Le site caudanartscentre.com a déjà mis en place un système de billetterie et de réservations pour les spectacles que le Caudan Arts Centre présentera tout au long du mois de décembre. Tout commencera comme une grande fête avec un spectacle gratuit le 1er décembre, qui présentera de nouveaux talents. Et cela continuera avec une palette variée de spectacles à teneur théâtrale et musicale pour ce premier mois, en veillant particulièrement à intéresser le public familial en cette période estivale de vacances scolaires. Le directeur de la création, Ashish Beesoondial, nous en dit plus sur les intentions du Caudan Arts Centre, qui n’est pas simplement une salle de spectacle.
Le Caudan Arts Centre va être inauguré avec la reprise de l’adaptation de « Porgy & Bess » à Maurice. Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce spectacle pour l’ouverture de la salle au public ?
Nous avons créé Porgy ek Bess en 2013 pour le situer dans des villages de pêcheurs mauriciens et nous l’avions présenté sur le littoral en allant au-devant des spectateurs. Pour nous, il fallait absolument continuer cette aventure et l’arrivée du Caudan Arts Centre nous en offre l’occasion. Il y a eu tellement d’engouement autour de ce projet que cela fait partie de nous. Tout a un peu démarré à partir de là. Porgy ek Bess aussi, parce que nous voulions un spectacle populaire que nous pouvions contextualiser à Maurice à travers la langue, la musique, les costumes et les décors. Même s’il s’agit d’une adaptation, il est important pour moi qu’on ait le contexte local et qu’on le cale à un niveau de qualité élevé. Nous avons beaucoup plus de facilités dans la nouvelle salle de théâtre, qui permet par exemple de jouer en hauteur et de créer plus de mouvements sur scène. Nous pourrons jouer sur deux niveaux par exemple. Nous aurons aussi une “Fly Tower”, ou disons des cintres en français, qui permet de faire bouger les éléments de décors de haut en bas.
En 2013, la comédie musicale « Porgy ek Bess » a été un gros succès populaire, mais c’était gratuit et vous étiez allés chercher le public dans les villages avec une scène démontable. Cette fois, dans une salle de théâtre, avec des entrées payantes, ce sera forcément différent… voire moins populaire, non ?
Je peux dire que nous sommes très attachés à garder un niveau de prix abordable. Nous allons travailler différents packages, notamment pour les entreprises, en cette période de décembre. L’idée est aussi de proposer des prix préférentiels aux publics, des systèmes d’abonnement aussi, qui permettent de payer moins cher pour chaque spectacle. Pour une salle de 431 places, nous ne pouvons pas faire une segmentation tarifaire très variée comme c’est le cas des salles qui accueillent 1 000 à 2 000 personnes.
Passons à votre domaine, qui est la mise en scène et la création artistique. Qu’allez-vous changer dans la mise en scène de « Porgy ek Bess » ?
En 2013, le texte et la musique ont très clairement primé dans un décor très réaliste. Cette fois, je veux que le spectacle soit plus ouvert, plus suggestif, que les décors soient flexibles, de sorte que les spectateurs puissent se les approprier et imaginer à leur guise où cela pourrait se passer. Nous utiliserons la projection vidéo, sans en abuser, parce que je souhaite que la présence physique, l’action et le côté très corporel soient soulignés.
Envisagez-vous de présenter la version anglaise ?
Pas de Porgy ek Bess, mais nous proposerons des spectacles dans différentes langues. Nous nous appuierons sur cet atout multilinguistique de Maurice. Nous avons prévu par exemple un spectacle familial pensé pour les enfants, The dodo who wanted to fly, qui a été écrit par Katrin Caine, et qui sera aussi présenté en français. Pour vraiment contribuer à impulser une démarche artistique à Maurice, nous devons commencer en nous adressant à toute la famille et veiller à attirer des gens de tous les âges.
La programmation est prête jusqu’à quand ?
Elle est bien sûr bouclée pour le mois de décembre, avec Porgy ek Bess pour commencer, puis nous aurons un concert de piano avec Opera Mauritius. Ensuite, nous aurons The magic chef, deux magiciens d’Australie en tournée, qui feront une escale de quelques jours chez nous. Rien à voir avec la magie traditionnelle : le spectacle se déroule dans un restaurant et raconte une histoire avec une vraie mise en scène. Nous recevrons ensuite le Théâtre des Alberts de La Réunion, qui donnera son spectacle de marionnettes autour des contes de Perrault, comme Le petit Poucet. Opera Mauritius a programmé aussi un grand concert de Noël ainsi qu’un récital violons et piano avec Dean Nookadu. Sinon, notre programmation est calée jusqu’en mai 2019, mais il est très important derrière ça de veiller à ce que les productions suivent pour être effectivement prêtes à la date prévue.
Comment vous impliquez-vous dans la production et la préparation des spectacles ?
Nous le sommes totalement pour Porgy ek Bess. Mais sinon, pour la première année, Le Caudan Arts Centre ne va pas trop s’impliquer dans la production des spectacles et concerts que nous allons présenter. Avec Opera Mauritius, pour le concert de Noël, nous offrons l’espace et les équipements et on partage les gains des entrées. Il existe un mode de location pure et simple mais nous préférons garder un regard sur les spectacles programmés. Par exemple, nous souhaitons promouvoir la “story telling” en musique, où nous assurerons la direction artistique.
Que recherchez-vous en termes de programmation ? Quelles vont être les différentes activités du centre d’arts ?
La question que nous devons nous poser, c’est : dans cinq ans, en 2024, aurons-nous créé quelque chose de nouveau et différent ? Pour y parvenir, nous devons commencer un travail de création dès 2019 pour que le Caudan Art Centre soit en 2024 un véritable lieu de production de spectacles.
Mais « nouveau et différent » par rapport à quoi, puisqu’il n’existe pratiquement pas de salle à programmation continue, mis à part le théâtre des Komiko ? C’est facile d’être différent dans ce contexte.
Je veux dire que nous allons encourager l’interdisciplinarité, en allant dénicher des nouveautés. Quand on cherche un peu, on se rend compte qu’il se passe beaucoup de choses à Maurice, comme Avneesh, qui associe la musique électronique et la ravane. Nous voulons mener un travail de base avec les artistes émergents en favorisant l’interdisciplinarité. Par exemple, un concert ne consiste pas seulement à mettre des micros à la disposition des artistes qui vont venir faire leur performance. Il s’agit aussi de venir avec une histoire qui colle avec le concert, qui peut-être visuelle ou orale. Nous aurons des choix esthétiques à faire pour chaque spectacle.
Dans une programmation continue ?
Tout à fait. Le programme de décembre est très dense parce que c’est un mois de vacances. Nous ne pourrons pas avoir un programme aussi important en janvier, qui est un mois plus creux. Je me suis fixé pour objectif que chaque week-end, nous ayons un événement spécifique. Nous souhaitons mêler les genres, qu’il y ait des concerts, de la danse, du théâtre. Nous avons à Maurice une très forte demande pour la musique, mais je veux aussi pousser la danse et les pièces de théâtre.
Avez-vous fait une étude sur les attentes du public ?
Une étude a été faite avant que je ne prenne mes fonctions. En 2019, notre mot-clé sera l’éclectisme. Nous allons proposer une grande diversité de spectacles pour voir où vont les préférences, que ce soit pour la musique traditionnelle, la musique classique, les danses urbaines, le théâtre, les arts lyriques, etc. Je veux aussi explorer la création littéraire, qu’il s’agisse de poésie, de “story telling”, pour les amener sur scène. Nous avons contacté aussi les troupes existantes, mais ensuite il faut que ça suive derrière. Le rôle que j’aimerais jouer notamment est d’aller voir les pièces un peu partout dans le pays, pour voir si nous pouvons les amener au centre et leur donner une nouvelle dimension sur notre scène. Ainsi, nous saurons mieux où aller ensuite en 2020.
Nous allons aussi mettre sur pied un “Short + Sweet Festival”. Ce concept a démarré en Australie puis il s’est développé à Dubaï, en Inde, à Singapour, etc. Il s’agit de présenter une série de pièces courtes sur un jour ou deux. Cette licence permet de développer le concept avec nos propres créations et aussi des textes qu’ils nous envoient sur lesquels on peut faire travailler nos propres artistes. J’ai rencontré un bon nombre d’acteurs de différents styles et de différents horizons ici, et notre rôle sera justement de susciter de nouvelles expériences aussi avec tous ces gens-là.
Quelles règles vous êtes-vous fixées pour les spectacles qui viennent de l’extérieur ?
Nous souhaitons avoir plus de local que d’international, mais reste à voir si cette formule marchera ou pas… Les spectacles qui viennent de l’extérieur coûtent nécessairement plus cher.
Vous venez du secteur éducatif, où vous étiez en poste au MIE. Allez-vous essayer d’impliquer le corps enseignant et de jeter des ponts entre les établissements scolaires et le centre d’arts ?
Tout à fait. Mieux que ça : nous souhaitons que le centre d’arts lui-même devienne un espace de formation. L’idée est que le Caudan Arts Centre soit un lieu où il y aura tout le temps des activités de formation en lien avec les arts, notamment grâce à des cours, des stages de formation dans toutes les disciplines, comme la musique, la danse, le théâtre, les arts visuels, l’écriture, etc.
J’ai commencé aussi à intervenir dans des écoles. Par exemple, j’ai animé un atelier de théâtre au Collège Labourdonnais, à Vallée-des-Prêtres, où ils ont construit un petit amphithéâtre. J’aimerais entraîner aussi les comédiens et les autres artistes qui seront basés au centre d’arts dans ces activités au sein de la communauté port-louisienne. Nous ne resterons pas toujours dans nos murs.
Le comédien et le metteur en scène qui sont en vous pourront-ils intervenir souvent en tant que tel tout en assurant la direction du centre ?
J’espère pouvoir le faire, si je trouve le temps. Mais à part Porgy et Le dodo qui voulait voler, je ne pense pas pouvoir le faire souvent dans les six premiers mois. Je pourrai toujours apporter quelques touches de mise en scène sur des spectacles musicaux, mais ça n’ira pas au-delà.
Comment analysez-vous les attentes du public mauricien en matière de spectacles ? J’ai entendu un professionnel dire qu’elles tournaient surtout autour de la célébration et de la musique.
Il est vrai que cette idée de célébration, de festival est très présente à Maurice. Cela rejoint l’engouement, le goût pour le divertissement. Mais n’oublions pas que beaucoup de parents envoient leurs enfants apprendre la musique, à jouer un instrument ou à pratiquer la danse. Pour moi, c’est le signe qu’il existe une génération montante, de plus sensible aux questions artistiques. Le divertissement pur ne peut pas suffire. Ce n’est pas uniquement une question de style et d’esthétique, dont nous pourrions montrer la diversité. Il y a aussi un volet pédagogique qu’il est très important d’exploiter.
Les gens aiment la musique parce qu’elle amène plus de gaieté sur scène, certes. Mais rien ne nous empêche de faire la même chose avec le théâtre, la danse. Il y a donc tout un travail sur la créativité à mener. Je suis très étonné par exemple que la “story telling” ou le conte soient si peu exploités à Maurice sur scène. Quand on pense à toutes les histoires d’antan, comme la légende de Pieter Both, qui ont fait la richesse de notre patrimoine oral, on réalise qu’il y a là un trésor qui pourrait être mis en scène. Robert Wilson n’a pas fait autre chose que de puiser dans les traditions lorsqu’il a mis en scène dans son propre style les fables de La Fontaine à la Comédie Française.
Il y a tellement peu de spectacles basés sur la littérature mauricienne qu’on finit par croire en une forme de pénurie. Pour vous, quels pourraient être les piliers du répertoire théâtral mauricien ?
Déjà, dans la vie courante, je rencontre régulièrement des gens qui me racontent des histoires, vécues ou non, qui mériteraient d’être mises sur scène à travers la danse, la musique, le conte, le théâtre, etc. Quand on ouvre le journal, tellement de choses se passent à Maurice en ce moment qu’on ne manque pas de sujets d’inspiration. Beaucoup de créations existent en termes de langues et d’écriture. Le texte de Roger Moss, que Lindsey Colleen a traduit en créole par exemple, ferait un très beau spectacle de “story telling”. Toutes les histoires de Baissac, avec Tizan, qui ont été reprises par Shenaz Patel et d’autres écrivains, ou encore l’histoire de Pieter Both. Toutes ces choses ont été publiées, mais il ne faut pas oublier non plus les histoires qui ont été transmises de générations en générations, et qui existent encore dans la mémoire de certains. Le challenge vient du fait que nous avons souvent eu tendance à prendre un texte et le mettre sur scène tel quel. La transposition sur scène mérite un travail d’adaptation, de création et de réflexion dans lequel nous n’avons pas encore développé suffisamment de pratique et de créativité. Il faut travailler la progression dramatique et la matière même de l’art théâtral pour aller plus loin dans le langage visuel, et rendre le spectacle populaire au final.
Vous avez travaillé sur la programmation quasiment tout seul jusqu’ici. Quelle va être l’équipe du théâtre et quand arrivent-ils ?
Une petite équipe a déjà été mise en place, et j’ai le précieux appui de l’équipe marketing de Caudan Development pour l’aspect commercial et la communication. Une équipe de cinq ou six salariés va bientôt entrer en action au théâtre même, avec un décorateur en chef et un directeur technique qui puisse maîtriser les équipements spéciaux du théâtre, notamment les cintres et le rideau anti-incendie métallique, qui va aussi former les techniciens, qui les utiliseront ensuite. Caudan Development s’occupe aussi de la location des salles de conférences. Le Caudan Arts Centre gère aussi un espace d’exposition, dont les cloisons sont modulables pour permettre d’y tenir des activités de différentes natures. Nous travaillons aussi sur la programmation de cette salle. Nous souhaitons que cet espace soit aussi un lieu où les expositions des galeries mauriciennes seraient promues sous la forme de “show case”. J’espère aussi vivement que ces espaces seront mis à profit pour que les artistes puissent travailler ici. La priorité dans le planning de livraison du chantier est mise sur le théâtre et il est probable que ces espaces ouvrent par la suite début 2019.
Pouvez-vous nous expliquer la démarche du Caudan Live et quels vont être ses liens avec le centre d’arts ?
Cette opération est conçue en amont des activités du centre d’arts et vise à sélectionner des performances scéniques qui valent la peine d’être mises en valeur et que nous avons identifiées dans cinq disciplines : le théâtre, la danse, la musique, le slam et les expressions folkloriques. Nous avons invité les artistes à poster leurs vidéos, grâce auxquelles nous sommes en train de procéder à la sélection des finalistes, qui seront recrutés pour présenter leurs shows le jour de l’ouverture du Caudan Arts Centre, le 1er décembre. Nous voulons être une plateforme qui amène autant d’artistes que possible à se faire connaître. Nous voulons exercer aussi ce rôle continu de chercheurs de talents. La première phase de sélection s’est achevée le 30 septembre et la deuxième phase va se jouer sur cinq shows dans chaque catégorie. Et le spectacle d’inauguration, le 1er décembre, sera la finale qui présentera dix performances, soit deux dans chaque catégorie.
Quels liens avez-vous établi dans la région océan Indien ? Envisagez-vous des accords à long terme avec des professionnels des pays voisins ?
Tout à fait. Nous avons pris des contacts avec l’ambassade de Madagascar, nous espérons des collaborations avec des musiciens seychellois. Comme vous le savez, nous avons déjà programmé des artistes réunionnais et avons pris des contacts avec le Cité des Arts, à laquelle nous pouvons nous associer pour les spectacles en tournée internationale notamment. En fait, nous cherchons un peu de tout dans la région. Nous sommes ouverts à toutes les possibilités, c’est notre seule façon de savoir ce qui marchera à l’avenir. L’idée consiste aussi à rechercher dans la région tout ce que nous avons en commun, qui peut plaire au public mauricien. Le théâtre populaire malgache, qui est très physique, peut être présenté à Maurice.
Sinon, avez-vous déjà des accords avec les institutions culturelles mauriciennes, et aussi avec des acteurs privés du secteur culturel ?
J’ai eu plusieurs rencontres avec les représentants du ministère de la Culture. Un dialogue a été mis en place et nous mettrons certainement en place des collaborations, qui doivent passer par différents comités et autres rouages administratifs. En même temps, il y a aussi au ministère des gens qui sont en contacts avec des cercles culturels. Maintenant, pour l’harmonisation des différentes programmations, nous veillerons aussi à ne pas proposer le même type d’événement que d’autres professionnels du secteur culturel. Par exemple, nous avons déjà des accords avec Kaz Out ou encore l’IFM sur cette question.
Cette année, votre événement phare est l’ouverture le 1er décembre puis le spectacle inaugural « Porgy ek Bess ». Comment voyez-vous les temps forts et la saisonnalité du centre d’art l’année prochaine ?
Il y aura des périodes de relâche et, dans ces moments-là, je souhaite explorer le côté « Short + Sweet », pour mettre en avant des créations en devenir vers les mois de juillet/août dans différents genres artistiques. On ne pourra pas avoir une programmation soutenue tout au long de l’année. Ce qui est sûr, c’est que 2019 sera une année déterminante pour l’avenir du Caudan Arts Centre et les orientations qu’il prendra par la suite !