Extrême pauvreté (Lovebridge) – Joana et Lolita : parcours de deux battantes…

  • Joanita Pierre (Field Worker) : «  La misère, c’est beaucoup plus qu’un mot. Ce n’est pas seulement ne pas avoir des sous pour manger, s’habiller, aller au travail ou à l’école »

Elles sont deux mères courage à évoluer dans un environnement quasi-semblable. Les conditions d’extrême précarité, elles sont passées par là. Joana et Lolita, deux Mauriciennes, mères de famille, figurent parmi les bénéficiaires de l’Ong Lovebridge. Joanita Pierre, field worker pour l’organisation, s’occupe notamment de ces deux femmes. Rencontres…

La périphérie de la capitale est connue pour abriter d’innombrables ghettos. Joana, jeune quadragénaire, et Lolita, de deux décennies son aînée, ne se sont jamais rencontrées et ne se connaissent pas. Leur point commun : Joanita Pierre, jeune Field Worker de l’Ong Lovebridge. La jeune femme est originaire de Borstal. Quand sa maman décède, elle est encore toute jeune. La perte de son principal port d’attache à la vie est si bouleversante que l’adolescente ne parvient pas à prendre part aux examens du HSC cette année-là. « J’ai alors enchaîné les petits boulots : baby-sitter, machiniste à l’usine… Je ne savais pas trop ce que je voulais. » Puis, quand elle décroche un emploi auprès de Caritas, dans un premier temps, elle découvre « la réalité de la pauvreté dans mon île chérie ».

La claque, Joanita Pierre la prend en pleine figure. « La misère, c’est beaucoup plus qu’un mot. Ce n’est pas seulement ne pas avoir des sous pour manger, s’habiller, aller au travail ou à l’école. J’ai rencontré des familles qui vivent dans des conditions à peine dicibles… Qui n’ont jamais eu d’électricité ni d’eau durant des années. Elles faisaient leurs besoins dans des sacs en plastique, qu’ils attachaient puis allaient jeter dans des terrains vagues. Parce qu’elles n’avaient pas de toilettes chez elles. Est-ce qu’on peut imaginer, en 2018, à Maurice, qu’il y ait des familles qui vivent dans de telles conditions ? Pourtant, cela existe bel et bien ! »

Découvrant sa vocation – elle opte pour le mot « amour » –, Joanita Pierre comprend qu’elle est « faite pour ce métier : approcher les familles en détresse, comprendre leur situation, les accompagner et les encadrer, pour les aider à s’en sortir ». Pour cela, elle rejoint l’équipe de Lovebridge fin 2016, « qui partage cette philosophie de l’empowerment des familles ». Au tout début cependant, Joanita Pierre se souvient : « Les familles que j’ai rencontrées et les conditions dans lesquelles elles vivaient m’ont terriblement bouleversée. Et, surtout, j’avais confié à mon superviseur que je ne pensais pas que j’aurais la force de continuer. Il valait mieux qu’elle me trouve une remplaçante. » Mais le destin en décide autrement. « Voilà deux ans déjà que je suis à Lovebridge, que j’accompagne des familles. Et je ne veux pour rien au monde arrêter ! »

Même combat !

Joanita Pierre ne fait pas un métier classique. Elle ne se rend pas au bureau de 8h à 16h. Son « bureau », ce sont les rues. Dans cette partie de la banlieue de Port-Louis, la jeune femme connaît quasiment toutes les rues et raccourcis… Impossible de se perdre si elle vous accompagne ! Parmi ces bénéficiaires de l’Ong que la Field Worker suit et accompagne : Joana et Lolita. Deux femmes, deux parcours, mais un même combat pour sortir de la pauvreté et éduquer leurs enfants.

Joana vit avec ses cinq enfants, dont le plus petit, un nourrisson de deux mois, dans une seule et même pièce. Elle et ses enfants – quatre garçons et une fille – se partagent le même lit tous les soirs, hiver comme été, et ce depuis plusieurs années. Dans cette même pièce, Joana a aménagé une petite cuisinière sur une table où s’entassent plusieurs choses, dont des manuels scolaires, des produits alimentaires, des ustensiles et des récipients… Dans le même espace exigu se trouvent une autre table et une chaise où traîne un sac d’écolier. L’endroit est certes petit, mais propre et tenu avec soin. Joana y met un point d’honneur : deux de ses plus jeunes fils jouent avec un chiot, pieds nus, dans la cour, où jonchent feuilles de tôle et autres fils électriques. Des dangers à tout moment. Mais à l’intérieur, c’est une autre histoire… Elle réprimande vertement l’un des enfants qui pense foncer droit sur le lit sans passer par la salle de bains aménagée juste à côté pour s’y laver les pieds !

Chez Lolita, le scénario n’est pas tout à fait le même. Celle qui touche une pension d’invalidité depuis quelques années vit désormais dans une case modeste, certes, mais en sécurité, « kot mo pa gayn per aswar kan lapli tonbe ». Il y a peu de temps, c’était son calvaire : « Dès que la pluie commençait à tomber, je paniquais… Pendant la nuit, s’il y avait un cyclone, je ne dormais pas ! »

Bain et toilettes

Sa crainte était « que l’eau pénètre à l’intérieur et endommage les effets personnels ». Depuis que Joanita Pierre a référé son cas auprès de Lovebridge, la structure en tôle qui servait de « maison » à Lolita a été rasée et la bénéficiaire se retrouve avec un nouveau toit sur sa tête. Désormais, confie-t-elle tout sourire, « mo dormi trankil mem si lapli pe fer bal ». C’est aussi grâce à l’intervention de Lovebridge que Joana est parvenue à ériger une salle de bains et des toilettes qui jouxtent l’unique pièce qui lui sert de maison, de sorte que les cinq enfants peuvent prendre leur bain quotidien et aller aux toilettes. « Améliorer les conditions physiques de vie de ces bénéficiaires, souligne Joanita Pierre, fait partie du projet. Et tout aussi important, sinon impératif, il y a l’encadrement et l’empowerment moral de chaque membre de la famille. C’est une partie inhérente et capitale du projet. »

À ce titre, notre interlocutrice indique que l’Ong dispose d’un cahier des charges « bien élaboré et méthodique » pour évaluer et réorienter dans les cas de besoins les bénéficiaires en ce sens. « Il faut être pauvre soi-même pour comprendre la souffrance de ces personnes, souffle la Field Worker. C’est pour cela qu’il nous faut être constamment à leurs côtés, leur montrer qu’on les épaule. Et on est là pour les aider à surmonter ces obstacles. Mais surtout pas d’assistanat ! » En effet, la philosophie de l’Ong qui l’emploie met un point d’honneur à « aider les personnes se trouvant dans des conditions difficiles à sortir de leurs détresses ». Mais pour y arriver, « on leur inculque les bases pour qu’ils se prennent en charge petit à petit par eux-mêmes, sinon notre « “mission statement” n’est pas respecté ».

Tous les bénéficiaires ne sont évidemment pas comme Joana ou Lolita. « Certains sont plus retors et plus difficiles à gérer », indique encore Joanita Pierre. « Cependant, chaque être humain a ses spécificités. Le tout est d’arriver à se mettre à leur place pour mieux les accompagner dans cette démarche… »

 

« Rêver est un luxe ! »

Un aspect qui a beaucoup marqué Joanita Pierre, depuis qu’elle a commencé son chemin de croix auprès de ces familles en détresses inscrites auprès de Lovebridge, c’est que « adultes comme enfants ne rêvent pluscomme si la pauvreté leur avait ravi ce droit ». Qu’à cela ne tienne, la jeune Field Worker, qui elle non plus n’a pas été gâtée par la vie, s’est donnée également pour mission « d’aider ces enfants à apprendre à rêver ». Et du coup, « ça marche ! » dit-elle. « Ils sont nombreux, ceux que j’accompagne, à me confier qu’ils souhaitent devenir docteur, enseignante… C’est déjà un bon début ! »

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