PIERRE DINAN
La conduite automobile devient de plus en plus stressante sur les routes mauriciennes. Les risques d’accidents mortels sont bien présents et en hausse, et Dieu sait si 2019 a mal commencé, malgré les sévères restrictions quant au taux d’alcoolémie permis aux chauffeurs. Il est significatif que, dans la grande majorité des accidents que la presse rapporte, les tests d’alcool supérieur au taux autorisé sont négatifs. Si l’abus d’alcool n’est pas le coupable, on doit se demander quelles sont les vraies causes des accidents de la route.
On peut déceler deux causes : la première provient de l’état de certaines de nos routes, pas marquées adéquatement sur les bas-côtés, mal éclairées, mal indiquées… L’absence de pistes cyclables est aussi à déplorer. Il revient aux autorités compétentes (travaux publics, police de la route… ) de prendre des mesures adéquates pour remédier à cet état de choses.
La seconde cause provient de l’indiscipline grandissante sur nos routes, particulièrement de la part des automobilistes et des motocyclistes. Certes, les piétons ne sont pas exempts de tout blâme, surtout lorsqu’il traverse des rues en ignorant les passages cloutés, ou des autoroutes en ignorant les ponts ou les passages souterrains. Mais les acteurs principaux sont, bel et bien, les automobilistes et les motocyclistes.
Il est navrant de constater que ceux d’entre nous, qui ont eu les moyens de s’acheter un véhicule automobile grâce à un progrès dans l’échelle de leurs revenus, ont tendance à dégringoler dans l’échelle de la courtoisie et des bonnes manières sur les routes. C’est comme si seul l’avoir comptait, l’être n’ayant pas ou peu de valeur.
Trois de nos comportements d’automobilistes sur la voie publique sont symptomatiques de notre manque de courtoisie sur les routes. Ce sont :
– l’usage fréquent des klaxons ;
– le recours à un parking temporaire et non autorisé sur des routes passantes, et
– les casse-cou des motocyclistes.
Les klaxons intempestifs
Dans les années quarante et cinquante, quand la société mauricienne vivait au rythme d’une colonie agricole et largement assoupie, les rares voitures automobiles se faisaient un plaisir d’utiliser leurs klaxons, surtout lorsqu’elles roulaient en cortège nuptial. C’était une manière de saluer les nouveaux mariés. Petit à petit, avec l’accroissement des véhicules et la modernisation de la société mauricienne, des règlements furent promulgués pour interdire l’usage des klaxons, sauf en cas exceptionnel et pour prévenir un accident.
Et nous voilà, dans notre île Maurice dite moderne, recourant à nouveau au klaxon, non pas pour exprimer nos souhaits, mais pour traduire notre agacement à l’encontre de notre voisin automobiliste parce qu’il ne roule pas à la vitesse que nous souhaiterions ou qu’il ne démarre pas assez vite aux feux de signalisation. Incapables de maîtriser notre stress, nous exprimons notre mécontentement de manière bruyante : écartez-vous, concitoyen gênant, je dois avoir priorité sur la voie publique.
Il nous arrive, pourtant, d’être polis et de savoir remercier, notamment lorsque nous activons nos clignotants pour remercier celui qui nous a permis de déboucher à un carrefour, en nous cédant sa priorité.
C’est bien dommage que l’harmonie de notre vivre ensemble se soit dégradée alors que notre développement économique a progressé. Il n’est pas bon que l’économie et la société évoluent dans des directions opposées. Car le développement d’un pays n’est réussi que dans la mesure où les sphères économique et sociale bénéficient de ses fruits. Sinon, il s’agit d’un développement à plusieurs vitesses, ce qui est source d’inégalités et de frustration.
L’abus du recours au parking sauvage
Combien sommes-nous à avoir été pris dans un embouteillage parce qu’un véhicule s’est arrêté inopinément en bordure de route au trafic dense, tout en activant ses quatre clignotants (deux à l’avant et deux à l’arrière), pour signaler qu’il est en panne ? L’est-il vraiment ? Quand enfin vous arrivez, après plusieurs minutes d’attente, à doubler la voiture lorsque la voie opposée a été enfin libérée de la longue file, vous vous apercevez que le chauffeur du véhicule « en panne » est en pleine conversation téléphonique !
Plus égoïste que ça, tu meurs ! Nous sommes vraiment entrés dans l’ère du je-m’en-fichisme et de l’égocentrisme !
Motocyclistes en délire
Ils vous traversent à droite (c’est leur droit), ils vous traversent à gauche (ils croient que c’est leur droit ! ). Hier, piétons, ils se faufilaient dans les embouteillages, aujourd’hui, devenus motocyclistes, ils en font de même ! Et, hélas, nombreux sont-ils à y laisser leur vie, suite à leur non-respect du code de la route. Ils avancent le long des autos immobilisées en file d’attente sans se soucier de rester à l’intérieur de la ligne blanche continue, risquant ainsi d’entrer en collision avec une voiture venant en direction opposée.
À qui la faute ? Au début de la popularité des deux-roues, les autorités policières ont été trop généreuses à accorder des permis de conduire aux motocyclistes, et l’obligation de recourir à des leçons de conduite des motocyclettes est venue bien tardivement. Les mauvaises habitudes avaient été prises, et il est toujours difficile de s’en défaire.
Mais ces circonstances atténuantes, causées par un manque de vision et de planning des autorités compétentes, ne sont pas une excuse pour le comportement indiscipliné de certains motocyclistes, devenus adeptes du slalom et des excès de vitesse.
Quoi faire ?
Les autorités ont réagi en imposant des lois et réglementations plus sévères et contraignantes qu’auparavant. Mais celles-ci ne seront efficaces pour redresser la situation que si toutes les transgressions sont verbalisées et les coupables punis. Cela est impossible : il faudrait une armée de policiers pour pouvoir verbaliser les accrocs du klaxon, les transgressions des lois du parking, et les motocyclistes indisciplinés.
La solution doit être recherchée par rapport à notre comportement en société. Savoir que l’utilisation d’une voie publique requiert le respect de normes et de règlements applicables à tous les usagers. Savoir aussi que la vie en société exige le respect d’autrui, faute de quoi c’est la loi de la jungle, ou la loi du plus fort, qui s’impose. Savoir, enfin, comme déjà indiqué plus haut, que la valeur d’un humain se mesure à sa manière d’être, et non à la valeur de ses biens.
À chacun de nous d’en prendre conscience et d’agir en conséquence, pour notre bien à tous.