Les récits évangéliques (Matthieu et Luc) et autres écrits chrétiens dits apocryphes ne sont pas les seuls à nous parler de la naissance de Jésus. Le Coran, le Livre saint des musulmans, nous en parle également. Et ce, avec infiniment de respect pour celui qui est désigné dans le Coran comme l’Envoyé, le Messager de Dieu, l’Esprit de Dieu ou encore comme “Al- Masîh, Isâ Ibn Maryam” (le Messie, Jésus Fils de Marie). Îsâ est le nom coranique de Jésus. Sa naissance est, en dernière instance, l’effet du Verbe divin.
La scène de la nativité dans le Coran n’est pas celle que nous connaissons. Marie est seule, vraiment seule. Pas d’homme. Pas de mari. Elle occupe seule tout l’espace. Elle s’est retirée dans un lieu éloigné pour s’isoler des siens : « Elle quitta sa famille. Et se retira en un lieu vers l’Orient. Elle plaça un voile entre elle et les siens » (Coran, Sourate 19, 16-17a). Rien de l’imagerie habituelle de la crèche de Bethléem : Marie, Joseph, le bœuf, l’âne, les bergers, les anges et les rois mages. Sa figure est si importante, si centrale, qu’une des sourates du Coran, la XIXe, est intitulée Maryam ‒ la seule d’ailleurs qui porte comme titre le nom d’une femme ‒, tout en étant la seule femme nominalement désignée dans le Livre saint des musulmans.
Marie a été choisie par Dieu pour vivre un destin exceptionnel. « O Marie ! Dieu t’a choisie, en vérité ; Il t’a purifiée ; il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers » (Coran, Sourate 3, 42). La Choisie de Dieu, la fille de l’Imran (l’équivalent de Joachim, père de Marie dans la tradition chrétienne), celle qui a été mise, dès sa naissance, sous la protection de Dieu et qui garda sa virginité (Sourate 3, 36 ; 66, 12) s’est volontairement éloignée de ses parents dans l’attente de l’annonciation, de la conception et de la naissance de Jésus.
« Les anges dirent : « Ô Marie ! Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un Verbe émanant de lui.
Son nom est : le Messie, Jésus, fils de Marie ; illustre en ce monde et dans la vie future ; il est au nombre de ceux qui sont proches de Dieu. Dès le berceau, il parlera aux hommes comme un vieillard ; il sera au nombre des justes».‒ Elle dit : « Mon seigneur ! Comment aurai-je un fils ? Nul homme ne m’a jamais touchée. ‒ Il dit : «Dieu crée ainsi ce qu’il veut : lorsqu’il a décrété une chose il lui dit « Sois! » et elle est » (Le Coran, Sourate 3, 45 à 47).
Selon l’explication des anges, ce qui se prépare c’est un enfantement qui résulte de la seule volonté de Dieu. « Elle devint enceinte de l’enfant puis elle se retira dans un lieu éloigné. Les douleurs la surprirent auprès du tronc du palmier. Elle dit : Malheur à moi ! Que ne suis-je déjà morte, totalement oubliée. L’enfant qui se trouvait à ses pieds l’appela : « Ne t’attriste pas ! Ton Seigneur a fait jaillir un ruisseau à tes pieds. Secoue vers toi le tronc du palmier ; il fera tomber sur toi des dattes fraîches et mûres. Mange, bois et cesse de pleurer » (Le Coran, Sourate 19, 22-26).
Comme dans les récits évangéliques de Matthieu et de Luc, on baigne ici dans le “merveilleux”, le “poétique”. L’essentiel est pourtant dit : Jésus, le fils de Marie, est le Messie, l’Esprit de Dieu et son Verbe. Des titres que le Coran n’attribue à aucun autre envoyé. C’est dire la place éminente et singulière que tient Jésus dans le Coran. Certes, toujours selon le Coran, Jésus n’est pas le Fils de Dieu (Sourate 43, 81 ; 4, 171) ; il n’a été ni tué ni crucifié, mais il a été élevé au ciel (Sourate 3, 55 ; 4, 157). Et, il reviendra à la fin des temps pour renverser le royaume du Mal et restaurer la justice de Dieu : « Jésus est, en vérité l’annonce de l’Heure » (Sourate 43, 61). Bien sûr, ce n’est pas le Jésus des Évangiles, ce n’est pas le Christ de la foi des chrétiens, mais le Coran lui confère un statut tout particulier qui ouvre le chemin du dialogue avec nos frères musulmans.
Quant à Marie, l’élue de Dieu, dont le Coran prend soin d’affirmer l’humanité, la tradition musulmane fait d’elle la Dame du monde et une des quatre Dames du paradis aux côtés d’Assia (épouse d’un pharaon), de Khadija (première épouse de Muhammad) et de leur fille Fatima. Bref, compte tenu de la place privilégiée qu’elle occupe dans le Coran et la tradition prophétique, Marie est sans doute l’élément le plus consensuel entre musulmans et chrétiens.
Alors Noël pour les musulman(e)s ? Cette fête ne fait pas partie de la tradition religieuse musulmane. Autrement dit, les musulmanes et les musulmans ne célèbrent pas la naissance de Jésus, fils de Marie. Mais, compte tenu de la place qu’occupent Jésus et Marie dans la pensée musulmane, elles/ils sont sans doute invité(e)s, dans la reconnaissance des valeurs religieuses communes et le respect des différences, à partager pleinement la joie des chrétien(ne)s à cette occasion. Mieux, à œuvrer ensemble, humblement et dans l’ouverture aux autres, à la construction d’une société réunionnaise plus juste et plus cohésive.