Deuxième round du « match » engagé le jeudi 26 octobre dernier entre l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, actuel président de la Commission d’enquête sur la drogue, et l’avocat Raouf Gulbul, président de la GRA, hier. Son nom a été mentionné à diverses reprises depuis le début de cette année tant par des détenus et ex-détenus que des membres de la profession légale dans plusieurs cas, dont dans deux affaires de « devir lanket » : Me Raouf Gulbul est l’un des membres du barreau les plus attendus devant la Commission Lam Shang Leen. Si son premier passage devant la Commission, le jeudi 26 dernier, avait donné le ton, sa deuxième comparution, hier, a donné encore du fil à retordre à Paul Lam Shang Leen qui a dû stopper à deux reprises l’audition et finir par renvoyer le ténor du barreau à une troisième déposition le lundi 6 novembre.
Séance houleuse, hier, en présence de Me Raouf Gulbul, Chairman de la Gambling Regulatory Authority (GRA), candidat battu du MSM en décembre 2014 et avocat réputé, et l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, président de la Commission d’enquête sur la drogue. Durant presque 150 minutes, les deux hommes ont eu beaucoup de mal à se faire comprendre, poussant très souvent Paul Lam Shang Leen à répéter : « You are not listening, Mr Gulbul ! » et surtout : « My question is very simple ! But you are not answering it… » Le président de la Commission d’enquête a, plus d’une dizaine de fois, été sur le point de perdre de sa superbe, mais s’est retenu et a relancé l’exercice de questions-réponses avec celui qui déposait devant cette instance.
La salle était comble une nouvelle fois hier pour le deuxième passage de Me Raouf Gulbul devant la Commission. Outre le personnel de cette instance et les limiers de l’ASP Hector Tuyau, lui-même présent, plusieurs “pupils” étaient là pour la déposition de Me Gulbul ainsi que des proches de son étude, dont Me Noor Hussenee. Aton Murday, proche collaborateur de Me Gulbul, a, d’entrée de jeu, été invité par Paul Lam Shang Leen à quitter la salle. Le président de la Commission devait expliquer plus tard qu’« à la lumière de certaines informations disséminées ici, il valait mieux que M. Murday ne soit pas présent dans cette salle ». Il faisait référence à certains messages échangés entre Me Gulbul et Me Tisha Shamloll.
La deuxième audition de Raouf Gulbul était axée sur divers plans, dont principalement ses liens avec Tisha Shamloll et un voyage à Rodrigues, ainsi qu’un déplacement à l’île de la Réunion. Il a également surtout été question des dépositions faites sous serment devant la Commission par la détenue Parwiza Jeeva, ex-petite amie du trafiquant incarcéré Peroumal Veeren, et l’ancien détenu Jacharee Bottesoie. Les deux avaient été arrêtés dans des affaires liées à la drogue. En juin dernier, lors de leur comparution devant la Commission Lam Shang Leen, tous deux ont fait des allégations selon lesquelles Me Raouf Gulbul, qui les avait représentés, avait tenté de « devir lanket. Dans le cas de Jeeva, c’était en faveur de Peroumal Veeren, et dans celui de Bottesoie, en faveur de Rajen Velvindron, incarcéré lui aussi pour une affaire de trafic de drogue. L’ombre du trafiquant Peroumal Veeren a longuement plané sur la session d’hier, avec Me Gulbul niant avoir entretenu des relations avec ce détenu, autres que « selon les instructions de sa mère, qui venait me voir dans mon étude, pour me demander d’aller rendre visite à son fils, dans certains cas spécifiques ». Mais Me Gulbul ne devait pas élaborer davantage sur cet aspect.
Un axe intéressant de la déposition de Raouf Gulbul concernait le détenu Ricardo Agathe, incarcéré pour une affaire de blanchiment d’argent. L’audition de Me Gulbul devait se terminer avec cette partie.
Paul Lam Shang Leen : Connaissez-vous un certain Ricardo Agathe ? Vous n’aviez pas mentionné son nom la dernière fois. Il est incarcéré pour une affaire de blanchiment d’argent…
Raouf Gulbul : Oui, je le connais
PLSL : Pourtant, vous ne nous en avez rien dit !
RG : J’allais le faire…
PLSL : Nous vous avions demandé, la dernière fois, de produire vos « VAT Invoices », entre autres, s’agissant des relevés des paiements par vos clients. J’espère que le lundi 6 novembre quand vous allez comparaître, à nouveau, vous ferez le nécessaire. Bien que nous n’aurons pas le loisir de disséquer ces documents… Quand avez-vous représenté Ricardo Agathe ?
RG : L’année dernière…
PLSL : Dans quelle cour ?
RG : C’était pour une affaire de caution qu’il avait retenu mes services. J’avais présenté la motion à la Bail & Remand Court…
PLSL : Qui étaient les autres accusés dans cette affaire ?
RG : Je ne sais pas. Je n’ai été retenu que pour représenter Ricardo Agathe. A ma connaissance, il n’y avait personne d’autre que lui impliqué dans cette affaire. Mais je n’ai pas travaillé sur le cas complètement, que pour cette affaire de caution… Je ne connais pas toute l’affaire
PLSL : C’est très étrange… Parce qu’en tant qu’avocat, vous deviez être au courant qu’il y avait une affaire de blanchiment d’argent, de Rs 9 M, dans cette affaire…
RG : Je ne m’en souviens pas. Je suis allé rendre visite à Agathe en juillet 2016…
PLSL : Les Rs 9 M ont été trouvées sur deux Africains qui quittaient Maurice. Ils ont été arrêtés à l’aéroport.
RG : Je n’étais pas au courant. Je parle de mémoire…
PLSL : Ces deux Africains ont impliqué directement votre client, Ricardo Agathe, fiché auprès des services de l’ADSU comme un trafiquant notoire…
RG : Je vais vérifier dans mes dossiers…
PLSL : Puis, par la suite, ces deux Africains ont changé leur version des faits. Ils ont nié que l’argent trouvé sur eux avait été remis par Ricardo Agathe, mais que cette somme avait été volée à un dénommé Salva… Qui n’est autre que le beau-frère d’Agathe.
RG : Je vais m’enquérir à ce propos…
PLSL : Vous avez représenté M. Salva, n’est-ce pas ? Il est de la famille de M. Agathe…
RG : Oui.
PLSL : Comment expliquez-vous que vous avez représenté M. Agathe et M. Salva alors qu’ils sont parentés ?
RG : Il n’y avait pas de conflits d’intérêts. Je ne sais pas s’il s’agit de la même affaire.
PLSL : Je vous rappelle, M. Gulbul, que vous avez été un membre du Board of Ethics de la Bar Association…
Le président de la Commission d’enquête devait, avant de terminer la session, laisser échapper un petit commentaire à l’effet que « là où vous ne trouvez pas qu’il y a conflit, à mon sens, il y en a… »
Me Gulbul devra se présenter une troisième fois devant la Commission d’enquête sur la drogue le lundi 6 novembre prochain. Il a été réclamé de lui qu’il produise une série de documents, dont des justificatifs de ses voyages récents à Londres, des reçus pour l’achat de ses billets d’avion, ses factures pour ses séjours, entre autres. Notons que c’est la première fois depuis la tenue de la Commission Lam Shang Leen qu’une personne est appelée à déposer en plus de deux occasions.
« She is a serial defaulter of law »
Un gros morceau de la déposition de Me Gulbul était évidemment axé sur les allégations portées par Me Tisha Shamloll lors de son audition en juillet dernier. « She is a liar ! » devait répéter à diverses reprises Raouf Gulbul à l’égard de celle-ci. Il devait aller plus loin : « She is the epitome of lies ! A serial defaulter of law ! » Visiblement agacé et hors de lui, Raouf Gulbul n’y est pas allé de main morte quand Paul Lam Shang Leen a abordé le volet consacré à l’avocate. Me Gulbul a aussi déclaré, plus d’une fois, donnant maints détails que « Tisha Shamloll a été sévèrement réprimandée pour avoir manqué de respect à la Bail & Remand Court ».
Paul Lam Shang Leen : Nous savons que vous n’aimez pas l’expression « junior », mais une personne qui dit avoir travaillé pour vous, et notamment avoir exécuté quelques « dirty business » pour votre compte…
Raouf Gulbul : Je dis non !
PLSL : Elle vous a décrit, ici même, comme étant « worse than a trafficker ».
RG : Qu’elle vienne ici et donnez-moi l’occasion de faire son contre-interrogatoire. Elle a été sévèrement réprimandée par plusieurs instances, dont le Bar Council. Qui plus est, elle s’occupe principalement d’affaires liées aux trafiquants de drogue. Elle et M. Boyroo, du State Law Office (SLO). Elle compte parmi ses clients les trafiquants Dev Currun, Navind Kistnah, Kamashoe… Elle et son « petit ami » Boyroo, qu’elle a épousé d’ailleurs, utilisaient le BRC comme terrain pour leurs galipettes.
NDR : Paul Lam Shang Leen rappelle Raouf Gulbul à l’ordre à trois reprises successives. Celui-ci lâche alors un commentaire selon lequel Me Shamloll est une « serial defaulter of law ». Ce qui pousse le président de la Commission à rappeler à l’avocat quels sont les pouvoirs de cette instance.
RG : Let’s proceed then.
PLSL : Me Shamloll nous a dit qu’elle a été votre « junior »…
RG : Elle n’a jamais travaillé pour moi. Certes, sur certaines affaires, elle m’a assisté, tout comme elle était présente dans des postes de police où j’ai rencontré des clients. Mais je ne lui ai jamais donné une place au sein de mon étude…
PLSL : Elle nous a montré certains des échanges qu’elle a eus avec vous via vos téléphones portables… Votre numéro, c’est bien le 57 XX XX XX ?
RG : Oui.
PLSL : Selon les documents également qu’elle a produits ici, il y a votre adresse courriel. Donc il s’agit de documents officiels.
RG : Est-ce que vous êtes en train de me contre-interroger ?
PLSL : Bien sûr ! Puisque vous ne semblez pas comprendre l’exercice d’ici et que vous ne répondez pas à mes questions simples par des réponses simples ! Certains des messages que vous avez échangés avec Me Shamloll sont à caractère très, très intimes…
RG : Il n’y a jamais rien eu d’intime entre elle et moi.
PLSL : Pourtant, à la lecture de certains de vos messages, on ne dirait pas… Je fais référence ici aux messages concernant Rodrigues étant « bumpy »…
RG : Tout le monde sait que la topographie de Rodrigues est ainsi !
PLSL : Elle dit aussi dans ces messages que vous l’avez utilisée tout comme vous utilisez Aton Murday… Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai préféré que M. Murday n’assiste pas à l’audience ?
RG : Puis-je avoir une copie de ces messages ?
PLSL : Non ! Puisque vous avez confirmé qu’il s’agit de votre téléphone, vous devez avoir ces messages en mémoire… Me Shamloll a aussi allégué que c’est en suivant vos instructions qu’elle est allée verser de l’argent sur le compte du détenu étranger, Faisal Hussein…
RG : C’est faux. Elle ment. Je ne lui ai jamais donné de telles instructions. Au contraire, quand j’ai appris qu’elle avait fait cela, je l’ai sévèrement réprimandée. J’ai d’ailleurs une lettre écrite de la main de Faisal Hussein, de la prison, où il me demande de le représenter pour faire appel dans son cas…
PLSL : Vous avez fini, Me Gulbul ?
RG : Je ne lui ai jamais donné des instructions d’aller défendre Kamashoe etc.. Elle l’a fait de son propre chef, de connivence avec celui qui allait être son mari, M. Boyroo… L’argent que ses clients lui ont payé se trouve sur son compte bancaire. Allez regarder. Vous n’allez pas trouver de traces de ces paiements sur mon compte à moi. Me Shamloll a été réprimandée par le Bar Council parce qu’elle avait insulté un client étranger en 2014. Elle lui avait dit « You might as well rot in prison ». Regardez ces mails qu’elle m’a adressés avec photos à l’appui concernant des magistrats. Elle a ajouté des commentaires désagréables sur la profession… Voilà quel type de personne elle est. Et il faut que vous sachiez qu’elle a également eu maille à partir avec la BRC où elle a accusé un policier de harcèlement sexuel.
PLSL : D’accord M. Gulbul. Nous avons votre version, et celle de Me Shamloll. Qu’en est-il du voyage à l’île de La Réunion ? C’était un voyage d’agrément ou pour le travail ?
RG : Pour moi, il s’agissait uniquement de travail. Dix jours avant notre déplacement, il y avait Noor Hussennee, moi-même et un Senior Counsel. Voulez-vous son nom ou dois-je le taire ?
PLSL : C’est à vous de voir…
RG : D’accord, il s’agit de Me Yousuf Mohamed et nous deux devions nous rendre à l’île soeur. Noor Hussennee avait un souci avec la loi ici et on devait faire ce déplacement pour éviter que nos informations ne soient piratées. Or, Tisha Shamloll avait appris qu’on partait pour La Réunion et a agi comme une gamine mal élevée. Elle a crié et tapé du pied pour réclamer qu’on l’emmène. Là-bas, elle s’est contentée de faire du shopping et n’a jamais, à ce jour, remboursé le ticket d’avion. Moi je n’étais allé là-bas que pour le travail. J’ai d’ailleurs à la disposition de la Commission une carte sim SFR que j’avais achetée pour ces besoins lors de mon déplacement…
PLSL : Selon certaines informations, vous étiez en contact avec Peroumal Veeren à ce moment-là ?
RG : Pendant que je me trouvais à La Réunion ? Non, pas du tout.
PLSL : Nous allons prendre cette carte sim et les enquêteurs de la Commission vont l’analyser justement sur cette affaire…
RG : Vous êtes les bienvenus. Faites donc. Je suis tout à fait d’accord que vous passiez au crible cette carte sim. Vous trouverez les réponses que vous cherchez.
PLSL : Est-ce que vous vous êtes rendu en Inde avec Nasreen Soondagar ?
RG : Jamais.
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