- Publicité -

Femmes, nous ne sommes pas des grains de maïs !

EMILIE CAROSIN

- Publicité -

Il y a une histoire que j’aimais écouter lorsque j’étais enfant, c’est ma mère qui la racontait.
C’est l’histoire d’un fou, qui est dans un hôpital psychiatrique parce qu’il se prend pour un grain de maïs. Tous les jours, il a rendez-vous avec le docteur qui lui demande « qui es-tu ? » et lui répond « je suis un grain de maïs ». Le docteur (aux méthodes thérapeutiques douteuses) lui dit alors de répéter : « Je suis un humain, je ne suis pas un grain de maïs. » Un jour, le fou arrive en consultation et annonce : « Bonjour docteur, je suis un humain. » Le docteur, heureux de ces progrès, le félicite et lui dit qu’il peut rentrer chez lui. Il ouvre les portes de l’hôpital et le fou s’en va. Quelques minutes après, le fou revient en courant. Etonné, le docteur lui demande ce qu’il fait là. Ce à quoi le fou répond : « Il y avait des poules sur mon chemin. » « Ah bon ? Mais vous m’avez dit ce matin que vous étiez un humain et pas un grain de maïs », dit le docteur. Et le fou : « Oui, moi je le sais, mais les poules ne le savent pas ! »

Pas étonnant comme résultat me direz-vous étant donné les méthodes thérapeutiques employées par le docteur. Oui, à force de se le répéter, on arrive parfois à se convaincre qu’on est un être humain égal aux autres (et surtout supérieur aux poules !), mais cela ne suffit pas pour chasser nos vieux réflexes quand on se retrouve face à ces représentations du danger qu’on a intégrées dans notre propre identité. En effet, c’est bien pour nous « protéger » et pour protéger notre identité qu’on assimile certaines choses comme dangereuses pour nous.

A l’instar du fou qui se prend pour un grain de maïs, nous les femmes avons intégré pendant plusieurs années une image de nous qui est inférieure aux hommes et qui est bien « protégée » par des qualités qui sont supposées compenser cette infériorité. Ainsi, on dit en général des femmes qu’elles sont à l’écoute, attentives, attentionnées (caring comme on dit), sensibles, serviables, intelligentes, disciplinées. Avec l’entrée des femmes dans le monde du travail, ces représentations se sont enrichies, aujourd’hui nous sommes méticuleuses, organisées, engagées dans le travail (surtout pour que nos congés maternités ne soient pas une charge supplémentaire pour les autres), etc. Une image imposée par la société, et qui n’est pas prêt de s’estomper… Il suffit d’écouter le speech d’ouverture des oscars de Jimmy Kimmel pour se rappeler que les femmes sont encore très peu représentées dans certains métiers et que l’égalité de salaire et l’égalité de traitement n’est pas encore gagnée. Si ce genre de discriminations est bien réelle, d’autres en revanche le sont moins aujourd’hui, mais le problème c’est que nous les avons intégrées dans nos identités : ce sont les représentations que nous femmes portons de nous-mêmes.

Nous avons beau répéter que nous sommes égales aux hommes, cette affirmation ne suffit pas pour que nous ayons une identité plus valorisante de nous-mêmes. En effet, l’identité ne s’apprend pas par cœur, elle se construit dans notre expérience de tous les jours, à travers nos échanges avec les autres, à travers les modèles que l’on observe, et les représentations que la société (y compris de consommation) nous renvoie. Si plus de femmes peuvent aujourd’hui dire fièrement « je suis un être humain égal à tous les autres (et surtout aux hommes) », il n’est pas sûr que cela se reflète dans notre attitude et qu’on ne revienne pas en courant à nos représentations de la femme comme être inférieur à la moindre menace perçue, tout comme le fou qui revient en courant à l’hôpital après avoir croisé des poules sur son chemin.

Pourtant ces menaces ne sont pas réelles… mais elles sont tellement subtiles qu’on n’arrive pas à les détecter et surtout qu’on ne se rend même pas compte qu’on finit par s’auto-discriminer ! Les chercheurs appellent ces menaces “implicit bias” ou “la menace du stéréotype” : à force d’être dévalorisées, nous intégrons une représentation négative de notre image, qui fait que nous imaginons certaines situations comme dangereuses pour notre identité. Ces situations participent alors à notre discrimination alors qu’à priori elles ne devraient pas.
Voici quelques exemples de situations qui nous font croire que notre identité de femme est en danger alors qu’elle ne l’est pas, et qui nous renvoient à de vieux réflexes hérités :
Croire qu’une femme digne ne porte pas de décolletés, de jupes trop courtes, etc.,
Croire qu’une femme sympathique et cool doit rigoler à toutes les blagues (et surtout celles à propos des femmes !),
Croire qu’une femme aimable doit sourire à tout le monde sans raison,
Croire qu’une femme respectable doit attendre que l’homme fasse le premier pas,
Croire qu’une femme attentive (à son chéri, ses enfants) doit se priver de plaisirs personnels (rencontres entre amis, loisirs, etc.),
Croire qu’une femme attentionnée ne doit pas trop travailler, faire à manger et être tout le temps disponible pour sa famille,
Croire qu’une femme intelligente est la seule responsable de l’éducation de ses enfants,
Croire qu’une femme forte doit supporter toutes les douleurs ou violences physiques, morales ou psychologiques,
Croire qu’une femme organisée ne doit pas demander d’aide aux autres,
Croire qu’une femme parfaite existe et qu’elle n’a pas droit à l’erreur, etc.

Ces vieilles croyances nous renvoient à notre condition de femmes discriminées dont l’identité est imposée par les autres. L’avantage est que nous savons maintenant que nous pouvons choisir notre identité ou nos identités, en fonction de ce qui convient le mieux à notre épanouissement personnel et à celui de la société. Cette identité “égale” aux hommes tant en liberté de choix, qu’en respect des droits et en valorisation par la société, peut même intégrer certaines “qualités” humaines (qui ont longtemps été pensées comme exclusivement masculines). Nous pouvons aujourd’hui choisir d’être leader, protectrices, franches, bornées, indisciplinées, bricoleuses. Car, contrairement au fou, nous sommes dotées de raison. Cela veut dire que nous avons la possibilité de prendre conscience de ces représentations démodées de la femme et de l’homme que l’on porte, et de les considérer pour ce qu’elles sont réellement : de simples idées aussi inoffensives que des poules !

Construire notre identité passe par reconnaître ces fausses menaces qui croisent notre chemin, et à ne pas retourner à nos vieux réflexes, pour être plus libres et actives dans nos choix. Cette liberté est essentielle pour continuer à nous battre contre les discriminations qui proviennent de la société. Femmes nous ne sommes plus des grains de maïs ! N’oubliez pas de le rappeler aux poules la prochaine fois que vous les croiserez !

Emilie Carosin est chercheuse en Sciences de l’éducation et en Psychologie, et Artiste.
Sensible à la cause des stéréotypes (notamment ethniques), elle a initié un projet artistique Masqués-Démasqués ( HYPERLINK “http://www.masquedemasque.com/” \t “_blank” www.masquedemasque.com) qui vise à les rendre visibles et à rechercher l’authenticité dans la rencontre avec l’autre.

- Publicité -
EN CONTINU

les plus lus

l'édition du jour