Ne cherchons pas de vérité concernant des faits, surtout quant au choix fait par un individu. Ce genre d’exercice ne débouchera pas sur une vérité même si c’est Vishnu Lutchmeenaraidoo lui-même qui la divulgue. Après tout, ce n’est pas la cause de la démission qui devrait nous intéresser mais plutôt les conséquences de cette dernière.
Il y a une chose dont on peut être sûr ; à partir de la démission s’enclenche un compte à rebours, celui d’une élection partielle qui, selon notre Constitution, ne pourra se faire après le mois de novembre. Alors que les finances nationales sont dans un état lamentable, une élection partielle – qui coûterait plus de 50 millions à l’Etat pour un mandat de moins d’un an – n’est peut-être pas la meilleure chose. Il est donc permis de se demander si c’est raisonnable de tenir une élection partielle pour élire un député dont le mandat expirera normalement en décembre 2019 ou au plus tard six mois après.
A qui profite cette démission qui bouscule le calendrier électoral de l’alliance « Lepep » ? Cet événement, bien qu’ayant surpris toute la classe politique, n’occasionne pas pour autant un bouleversement de l’échiquier politique. Et parmi les acteurs de l’ombre de notre paysage politique, y a-t-il des intérêts que cette démission avantagerait ?
Le secteur privé n’a rien à perdre et les manœuvres politiques récentes sont d’importance négligeable car il finance tous les partis traditionnels, qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition.
Je pense que pour trouver une réponse à cette question, il faut prendre de la hauteur. Qui a intérêt à ce qu’il n’y ait pas de renouvellement de la classe politique mauricienne ?
De mon point de vue, aucune autre puissance que l’Inde n’a d’intérêt dans le désordre politique qui règne actuellement à Maurice. L’Inde a besoin d’un port militaire à Agalega et d’un « Petroleum Hub » à Maurice en vue d’approvisionner sa flotte militaire. L’Inde a grand besoin d’avoir les moyens de sécuriser une ligne maritime vers l’Afrique, notamment pour ne pas souffrir de rupture d’approvisionnement en matière première, en cas de guerre.
La Chine, le plus grand adversaire de l’Inde dans la région, a déjà sécurisé sa Route de la Soie avec une base au Sri Lanka et un port sur la côte est-africaine. Voici ce que nous révèle un article du journal Le Point en ligne (1) : « Incapable de rembourser des prêts souscrits auprès de Pékin pour l’aménagement du port en eau profonde de Hambantota (Sri Lanka), l’île a dû céder fin 2017 le contrôle complet de l’infrastructure… à la Chine pour 99 ans. Un aéroport à proximité, financé par la Chine et construit dans la circonscription de M. Rajapakse au milieu de deux réserves naturelles, s’est par ailleurs révélé un « éléphant blanc »: aucun vol régulier n’y décolle. Pékin est volontiers soupçonné de vouloir constituer dans l’océan Indien un « collier de perles », une référence aux différents ports où la Chine possède des intérêts directs, comme ceux de Gwadar (Pakistan) ou de Djibouti (où elle possède désormais une base militaire)… tout en accroissant la dépendance de pays déjà très endettés. »
Et voici ce que l’on apprend concernant le port de Mombasa au Kenya que lorgnent les Chinois depuis plusieurs années : « Assets in danger : The publication highlights a controversial clause in the 2014 SGR agreement which it warns will infuriate Kenyans. It stipulates that: “neither the borrower (Kenya) nor any of its assets is entitled to any right of immunity on the grounds of sovereignty, with respect to its obligations”. » (2)
L’élément troublant dans ces situations c’est le mode d’action ; l’Inde finance en ce moment à Maurice, le “Metro Express”, la Chine a financé au Kenya un train. L’Inde finance en ce moment un aéroport et un quai en eau profonde à Agalega, la Chine a financé un port similaire et un aéroport au Sri Lanka.
Le Parti Travailliste comme le MSM ont endetté le pays vis-à-vis de l’Inde durant la dernière décennie ; leurs politiques ont établi une dépendance économique auprès du gouvernement indien et des concessions de plus en plus importantes à l’égard de « Mother India ».
En raison de la précipitation dans laquelle se trouve l’alliance gouvernementale, ils ne sont plus maîtres du calendrier électoral. Les partis de l’opposition sont déjà en campagne et tout est possible. Et ce, quand on sait que le poste de président de la République subit son plus long « intérimat » depuis que nous sommes une République. Une alliance pourrait aisément se construire sur l’attribution du poste de président au leader du MMM ou du PTr, mais dans un tel contexte une alliance MSM/PTr est plus probable car l’électorat de M. Bérenger ne le suivrait pas sur un tel choix politique, ses partisans voulant de lui comme Premier ministre. Par contre, cela pourrait être une solution politique au problème du Parti Travailliste, qui est en pleine crise de leadership. Le MSM s’en sortirait grandi avec une négociation en sa faveur pour tenir la majorité gouvernementale de l’alliance PTr/MSM.
NOTES
(1) www.lepoint.fr : article publié le 16 Janvier 2019 « Routes de la Soie: au Sri Lanka, la Chine finalise une « cité portuaire » AFP- https://www.lepoint.fr/economie/routes-de-la-soie-au-sri-lanka-la-chine-finalise-une-cite-portuaire-16-01-2019-2286440_28.php
(2) www.rfi.fr : article publié le 15 Janvier 2019 « Will Kenya’s Mombasa port be taken over by the Chinese? » – http://en.rfi.fr/africa/20190114-kenya-mombasa-port-china-debt-default