Alors qu’il s’apprête à assumer les fonctions de CEO de Business Mauritius, succédant ainsi à Raj Makoond, Kevin Ramkaloan jette un coup d’œil optimiste sur la situation économique du pays. « Il faut comprendre qu’il y a eu un monde post-2008 après la crise financière. Nous avons pu maintenir une croissance très forte dix ans après le “financial meltdown”. Une croissance de 3,7% ou 3,9% peut être améliorée. Le pays mérite d’arriver à une croissance dépassant les 5% », affirme-t-il, tout en insistant sur la nécessité d’une régulation forte. Il considère que le pays a un grand défi à relever concernant la démographie et la transition dans nos secteurs traditionnels et nos marchés. Il préconise la préparation d’un plan de développement à long terme au niveau du secteur privé.
- Après avoir travaillé au BoI et à la MTPA, vous voilà à la tête de Business Mauritius. Comment se présente ce nouveau défi pour vous ?
Business Mauritius constitue un tout comparé aux différents aspects de ma carrière. Cette fonction est une synthèse de toute l’expérience acquise durant mes 22 à 23 ans de carrière. Aujourd’hui, j’utilise certainement toute cette compétence acquise, que ce soit en tant que consultant à Accenture-DCDM Consulting ou un peu du monde financier, que j’ai connu à mon retour à Maurice. C’est peut-être la fonction de directeur de New Business Development que j’occupais au BoI qui se rapproche le plus de mes responsabilités actuelles, à un niveau différent bien entendu. À cette époque, j’avais pour mission de développer de nouveaux secteurs d’activité pour le pays, notamment l’ouverture sur l’Afrique, l’économie des océans, les “films rebate” et l’énergie, entre autres. Je retrouve en grande partie ces mêmes défis ici à Business Mauritius. Mon passage au BoI ainsi que mon parcours à la MTPA m’ont beaucoup aidé. Ayant travaillé sur le tourisme en profondeur, je sais qu’il y a énormément de choses qui sont réalisables dans le travail que j’accomplis au sein de Business Mauritius. Je crois que la vie est un cheminement et que si on prend les étapes parcourues d’une façon positive et constructive, cela nous permet de donner plus de sens à notre parcours. Mon expérience professionnelle me conduit vers ce nouveau rôle que je dois assumer à Business Mauritius.
- Business Mauritius représente-t-elle une institution incontournable dans le paysage économique du pays ?
C’est une institution qui coordonne les activités de la communauté des affaires. Nous représentons 1 200 membres, quelque 120 000 employés et un chiffre d’affaires qui avoisine la moitié du PIB du pays. Parmi tous nos membres, il y a quelque 400 PME. Business Mauritius est représentatif du monde des affaires à Maurice. Notre travail au sein de cette organisation constitue à “pave the way” le développement économique de ce pays. Nous avons un conseil sur lequel sont représentés tous nos membres partenaires, la MCCI, la MEXA, AHRIM, le secteur informatique, la MPA, etc. Ce qui nous permet d’avoir ensemble une vision commune. Nous sommes certainement la voix du secteur privé et le représentant attitré de ce dialogue qui continue à faire la force de Maurice.
- Vous avez mentionné votre propre vision. Pouvez-vous nous en parler ?
Les projets dans lesquels Business Mauritius est engagé sont énormes. Nous sommes actifs sur un nombre extraordinaire de dossiers, avec beaucoup de nouveautés. Lorsque j’avais rejoint la MTPA, on m’avait demandé ce que je comptais faire d’une coquille vide. Il a fallu instituer les processus pour mettre en place un système de gestion et d’objectif. Ce n’est pas le cas pour Business Mauritius, qui est une organisation performante qu’on doit pérenniser. On peut amener l’organisation à faire un nouveau pas en avant. La première chose qui, pour moi, est extrêmement importante, c’est d’arriver à mettre sur papier une vision à long terme du développement économique de ce pays. C’est un chantier qui va prendre du temps. On commence la planification de notre “action plan” pour 2018-2019 à Business Mauritius. Il faudrait maintenant, en tant que secteur privé, avoir un “blue print” sur notre vision de l’économie mauricienne dans les années à venir. Nous avons des défis énormes à relever, surtout au niveau de la démographie, de la transition dans nos secteurs traditionnels et dans nos marchés. Ce qui intéresse l’État et le privé, c’est de savoir comment Maurice peut se réinventer tout en restant au haut de la vague, et ce malgré les turbulences, et ainsi prendre avantage de cette transition pour maintenir un rôle de leader.
À Business Mauritius, nous avons trois commissions consacrées respectivement à l’économie, au capital social et au développement durable et la croissance intégrée. Ces trois axes nous donnent un “strategic trust” qui nous permet d’étudier en détail ces trois thèmes. Le travail que nous effectuons à ce niveau pourra déboucher sur ce “blue print” du privé, qui présentera notre vision vers un développement économique social et humain pour Maurice. Nous le partagerons ensuite avec le secteur public. Ce qui nous permettra de constater nos points de convergence et nos divergences. Il s’agira alors de trouver des solutions dans le dialogue.
Business Mauritius est particulièrement actif sur le dossier énergétique et d’efficience énergétique. Nous allons bientôt compléter un certain audit sur l’efficience énergétique, qui représente énormément en termes de gain d’énergie et de coût. Nous réalisons ce travail en partenariat avec l’AFD. La phase actuelle se termine en juin, et vers juin ou juillet, nous aborderons SUNREF 3, qui amènera notre réflexion sur la question énergétique durant les trois prochaines années. Business Mauritius a un rôle important à jouer dans la sensibilisation aux problématiques liées à l’énergie, à la production énergétique et l’efficience énergétique. Nous pensons également qu’il y a de nouveaux secteurs sur lesquels il y a nécessité d’études, et qui comptent l’économie circulaire liée au “risk management”, sur le “fintech”, le “global business” et son intégration dans l’économie d’autres secteurs ayant besoin de plus d’analyses, et ce de manière à avoir un schéma clair pour dialoguer avec l’État. Nous avons un rôle prépondérant à jouer à l’avenir. Lié à cela, il y a tout ce qui a trait à l’innovation et l’entreprenariat, qui nous permettra de sortir du piège des pays à revenus moyens. Il ne faut pas oublier les 400 PME. Nous voulons poursuivre un travail avec SME Mauritius. Nous avons également mis en place un organisme pour venir en aide à nos membres.
- Comment le plan d’action du secteur privé se compare-t-il à la Vision 2030 du gouvernement ?
Le programme 2030 est une vision ambitieuse et large tout à fait louable. Notre travail se compare à ce que l’Economic Development Board veut faire. Ce dernier a été mandaté pour travailler un plan économique pour le pays, qui sera une feuille de route liée aux possibilités d’investissements. Nous voulons nous baser sur le travail que nous avons fait avec nos trois commissions. Nous avons aujourd’hui des points très précis sur lesquels nous devons aller de l’avant. Il faudra trouver des opportunités concrètes et savoir comment faciliter le monde des affaires et l’environnement des affaires, pour pouvoir saisir les opportunités qui se présentent.
Aujourd’hui, il nous faut réfléchir à l’intégration du secteur financier dans l’économie domestique réelle. Se faisant, il y a énormément d’opportunités qui peuvent être créées. C’est peut-être cela qui amènera les multinationales de manière plus soutenue dans le pays. La démographie est extrêmement importante. Nous avons au sein de notre commission économique tout un groupe de travail qui réfléchit pour étudier comment le changement démographique affectera notre système de pension, de santé et d’éducation.
- Vous parlez d’intégration du secteur financier. Voulez-vous dire que le système actuel doit être amélioré ?
On est arrivé à un niveau de sophistication de nos services financiers. Les GBC 1 représentent, en termes de biens gérés à Maurice un montant de USD 560 milliards et le GBC 2, USD 99 milliards. Ce sont des biens qui ne sont pas basés à Maurice mais qui sont administrés de Maurice. Aujourd’hui, ce secteur est quelque part cantonné aux “management companies” qui gèrent ces sociétés. Si on arrivait demain à mieux intégrer ces “global business” dans l’économie mauricienne, nous aurions ces grosses boîtes multinationales qui utilisent ce secteur qui seront basées à Maurice. Ce qui est important, c’est que le “global business” aille vers plus de substance dans le pays. Maurice dispose d’un cadre régulateur exceptionnel, d’une qualité de vie hors norme, d’une confiance dans le monde global qui est remarquable. Un investisseur international n’a aucun souci à placer son argent à Maurice pour investir ailleurs. Les “management companies” sont reconnues comme des professionnels à l’international. Ce qui fait que les 25 000 sociétés offshore basées à Maurice représentent de grands groupes, de grands investisseurs et des consultants financiers d’envergure. Ces gens font confiance à Maurice. Nous devons pouvoir bâtir dessus pour aider au développement de ce pays. Il y a de plus en plus de liens entre ces multinationales et Maurice qui ne peuvent qu’être bénéfiques.
Il y a une plateforme privée-publique qui travaille sur le développement du secteur financier. Business Mauritius participe au Financial Services Consultative Council, qui prépare un “blue print” pour le secteur financier. Je suppose que ce plan tiendra compte de cette intégration dont nous parlions.
Par ailleurs, il faut savoir que Maurice est sur la liste blanche de l’OCDE. On a toujours fait ce qu’il faut pour être conforme aux accords internationaux. Nous entreprenons les réformes en vue d’avoir un secteur financier plus fort et reconnu internationalement. Le seul problème, c’est que ce secteur ne dispose pas d’un organisme comme il en existe dans le secteur touristique pour gérer son image internationale et empêcher que des cas isolés, comme on en voit en ce moment, ternissent l’image d’une juridiction privilégiée. Il faut arriver à mettre tout cela en perspective et à faire en sorte que ce qui se passe puisse illustrer la gouvernance qui existe dans le pays, car c’est un secteur qui peut rapporter beaucoup à la nation.
- Comment se porte le dialogue entre le secteur privé et le gouvernement ?
Au niveau du dialogue privé-public, nous sommes tout à fait confiants. Nous avons des partenaires privilégiés dans le secteur public. Nous sommes, dans une certaine mesure, le partenaire privilégié du gouvernement. Nous avons réalisé un travail intéressant avec l’État sur le salaire minimum. Nous effectuons un travail concernant la lutte contre la corruption et en ce qu’il s’agit de “l’integrity reporting” sur la facilitation des affaires. Nous sommes partie prenante dans le cadre du commerce international dans les négociations sur la coopération commerciale avec l’Inde, la Chine, l’Afrique. Il y a un vrai partenariat entre l’État et le privé.
- Est-ce que le secteur financier est porteur de création d’emplois ?
Chaque financial manager à Maurice est une unité qui crée obligatoirement de l’emploi.
- Un des derniers rapports de la Banque mondiale sur Maurice démontre qu’il y a un élargissement du fossé entre les salaires de ceux qui sont en haut et ceux qui sont au bas de l’échelle. Prenez-vous cela en considération lors de votre réflexion sur la croissance intégrée ?
Il faut mettre cela en perspective. On a reçu la Banque mondiale ici. On a parlé et on a écouté leur position. La Banque mondiale considère que Maurice est un pays où les “income inequalities” restent faibles. Lorsqu’on regarde un chiffre, il faut le comparer à d’autres pays. La situation n’est pas anormale. Toutefois, on est en train de s’assurer qu’il n’y ait pas de développement à deux vitesses dans ce pays. Les compétences et la méritocratie doivent primer. On aura toujours une disparité entre les salaires. Nous ne sommes pas dans un pays où les salaires sont égaux. Plus vous êtes performants, plus vous êtes récompensés.
Certains secteurs paient mieux que d’autres et il y a également des secteurs de transition. Je veux parler de la mécanisation dans l’agriculture ou de l’utilisation de l’informatique dans le textile, qui est en train de créer des changements, mais en même temps il est clair que les sociétés n’ont jamais fait autant pour qu’il y ait une plus grande justice sociale. Regardez les CSR. Aujourd’hui, on compte 16 fondations qui travaillent avec la fondation de Business Mauritius. On travaille avec le projet Love Bridge. Nous sommes engagés dans des projets spécifiques liés au développement communautaire et qui sont reliés à l’éducation, au logement, à l’accompagnement, au “mentoring”. Tout ce que nous réalisons vise à favoriser la “value création” chez les gens. Nous avons commandité un rapport d’une agence internationale. Ce rapport quantifie les gains immenses qui ont été obtenus socialement grâce au CSR.
Bien entendu, il faut empêcher que l’écart entre les riches et les pauvres s’agrandisse. Il faut surtout s’assurer qu’il y ait des opportunités pour tous ceux qui veulent travailler et arriver quelque part à travers l’accès à l’éducation dans différents groupes. L’apprentissage est extrêmement important tout comme la valorisation des “blue collar jobs”. Il faut aider les start-up, l’innovation des jeunes et amener plus de femmes dans le monde de l’emploi. On a de belles idées qui sont sorties de nos commissions sur la façon de créer de la flexibilité pour ces personnes qui ont des contraintes de vie par rapport au travail. On parle de “teleworking”, qui rapporte et apporte plus de personnes dans ce monde du travail.
- Deux sujets qui ont toujours intéressé Business Mauritius sont l’ouverture du ciel et la connectivité…
La libéralisation de la connectivité et un meilleur accès à la connectivité sont la clé de notre stratégie de développement. D’abord, concernant la conductivité aérienne, nous notons avec plaisir la desserte Kenya-Maurice, qui étoffera la connexion entre nos deux pays. Tenant en compte le corridor Singapour-Maurice, nous pourrons imaginer un plus grand développement aérien vers l’Afrique. Si nous sommes un train du développement économique à Maurice, qui dépend du développement en Afrique, nous devons nous assurer de l’existence d’une bonne connectivité aérienne et portuaire. Il y a eu beaucoup d’investissements qui ont été faits dans le port et une volonté de développer la conductivité aérienne. Nous encourageons une continuité dans ce développement. La connectivité informatique s’est aussi améliorée à Maurice.
- On a parlé plus tôt du dialogue public-privé. Quid du dialogue entre le privé et les syndicats ?
Business Mauritius a un rôle clé dans les relations industrielles. Notre compétence dans ce domaine est reconnue. Nous sommes présents dans les discussions tripartites comme dans les “collective bargainings”. Il y aura une continuité. Certainement, on ne prévoit pas un “disruptive change” dans ce sens. Nous sommes dans la consolidation des liens avec le gouvernement et avec les syndicats.
- Les infrastructures font partie des sujets que Business Mauritius a toujours tenus à coeur…
Il faut reconnaître les investissements conséquents de l’État dans le “road decongestion program”, le Metro Express. Nous espérons que ce sont des projets qui apporteront plus de fluidité dans le trafic à Maurice. Nous apprécions le développement portuaire, bien qu’il y a encore du travail à faire. Le “cruise terminal” est pour bientôt. Nous souhaitons qu’il y ait plus de Public Private Partnership dans certains projets d’infrastructures.
- Est-ce que l’économie océanique vous inspire ?
Vous savez que c’est mon “pet subject”. J’ai été dans l’équipe qui a rédigé la “national ocean road map” avec 23 agences mauriciennes. Nous avons également recommandé la création du “National Ocean Council”. Les opportunités sont là. Le potentiel de développement présent et futur est immense. On peut également songer au développement touristique des “outer islands” avec des croisières qui pourront aller dans les îles. On peut créer de la valeur avec les ressources marines. Il nous faut développer un encadrement clair pour le développement de l’aquaculture. Les algues représentent une source de développement nutritionnel et médical. Il y a encore beaucoup à faire.
- On parle actuellement de croissance de 3,9%. Est-ce suffisant ?
Il faut comprendre qu’il y a eu un monde post-2008 après la crise financière. Nous avons pu maintenir une croissance très forte. Dix ans après le “financial meltdown”, une croissance de 3,7% ou 3,9% peut être améliorée. Le pays mérite d’arriver à une croissance qui dépasse les 5%. Pour cela, il faudrait s’assurer qu’on ait toute la force de régulation qu’il faut. Ce qui fait que dans les nouveaux projets qui sont des “ground breaking”, on devrait pouvoir les réguler de manière cohérente. Il nous faudra une régulation très forte car les bons investisseurs cherchent des endroits où la régulation est bonne. La vitesse d’implémentation est extrêmement importante. Si on arrive à mettre en œuvre tous les plans que nous avons et que nous avons la capacité de réguler les activités nouvelles qui existent dans ce monde, dont la “cryptocurrency”, on ouvrira l’opportunité à énormément de nouvelles possibilités de développement. Prenons le cas du “payment information system”, qui existe dans le cadre de nos lois et qui permet de faire des transactions financières “on mobile” sans avoir une présence physique. Il faut un cadre pour le réguler d’une façon souple mais en même temps forte.