Alexandre Barbès-Pougnet, président du Ralliement Citoyen pour la Patrie (RCP), commente la réforme électorale. Pour le juriste, il faut aller beaucoup plus loin et envisager une réforme constitutionnelle. Car pour qu’une réforme du système électoral puisse fonctionner, dit-il, il est fondamental qu’elle s’articule autour de notre Constitution. Il estime que la réforme de Pravind Jugnauth n’est pas bénéfique à la démocratie car imposer des députés non élus ne correspond pas à la volonté du peuple. Et de plaider également pour un redécoupage des circonscriptions basé sur la démographie et non sur le profil ethnique.
Que pensez-vous des propositions de réforme présentées par le Premier ministre, Pravind Jugnauth?
Elles confirment le faible espoir que nous avions de voir un parti du « mainstream » apporter une réelle réforme électorale bénéfique à notre démocratie. N’oublions pas que l’objet d’une réforme est d’améliorer un système et non de l’empirer. Dans les systèmes français et du Royaume-Uni, et dans tous ceux s’inspirant de ces deux premiers, le mandat du député est représentatif. Cela signifie que le député représente, en son âme et conscience, tout le peuple, toute la nation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le parlement est aussi appelé Assemblée nationale. Avec la réforme proposée, il y aura un certain nombre de députés avec, non pas un mandat représentatif, mais impératif, c’est-à-dire, qui a été imposé. Ces députés devront alors jurer fidélité aux leaders de leurs partis, et leur liberté de penser et de voter en sera alors diminuée. Car ils pourront à tout moment perdre leur siège si le chef du parti estime qu’ils sont en dissidence. En bref, un député élu est un choix du peuple, alors qu’avec cette proposition, on vient nous imposer un candidat que le peuple n’a pas choisi. C’est ce qu’on appelle la cooptation.
Selon nous, un tel système viendrait perpétuer la tradition du copinage. Le critère de la compétence ne sera pas forcément le premier choix. La proportionnelle n’a de sens que si les partis sont démocratiques en interne. Or, ici, c’est plutôt le système politico-familial qui prime. On vote plus pour un leader que pour le parti lui-même. La question se posera quand il n’y aura plus un Bérenger à la tête du MMM, un Duval à la tête du PMSD, un Jugnauth à la tête du MSM ou un Ramgoolam à la tête du Ptr. On a des familles qui s’imposent au lieu des équipes.
Enfin, ce système permettra l’expansion de la représentation communautaire-religieuse, qui représente aujourd’hui le principal venin faisant obstacle à l’existence d’une seule et même nation mauricienne. Nous sommes face à une confiscation du pouvoir électoral au peuple pour l’attribuer à des chefs de partis qui sont aujourd’hui des entreprises politico-familiales, comme je l’ai dit. Chose que le RCP a toujours dénoncée. Quid des critères de compétences?
Quel est votre sentiment quant au quota réservé aux femmes?
C’est une absurdité. Dans le sens où le fait même d’en parler, fait une distinction entre hommes et femmes. Alors que l’objectif est de ne plus avoir de distinction. Si vous mettez un quota, admettons que vous ayez 10% de femmes intéressées, les 20% restants on les trouve où? On va forcer les femmes à venir ? Et c’est pareil pour les hommes. Admettons qu’il y ait un quota de 50-50 et qu’il n’y ait que 30% d’hommes compétents. Va-t-on donner 70% aux femmes compétentes ou on prend 20% d’hommes imbéciles pour atteindre le quota. Tout le monde doit avoir le droit de se présenter. C’est au parti, dans sa politique interne, de choisir les personnes les plus compétentes, indépendamment du sexe. Cela pourrait permettre d’avoir un nombre très important de candidats féminins.
Cette affaire de quota ressemble à l’absurdité que sont les ailes féminines dans les partis. Pourquoi les femmes n’assistent pas aux mêmes réunions que les hommes et discutent ensemble de l’avenir du parti ? Mais non, c’est ‘fam diskit zafer fam ant zot, nou, nou diskit zafer zom.’ C’est exactement ce qui se faisait dans les années 60 dans les familles. Après un dîner, les hommes se retiraient au salon avec le cigare et les femmes, elles, allaient parler du dernier magazine de couture dans un autre salon. C’est un système patriarcal qu’il faut éliminer. Pour cela, il faut supprimer tous les critères de distinction.
Selon vous, un redécoupage électoral est-il nécessaire, pour accompagner la réforme?
Cette réforme ne doit en aucun cas être validée, avec ou sans redécoupage électoral. Mais en règle générale, il est impératif que les limites de nos circonscriptions soient revues. Cette révision devra bien sûr se faire dans le cadre d’une réelle réforme.
Actuellement, on a des circonscriptions qui sont découpées de manière assez illogique, selon moi. D’un côté, il y a les circonscriptions avec, disons, 50 000 votants et d’autres, avec 20 000. On sait bel et bien que cela est fait selon des critères ethniques. Il y a une démarche visant à faire en sorte à ce qu’il y ait toujours une certaine majorité dans chaque circonscription, de façon à s’assurer que les membres de ces ethnicités soient toujours élus. Si on va faire un redécoupage basé sur le même principe inégal, il y a très peu de chances d’avoir chacune des ethnicités, être représentée, si c’est vraiment la représentation ethnique qui est recherchée.
Au RCP, on pense que le meilleur découpage serait d’avoir 70 circonscriptions avec un élu. L’avantage serait que chacune de ces circonscriptions contiendrait un nombre plus ou moins équivalent en termes de votants, et cela permettrait un meilleur mélange en termes d’ethnicité. Là aussi, c’est si on se base sur la représentation ethnique. Car le RCP n’est pas du tout en faveur de la représentation ethnique. Nous sommes plus pour des représentants mauriciens. On parle bien d’une Assemblée nationale. On représente une nation.
Êtes-vous en faveur d’un nouveau recensement ethnique?
Ne faut-il pas d’abord se poser la question du pourquoi d’un recensement ethnique? Un recensement devrait par nature être démographique. En d’autres termes, nous devrions normalement nous contenter d’un recensement du nombre de Mauriciennes et de Mauriciens par circonscription pour parvenir à un rééquilibrage basé sur le nombre d’habitants et non le nombre de personnes par ethnicité.
Toutefois, la réalité sociopolitique mauricienne a voulu qu’en pratique, le découpage électoral réponde à une volonté politique qui est de s’assurer qu’il y ait toujours une majorité prédominante d’une ou de quelques-unes de l’ensemble des communautés composant le peuple mauricien dans chacune des
circonscriptions, cela afin que le pouvoir soit conservé le plus longtemps possible par leurs membres.
Or, dans un tel cas, un recensement ethnique viserait à le révéler officiellement. S’il est admis par beaucoup que le BLS a pour objectif de rétablir un équilibre en faveur des minorités, pour assurer une meilleure représentation de ces dernières au Parlement, il apparaît comme évident que le découpage actuel des circonscriptions ne partage pas cet esprit.
La question du recensement ethnique étant épineuse, un moyen de passer outre serait celui de créer 70 circonscriptions composées d’un nombre égal d’habitants, tant que possible, chacune étant le cadre d’élection d’un représentant.
Certaines personnes disent que le Best Loser System a quand même permis une stabilité politique et sociale. Qu’en pensez-vous?
Le BLS est un système qui avait été imaginé dans les années 60 pour répondre à un certain contexte. On allait accorder l’indépendance à un pays où cohabitaient différents groupes ethniques. À l’époque, chaque parti représentait une communauté. Il ne faut pas l’oublier. Or depuis le début des années 90, nous avons fait le choix de devenir une République. Et le BLS n’a pas sa place dans une République. Une République est laïque. Et la laïcité n’est pas uniquement par rapport à la religion. Cela veut aussi dire que l’État ne peut pas privilégier une croyance, une coutume par rapport à une autre. Malheureusement, aujourd’hui, nous n’avons pas d’équilibre.
Je dirai que le Best Loser System a vécu. Il est temps de créer, 50 ans après l’indépendance, la République !
Une République n’est pas une simple coquille habillant un État. Il s’agit de l’équilibre de l’organisation des pouvoirs, des valeurs fondamentales que ces derniers doivent véhiculer et l’adhésion ferme de la Nation à l’ensemble de ces principes. Le citoyen est alors une émanation de la Nation.
Force est de constater que nous n’avons nullement un équilibre des pouvoirs. Le Président est l’obligé du Premier ministre et n’a, par son mode de désignation, aucune autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions. L’organe législatif n’a pas l’autonomie essentielle à son fonctionnement. La « République » de Maurice ne fait référence à aucune devise caractérisant une règle de conduite quelconque. Ce n’est que dans notre armoirie (coat of arms), imaginée en 1906 par Johann Van Der Puf, alors maire d’Amsterdam, qu’on retrouve une proclamation historique « Stella Clavisque Maris Indici ». La création de notre État ne s’est, hélas, pas accompagnée de l’émergence de la nation mauricienne. L’État, par sa faiblesse, a engendré un repli communautaire amplifié par un fanatisme pur et dur importé d’autres horizons. L’intolérance est le nouveau paradigme de l’action et des revendications de certaines forces vives influentes et l’État, faiblissant, est souvent contraint de s’y soumettre.
Le citoyen n’est plus, dans une telle déconfiguration de la République, un composant d’une structure sociale et politique mais un simple individu appartenant à un pays en bénéficiant des droits s’y attachant. Il s’agit d’un élément mercantile dont le prix a tout récemment été fixé par le Premier ministre ! Nous n’avons jusqu’à aujourd’hui jamais été administrés par un Gouvernement, par l’État, mais par des blocs politiques, défaisant chacun la politique ou les initiatives mises en place par les prédécesseurs. Cette discontinuité d’une politique générale est un frein important à l’avancée de notre pays. Loin d’avoir été érigés en une République, nous n’avons été que sous administration des blocs politiques successifs depuis notre indépendance. Face à un État faible, une République sans substance, notre pays se dirige vers une balkanisation sociétale.
La question de financement des partis politiques doit-elle être abordée également ?
La question du financement des partis politiques demeure secondaire. La réelle question est de savoir comment se définit, à l’île Maurice, un parti politique. À ce jour, le parti politique mauricien n’est pas une personne morale. En d’autres termes, cela signifie qu’il n’a pas la personnalité juridique. De ce fait, il ne peut ni ouvrir un compte en banque – par principe – ni poursuivre ou être poursuivi en justice, ni contracter, etc.
On dit souvent à Maurice qu’un parti reçoit un financement. Mais cela ne peut pas être un parti, puisqu’il n’est même pas supposé avoir un compte en banque. Je ne sais pas comment les grands partis se sont arrangés pour cela, car ils n’ont pas d’existence légale.
C’est une personne physique qui reçoit une donation. Et ça, c’est très problématique. Car on ne peut pas avoir le contrôle. On ne peut pas venir dire que tel parti a reçu, disons Rs 250 M, et qu’il n’a pas respecté la loi. Comment va-t-on poursuivre en justice un parti politique, qui n’existe pas, légalement. Si vous poursuivez une personne physique, quand vous le sanctionnez, vous le faites sur son patrimoine propre. Un parti politique ne peut être une compagnie. Légalement, et non pas constitutionnellement, un parti politique ne peut être une association. Comment donc contrôler une entité qui n’a pas d’existence juridique ? Il faudrait une réforme législative pour autoriser les partis politiques d’exister et de ce fait, on aurait un meilleur contrôle. Ceux qui font les donations, devront le déclarer et cela permettra aussi au Commissaire électoral d’avoir un meilleur contrôle.
Le système actuel constitue un vide juridique grave et ne permet aucunement de limiter les cas d’abus trop importants aujourd’hui.
Un jeune parti comme le vôtre trouverait-il sa place avec cette réforme?
Cette réforme apporte comme nouveauté la nomination politique de députés non-élus. Il s’agit par conséquent d’une grave entrave à l’un des principes fondamentaux d’une démocratie qui consiste en le choix de leurs représentants par le peuple ; à moins d’appartenir à une coalition politique dominée par l’un des 3 principaux partis du pays. Il est peut-être utile de souligner que les candidats dits « indépendants » sont exclus des bénéfices des sièges de Best Loser car la Constitution ne prévoit l’attribution de ces sièges que pour les candidats battus des partis.
Un petit parti ne trouverait pas sa place dans cette réforme. On demande aux leaders élus de choisir de leurs listes. Qui sont les leaders qui sont élus ? Ce sont ceux des partis traditionnels.
Quelles sont les propositions du RCP pour la réforme?
Au RCP, nous estimons que la réforme ne sera pas une panacée institutionnelle; une réforme électorale, seule, ne permettra pas de résoudre les nombreux problèmes institutionnels frappant notre pays, à savoir le monopole par l’État/le gouvernement de l’information locale audiovisuelle/télévisuelle avec le soutien des organismes de diffusion ou de contrôle nullement indépendant ; l’impossibilité pour les Partis politiques d’avoir la personnalité juridique, et par voie de conséquence, d’avoir une existence légale, renvoie à la question du financement des Partis, du contrôle effectif des dépenses électorales ; le Président de la République et son vice-président sont choisis en toute discrétion par le chef du gouvernement et ne bénéficient d’aucune légitimité démocratique ; 8 des 70 députés sont nommés parmi les candidats battus, donc désavoués, pour être les représentants du Peuple ; l’Assemblée nationale n’a pas les moyens efficaces, les organes et compétences de contrôle de l’action du gouvernement – commissions permanentes, droits appartenant aux groupes parlementaires, rapports et études réguliers… -; la présidence de l’Assemblée nationale n’a pas l’indépendance, ni l’impartialité nécessaires à l’exercice de ses fonctions… La liste est non exhaustive.
Une réforme constitutionnelle de fond, sera essentielle car nous pataugeons aujourd’hui entre pratique détournée de la Constitution et vide constitutionnel. Une Constitution est un ensemble qui regroupe les valeurs fondamentales du pays et le fonctionnement des institutions. Dans cet ensemble, on a les articles qui sont indissociables. Il faut voir tout cela dans son ensemble, pour se demander si on est en train de respecter le principe d’égalité, présent dans la Constitution. Bien sûr, nous avons malheureusement, une disposition qui vient différencier entre les différents groupes de la population. Ce qui est déplorable. Nous sommes une ébauche d’une République et le BLS y participe beaucoup. Pour qu’une réforme du système électoral puisse fonctionner, il est fondamental que le système proposé puisse s’articuler logiquement avec notre Constitution. Or, la réforme du seul système électoral rendrait impossible cette articulation.
Que pensez-vous des propositions des autres partis politiques?
Les partis politiques « traditionnels » ont confisqué et escamoté tout débat ! Les consultations ont lieu « entre leaders » en catimini, souvent prélude à alliances ou mésalliances. Nous avons pu le constater en 2014 avec l’accord MMM/Ptr. Les partis politiques ne voient que leurs intérêts particuliers au lieu de discuter de l’avenir et des intérêts de la Nation. Le débat au Parlement est bâclé et souvent sur une période très courte.
L’une des critiques de la réforme est qu’il y a trop de pouvoirs entre les mains des leaders de parti. Faut-il revoir la question de leadership au sein des partis politiques selon vous ?
La notion de leader est en elle-même problématique. Car beaucoup tendent à suivre aveuglément un leader et donc sa couleur politique. Indifféremment de la qualité des membres choisis par ce dernier pour composer son équipe et, en cas de victoire, le Gouvernement. Cela débouche sur les dérives que nous connaissons tous et sur l’absence de compétence – je ne dis pas de capacité – dans les dossiers alloués aux uns et aux autres. Beaucoup n’ont pas leur place dans un Parlement.
Le leadership ne devrait pas être uniquement une qualité pour celui qui dirige le parti. Les ministres sont aussi appelés à faire preuve de leadership pour mener à bien leurs missions.
Vous avez participé à la partielle de Belle-Rose/Quatre-Bornes. Que retenez-vous de cette première participation à une élection?
On en ressort grandi, avec une compréhension du système incomparable à celle que l’on pouvait avoir avant de vivre cette expérience. Il est vrai que l’expérience était épuisante, d’autant que j’étais alors salarié d’un cabinet d’avocats et ne disposait que de mes seuls week-ends pour être sur le terrain. Enrichissante, car j’ai été accompagné par une équipe de bénévoles, tous plus merveilleux les uns que les autres et ayant sacrifié un temps qu’ils auraient pu
consacrer à leurs familles afin de se comporter en citoyens responsables, croyant à la possibilité d’un réel changement.
L’objectif était avant tout de passer un message d’espoir à la jeune génération. Il était aussi une invitation à tous ceux n’osant pas se lancer, ou simplement n’osant pas prendre la parole, à se lancer, à la prendre.
Le RCP va-t-il présenter des candidats pour les prochaines élections générales ? Si oui, combien ?
La question est encore en suspens. Comme vous n’êtes pas sans l’ignorer, de nombreux groupements de « jeunes » politiciens se forment et ne cessent de se
renforcer. La question d’un regroupement de ces mouvements est de plus en plus discutée entre ces derniers, la principale condition étant celle que la vision soit commune, ou du moins très proche.
C’est l’essence même du Ralliement Citoyen pour la Patrie avec comme devise « L’Ethique, La Patrie et Le Progrès ».