté”.
Assis sur un rocher à l’ombre d’un grand arbre, un certain Laul admire cette dense et riche végétation. Il ne se passe pas un jour sans que cet ancien laboureur à la retraite vienne se ressourcer sur les berges de cette rivière. Mais ce que cette rue a encore de particulier, c’est d’abriter l’entrée des ruines de l’ancien four à chaux, naguère considéré comme le cœur du village.
Au pas de course, nous prenons la direction de Petit Bel Air, histoire de flâner au cimetière Notre-Dame des Anges, connu pour abriter d’illustres locataires. Notamment des “anciens militaires britanniques de l’époque coloniale, mais aussi des membres de la noblesse, des navigateurs et des familles illustres qui ont habité la région”, nous explique Joyce Zelie, tombaliste. Nous rencontrons aussi sa sœur. Morine Zelie est une des rares femmes – si ce n’est la seule – à exercer le métier de tombaliste depuis plus de 35 ans. Elle en a entendu des histoires sur ce cimetière, “avec des morts devenus saints, des voleurs de bronze et autres récits terrifiants. Mais rien ne m’effraie”.
Revenant sur nos pas, nous nous dirigeons vers le fond du village. Après de vastes étendues de plantations de manioc et deux montées plus loin, nous arrivons à hauteur de la Biscuiterie Rault. La seule biscuiterie de manioc de ce genre au monde, fondé en 1870 par la famille du même nom. Un riche patrimoine inébranlable, comme tant d’autres, qui fait la fierté de cette région.