- Publicité -

Cyril Palan : « La MBC gâche son potentiel »

Cyril Palan est une figure incontournable du monde de la publicité, avec son agence Logos Publicity, fondée en 1987. Il est également un témoin de l’évolution de la société de par son métier et son engagement au sein de l’Assemblée de Dieu. Il parle de l’évolution du monde de la pub et commente notamment le traitement de l’information par la MBC. Il est d’avis que la télé nationale n’a pas su exploiter son potentiel. Il s’exprime également sur l’état de l’économie qui, à son avis, « ne va pas si mal ». Il évoque aussi l’absence d’éthique et des tactiques pour contourner les lois dans son métier. Pour Cyril Palan, les publicitaires ont également une responsabilité envers les consommateurs. Il plaide enfin pour qu’on se penche sur une solution devant la violence chez les jeunes.

- Publicité -

Comment se porte le secteur de la publicité actuellement ?
C’est un secteur en constante mutation vu que Maurice se développe économiquement. Le paysage a aujourd’hui changé avec les Shopping Malls dans différentes régions. La publicité doit s’aligner avec tous ces changements et se réinventer. Dans ce contexte, certains ont souffert, d’autres ont disparu ou d’autres encore ont grossi…

Dans une société en développement, la publicité occupe une place primordiale. Toute société en devenir doit pouvoir s’adapter. La publicité doit correspondre au progrès. Bien sûr, il y a des difficultés et il faut les affronter. Ce qui veut dire qu’il faut revoir ses stratégies avec 10 à 20 ans d’avance, avoir une perspective très large. Malgré tout, c’est un métier palpitant que j’aime et j’espère que je pourrai laisser un bon “legacy” aux jeunes d’ici pour pouvoir continuer.

Quand je parle de mutation, de changement et de “shift”, cela veut aussi dire que les médias traditionnels, comme la presse papier, diminuent aujourd’hui. C’est une tendance mondiale et Maurice s’adapte. Tous les grands titres ont leur version en ligne. Toujours est-il, à mon avis, que le numérique tarde à venir à Maurice.
La pub traditionnelle a encore toute son importance. C’est un autre plaisir de tenir un journal entre ses mains que de le lire sur internet. Voyez les “billboards”, par exemple, tout est pris jusqu’à juin de l’année prochaine. Je connais quelqu’un qui avait fait 70% de sa campagne sur les réseaux sociaux et ça n’a pas marché. Aujourd’hui, les émissions à tendance publicitaire, sponsorisées, commencent à passer mieux que les spots publicitaires. Il y a une certaine subtilité. Autrement, dans un système capitaliste, la publicité va toujours bien. Car il faut vendre, à tout prix ou pas. Ce qui veut dire qu’on reste un acteur important du développement.

Avec le numérique aujourd’hui, et surtout l’importance qu’occupent les réseaux sociaux, notamment, est-ce un nouveau challenge pour le métier ?
Comme je l’ai dit, le numérique apporte du nouveau, mais les médias traditionnels sont toujours prisés. Il ne faut pas oublier que ce sont les adultes, à partir de 30 à 35 ans qui ont le plus de pouvoir d’achat. Les jeunes, très présents sur les réseaux sociaux, étudient encore à 20 ans et se marient plus tard. En revanche, le Mauricien moyen va toujours acheter son journal le dimanche. Pour preuve, si vous voulez passer une pub dans un des journaux à grand tirage du week-end, il faudra vous y prendre tôt. Arrivé jeudi, les espaces sont déjà remplis. D’autre part, la télévision attire toujours. La tranche pub associée aux infos sur la MBC touche 30 000 à 40 000 personnes. Que les infos soient bonnes ou pas. La radio est très prisée aussi. Ceci étant, à mon avis, si nous devenons une nation virtuelle, ce serait un appauvrissement au niveau de notre capacité de jugement. Et c’est dangereux. Car en étant un automate, sera-t-il possible de développer un esprit critique ? On parle aujourd’hui d’intelligence artificielle. Moi, je reste un être humain qui réfléchit, qui pense et qui respire. Bien sûr, j’ai un smartphone, qui est un outil de travail avec des potentiels. Mais je veux quand même avoir mes facultés en place, vivre, respirer…

On constate aussi que certaines agences de pub parviennent aujourd’hui à contourner les lois pour satisfaire les clients. Qu’en est-il de l’éthique ?
Auparavant, j’étais président de l’Association of Advertising Agencies. Nous avions mis en place un code d’éthique. Je me demande si on en tient compte aujourd’hui. Surtout quand je vois des publicités sur l’alcool, faite avec des conseils légaux, par exemple. C’est une insulte à l’intelligence et au bon sens. S’il n’y a pas d’éthique, il n’y a pas de normes. C’est dommage de dire qu’il y a des publicitaires qui ne regardent que leurs poches. Il ne faut pas oublier que nous avons aussi la responsabilité de défendre le consommateur en lui donnant les bonnes informations. C’est la première chose que le code d’éthique nous dit. On ne peut faire n’importe quoi pour se remplir les poches, avec des conseils légaux pour savoir comment contourner les lois. Ce n’est pas de la publicité responsable, c’est vraiment grossier. Si cela convient à certains de mes confrères, je ne suis pas de cette catégorie. Je crois que tout en vendant, il faut avoir une dose de sincérité. Quand j’étais président de l’AAA, je me suis beaucoup battu contre les publicités pour l’alcool. Je n’ai rien contre ceux qui boivent, mais on a déjà beaucoup de problèmes dans ce pays. On devient complice de la situation. Moi, je suis désolé, je ne suis pas partenaire de la pourriture. On vend, on fait du business, c’est sûr, mais il faut avoir un sens de responsabilité, de sincérité et de patriotisme même, je dirai. Savez-vous combien de tort une publicité peut faire à une société si ce n’est pas bien géré ? On peut toujours faire de la créativité correcte, en respectant le pays.

D’autre part, je note qu’il y a une dimension sociale dans certaines actions. Prenons l’exemple la MCB. Qui aurait pensé, il y a dix ans, que la banque allait faire une campagne, en créole, axée sur le social, sur les PME ? Avant, les PME ne les intéressaient même pas. Les publicitaires ont donc un engagement social. Je suis peut-être à l’opposé de la pensée commerciale et, pourtant, je vis, je tiens et mes clients me respectent.

On dit qu’on peut tâter le pouls de l’économie du pays à travers la publicité. Quel en est votre constat actuellement ?
Je reviens de Madagascar et je me dis que, parfois, les Mauriciens sont ingrats. Ils ne réalisent pas à quel point nous sommes bien ici. Je ne suis pas un spécialiste avec des indicateurs économiques, mais je pense que l’économie va bien. Ce n’est pas une question de régime, mais quand on voit tous les travaux d’infrastructures autour, je crois que cela ne peut aller aussi mal. Bien sûr, il y a toujours des hauts et des bas. Je vous donne un exemple : j’ai voulu réserver un “billboard” de 4X3 pour une campagne, mais on m’a dit que tous les panneaux sont pris jusqu’à février de l’année prochaine… Maintenant, il faut savoir qu’il y a aussi des clivages, une espèce de “power game” qui se joue, où certains gros publicitaires s’approprient tout. La publicité a aussi son cartel.
L’autre problème à Maurice, c’est que tout est politisé. Autrement, je crois que nous ne sommes pas si mal lotis. Nous avons toujours le “welfare state”, nous avons une presse libre, qui a pu pousser une présidente de la République et des ministres à la démission. Même si au niveau personnel, nous n’avons pas réalisé un bon chiffre d’affaires l’année dernière, je ne peux dire que tout va mal.

La pub permet aussi de constater l’évolution d’une société. Une publicité pour une marque de préservatif aurait provoqué un tollé il y a quelques années, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Tout de même, pensez-vous qu’il faut certaines réserves sur certaines choses ?

Peut-être que je suis dépassé, mais j’ai vu des trucs qui m’ont choqué. C’était grossièrement présenté pour notre société. Et ça passe. Parfois les gens protestent pour des choses banales et quand il y a des choses qui révoltent, ils restent tranquilles. Mais je peux vous dire qu’il y a des choses pour lesquelles j’ai protesté personnellement. Même en tant que publicitaire. Au niveau de l’AAA avant, quand il y avait quelque chose sur lequel on n’était pas d’accord, on se réunissait, on en discutait. Mais aujourd’hui, il n’y a plus tout ça. Chacun fait ce qu’il veut. Il n’y a qu’à lire notre code d’éthique pour vous rendre compte combien de “breach” il y a tous les jours. Cela, malheureusement, avec la complicité de la presse. Une fois de plus, on pense d’abord à l’argent.

Au niveau du métier, auparavant une agence faisait tout, mais aujourd’hui, il y a la spécialisation. C’est intéressant, ça dynamise. Aujourd’hui on a des gens spécialisés en marketing, en recherche, en design, en stratégie, en audiovisuel… Ça fait vivre beaucoup de personnes en PR, en communication… Ça se spécialise. Il y a des choses qu’il faut sous-traiter. Cela donne des responsabilités aux gens. Une bonne partie se fait également avec des équipements. Nous-mêmes, chez Logos, on a dû investir dans des outils très sophistiqués.

En tant que professionnel de la communication, que pensez-vous du traitement de l’information à la MBC ?

C’est triste de voir que la MBC gâche son potentiel en faisant un genre de lynchage des adversaires politiques et une espèce de surdosage, d’intoxication des partis au pouvoir. Ce ne sont pas des reportages, mais des discours politiques qu’on voit à la télé tous les jours. Ce n’est pas correct en démocratie. Tous les reportages de l’opposition se limitent aux images. On n’entend pas la voix des protagonistes, sauf quand ils disent quelque chose de bien sur le gouvernement. Il ne faut pas oublier qu’on paie la redevance télé. Mais j’ai l’impression que plus les gens protestent, plus ils s’en fichent. La télé est un outil tellement formidable et on peut diffuser des choses utiles, même sur le gouvernement. Mais ils sont tellement médiocres qu’ils n’arrivent même pas à en profiter. Je ne sais pas qui décide de l’information. En tout cas, c’est une idiotie comme pas deux.

Dans tous les pays, la publicité à la télévision occupe la première place. À Maurice, je crois que c’est à la troisième ou quatrième place. Pourquoi on en est arrivé là ? C’est parce que les différents régimes ont tellement utilisé la télévision. Ils pensent que les Mauriciens sont imbéciles au point de gober tout ce qu’ils disent. On verra aux prochaines élections ce que cela aura donné. J’ai de bons amis à la MBC, mais c’est triste de dire que c’est politisé à outrance, c’est ethnicisé. Quand il y a eu le problème au caveau du père Laval, on a vu par la suite que les reportages sur les catholiques étaient en avant, comme pour les amadouer. Pourquoi ne l’avait-on pas fait avant ? Qu’ils fassent leur travail de journalistes comme il le faut et non pas être à la solde des politiciens. L’intox, c’est mauvais. Un Premier ministre ne peut occuper les dix premières minutes d’un journal télévisé, par exemple. Autant mettre une chaîne rien que pour lui. Et on se vantera d’être dans une démocratie. Si le budget publicitaire a baissé à la MBC, c’est peut-être à cause du traitement de l’information. Les gens ne veulent pas s’associer à cela. Ils ne réalisent pas combien de publicités ils perdent en tombant dans la propagande politique.


Êtes-vous pour une télé privée et une MBC privatisée ?

Il faut une station de télévision publique. Pour offrir un service aux citoyens. La télé privée a un autre objectif. Je ne suis pas pour la privatisation de la télévision. Il y a des choses que nous ne pouvons pas dire sur une station privée. Si la télé a un objectif purement pécuniaire, il ne va pas s’embêter avec les petites gens ou des trucs sociaux. Il n’y aura pas cette mission de servir la nation. Mais si on a un peu de créativité et qu’on fasse les choses de manière intelligente, avec une certaine balance, les gens vont apprécier. Prenons la radio, par exemple. Aujourd’hui, les radios privées ont dépassé la radio nationale. Donc, le privé peut faire quelque chose de bien, avec un cahier de charges.

Que faudra-t-il aux partis politiques pour gagner la bataille de la communication lors de la prochaine campagne électorale ?

Je pense qu’il faudra surtout une dose de sincérité. Je n’ai pas écouté le discours du Premier ministre le 12 mars, mais j’ai lu un article de presse où il a reconnu entre autres le travail des citoyens depuis 1968. C’est ce genre de discours qu’on veut entendre. Soyez correct, respectez l’adversaire. Ne faites pas des attaques en dessous de la ceinture. Il faut qu’il y ait un langage propre, honnête et sincère. Je me demande si les politiciens peuvent faire ça. Ils gagneraient plus à défendre leurs acquis que de critiquer leurs adversaires. Il ne faut pas exagérer. Les Mauriciens ne sont pas aussi dupes. Il faut surtout savoir utiliser la MBC à bon escient. Il ne faut pas faire des émissions politiques et, le lendemain, faire une conférence de presse, qui sera diffusée en long et en large, pour critiquer ce qu’a dit l’adversaire.

Parlons de société. On se vante souvent de notre diversité culturelle et religieuse. Comment le vivez-vous, en tant que chrétien converti ?

Je suis un chrétien engagé, pentecôtiste et j’aime bien ce que je fais. Je défends ma foi. J’aime cette liberté religieuse que nous avons dans notre pays. Je suis très fier de cela. Ce sont les politiciens qui viennent nous diviser à la veille des élections. Bien sûr, il y a un racisme latent à Maurice, mais on arrive à s’entendre. Qu’est-ce que cela peut me faire de savoir d’où je viens ? J’ai un pays à construire ici. Je vous donne un exemple : mon père était tamoul, il s’est baptisé et a épousé ma mère, anglicane. Ma femme a un père musulman et une mère créole. J’ai une fille qui a épousé un Réunionnais et une autre qui a épousé un Français. J’ai un fils qui a épousé une Réunionnaise et un autre fils qui s’est marié avec une métisse créole-musulmane… Nous sommes donc Mauriciens. Il y a une identité locale et il faut se battre pour cela. Quand on est mélangé, on ne s’embête pas à aller chercher ses racines.

Cependant, ici, on a tendance à associer culture et religion. On ne peut mélanger la foi et le groupe ethnique. On peut avoir quelqu’un qui s’appelle Barlen mais qui est chrétien. Que dira la Constitution à ce sujet ? Je suis également responsable de Youth for Christ. C’est une organisation interdénominationnelle de jeunes chrétiens. Je m’occupe surtout de la région. J’ai récemment été à

Madagascar et j’ai visité la prison des adolescents à Tana, où nous avons un projet avec deux Ong. Pourtant, le directeur est musulman.

Aujourd’hui, les pentecôtistes comportent 10 à 12% de la population à Maurice, dont de nombreuses personnalités du pays. J’aime ce que je fais et j’aime mon pays comme cela. C’est peut-être pour cela que je ne fais pas de publicité rien que pour gagner de l’argent à tout prix. Car le soir, quand j’irai prier, je ne pourrai être face à mon Dieu si j’ai fait des choses contraires à l’éthique et à la morale.

De par votre engagement, comment réagissez-vous à la violence chez les jeunes ?

C’est dur à accepter. J’ai eu l’occasion de voir cette vidéo d’une bagarre entre adolescents à une gare. C’est impensable ! Il y a un gros problème dans notre société. Je crois que les parents ont démissionné de leurs responsabilités. Surtout qu’on se retrouve dans une société ou les parents travaillent, on doit toujours courir après l’argent… Et puis, il n’y a pas assez de discipline. Moi, je suis très sévère envers mes enfants et ils me respectent. Il me semble qu’aujourd’hui les parents ont peur de réprimander leurs enfants. Soit ils ont peur qu’ils se suicident ou fassent une bêtise, mais ils préfèrent rester tranquilles. Il y a une démission totale des parents. Est-ce que les familles prennent encore le temps de manger ensemble, de prier ensemble ? Cela permet de renforcer les liens, d’avoir un certain respect des parents. Et puis, il faut promouvoir les valeurs religieuses. Les psychologues, les religieux, doivent aussi apporter leur contribution.

Et puis, il ne faut pas oublier que l’exemple vient d’en haut. Quand un député ou un ministre insulte son adversaire au Parlement, quel exemple donne-t-il à la jeunesse ? Est-ce que l’exemple vient vraiment d’en haut de nos jours ? Est-ce que nos jeunes n’ont pas perdu leurs repères ? Il y a un problème quelque part. On est en train de payer le prix d’un dysfonctionnement dans notre société. Nous vivons aujourd’hui ce que l’Europe a connu avant. Notre société va tellement vite que nous ne prenons pas suffisamment de temps pour l’éducation de nos enfants. Prenons-nous le temps de dialoguer en famille ? Ou alors l’enfant s’enferme-t-il dans sa chambre sur son ordinateur, sans que les parents sachent ce qu’il est en train de faire… Est-ce qu’il y a une conscience de nos jours ? Tous les religieux, les psychologues et les super-éducateurs ont failli dedans. Maintenant, il faut faire son mea culpa et repenser, voir comment on peut rectifier le tir. Mettre ces jeunes en prison n’est pas la solution. Ils feront pire après. Je suis peut-être idéaliste, mais j’aime mon pays et je veux croire en la jeunesse de ce pays.

- Publicité -
EN CONTINU

les plus lus

l'édition du jour